
Réfectoire des Cordeliers 15 rue de l'Ecole de médecine 75006 Paris France
Les manifestations parisiennes de 1880 à nos jours L’exposition « Paris Manif’ », organisée par le Comité d’histoire de la Ville de Paris au réfectoire des Cordeliers retrace l’histoire des manifestations à Paris depuis la fin du XIXe siècle.
Elle prendra comme point de départ les années 1880, quand la page désormais tournée des révolutions et l'instauration durable de la démocratie parlementaire contraint à repenser et à redéfinir les usages de la rue. Elle rappellera comment les « mouvements de la rue » se sont progressivement mués en « manifestations de rue », où la rue de sujet qu'elle était devient espace (1909, première grande manifestation négociée et tolérée dans Paris, invention des services d'ordre) puis suivra chronologiquement l’évolution des modes de manifestation jusqu’à aujourd’hui.
Elle distingue ainsi trois moments successifs :
La manif en construction
de 1880 à 1934.
L’âge classique de la manifestation de février 1934 à 1968.
La manif en éclat des années 1970 jusqu’à nos jours.
L'exposition se propose d'évoquer les liens mouvants noués entre Paris, les manifestations et l’occupation de l’espace urbain en mobilisant les images, photographies, gravures et tracts, qu'ils surent inspirer. Elle souhaite faire, de plus, une place particulière aux fonds sonores des manifestations (chants, slogans, musique).
“Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés” Louis Aragon, Plus belle que les larmes. Durant près d’un siècle, la rue parisienne a été le berceau des révolutions par lesquelles se sont faits et défaits les régimes, en 1789,1830 et 1848, sans oublier le complexe épisode de la Commune de Paris.
La « Rue » s’est imposée comme un sujet fantasmatique de l’histoire, présumé susceptible d’en infléchir le cours. Les Misérables de Victor Hugo ou La liberté guidant le Peuple de Delacroix ont permis à cet imaginaire politique de faire image. Ils ont contribué à ancrer durablement le sentiment selon lequel “Paris […] n’est Paris qu’arrachant ses pavés” (Aragon).
Selon le Robert, l’usage intransitif du verbe « manifester » s’impose en 1868, après que son participe présent, - manifestant, manifestante-, se fut substantivé (1849, chez Proudhon).
La manifestation, par quoi il faut comprendre une « démonstration collective publique d’une opinion », ne se dégage qu’avec lenteur des formes d’investissement de l’espace public déployées durant le premier XIXe siècle sur ce même terrain : émeutes, « journées » ou révolutions.
L’exposition débute donc au tournant des années 1880, quand cette page se tourne définitivement et quand l’instauration durable de la démocratie parlementaire contraint chacun à repenser et à redéfinir les modalités de la politique et, par là même, les usages de la rue.
Elle cherche à évoquer les liens puissants tissés durant plus d’un siècle entre les rues de la capitale et ces manifestations de toute origine et toujours plus nombreuses.
La manif en construction
1880-1934
Les Républicains n’inscrivent pas la manifestation de rue, quelque nom qu’on lui donne, au nombre des libertés démocratiques qu’ils garantissent au début des années 1880.
Jusqu’au décret-loi du 23 octobre 1935 qui introduit l’obligation de la demande d’autorisation préalable, cette modalité d’action demeure dépourvue de tout statut. En province comme en banlieue, il n’est pas rare que des maires autorisent les cortèges et manifestations, comme la loi de 1884 le leur permet, en des circonstances jugées rituelles et lors de grèves, en premier lieu. Rien de tel à Paris où toute éventuelle autorisation demeure de la prérogative des préfets de police.
En pratique, l’interdiction demeure la norme jusqu’en 1934. Avant-guerre, les rares exceptions concernent les sociétés patriotiques, de nombreux monômes étudiants et ce qui relève de l’hommage aux morts. Après guerre, elles valent avant tout pour les associations d’anciens combattants de toute obédience. Le très faible libéralisme en la matière ne signifie naturellement pas l’absence de rassemblements ou de cortèges inopinés sur la voie publique. Ces manifestations qui souvent se réduisent à de simples tentatives sont le fait des étudiants, de salariés en grève, des ligues patriotiques, des catholiques en lutte contre les inventaires, de l’Action française, la CGT et de la SFIO auxquels s’ajoutent, après guerre, des anciens combattants, de nouvelles ligues situées à la droite de l’échiquier politique et le parti communiste.
Le quartier Latin, les abords de la première bourse du travail, rue Jean-Jacques Rousseau, la fraction des boulevards située à l’Ouest de la place de la République et l’axe patriotique (Concordeplace des Pyramides avant guerre, Etoile-Concorde après guerre) sont les quartiers les plus concernés.
L’âge classique de la manifestation
1934-1968
Le 6 février 1934, une manifestation des ligues d’extrême droite devant le Palais-Bourbon tourne à l’émeute. Cette manifestation a pour effet paradoxal de libéraliser les usages politiques de la rue dès avant la promulgation de décret-loi d’octobre 1935. Les manifestations de rue jouissent désormais et durablement d’une meilleure tolérance (hormis en plein coeur de la guerre froide et durant la guerre d’Algérie). Elles peuvent, de ce fait, négocier leurs parcours avec les autorités et revêtent plus fréquemment l’allure de cortèges ordonnés, y compris dans les circonstances non rituelles.
De 1934 à 1936, ligues d’extrême droite et organisations antifascistes tendent à se partager la capitale en se déployant respectivement sur l’axe patriotique et dans l’Est parisien. En 1936, la dissolution des ligues et la victoire du Front populaire reconfigurent le Paris manifestant et lui impriment des caractères qu’il conserve, inaltérés, jusqu’en 1968. Les manifestations deviennent le fait presque exclusif des organisations de gauche (au premier rang desquelles les syndicats). Elles tendent à se concentrer dans le triangle République, Bastille, Nation qui s’est imposé en 1936 pour l’espace de la souveraineté populaire.
A l’Ouest de Paris, l’espace de la souveraineté nationale est, en revanche, réservé aux cérémonies et commémorations officielles auxquelles s’ajoutent, à la Libération et jusqu’au début des années 1950 quelques « manifestations de souveraineté », à l’initiative d’organisations de Résistance.
Ces manifestations désormais dotées d’un statut et de territoires sont susceptibles de jouer un rôle politique de premier plan. En 1934 comme en 1938, elles constituent le détonateur d’une crise profonde (6 février 1934, barricades de la rue Gay-Lussac, 13 mai 1968) mais contribuent également au premier chef à la construction d’une issue (12 février 1934, 14 juillet 1935, 30 mai 1968).
La manif en éclat
Années 1970 à nos jours
A partir des années 1970, les manifestations de rue enregistrent une croissance exponentielle. On en recense environ 250 par an en moyenne dans les années 1970, près de 1 500 depuis 2000. Si la plupart sont des rassemblements de faible ampleur, parfois cantonnés sur certaines des esplanades, certaines avoisinent le million.
Ces manifestations sensiblement plus nombreuses qu’avant 1968 sont le fait d’acteurs plus diversifiés avec, aux côtés des syndicats qui en organisent encore plus de 40 %, une multitude d’associations de toute espèce, mobilisées sur des causes éminemment variées. Les territoires et les dramaturgies qui s’étaient imposés entre 1934 et 1968 tendent, en outre, à se brouiller. A diverses reprises, des organisations syndicales ou des composantes des « nouveaux mouvements sociaux » manifestent à l’Etoile ou sur les Champs-Elysées (sans l’aval des pouvoirs publics). En 1984, les partisans de l’école libre convergent a contrario place de la Bastille en empruntant bien des formes convenues des manifestations ouvrières. Les « nouveaux mouvements sociaux » introduisent des dramaturgies étrangères au répertoire d’action traditionnel à dimension médiatique qui, souvent, privilégient des lieux spectaculaires et inédits. Au point que tous les quartiers parisiens sont aujourd’hui, susceptibles d’abriter des manifestations et que les espaces longtemps sanctuarisés (Palais-Bourbon, Elysées…) peinent à le demeurer.
L’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre désormais la manifestation en tant que liberté fondamentale. Cette modalité d’action qui n’est plus que très exceptionnellement interdite a acquis, de surcroît, une évidente légitimité, attestée par la présence d’un chef de l’Etat à la tête de certaines manifestations à caractère éthique. Depuis 1984, elles sont imposées pour une manière de referendum populaire que nul n’aurait décrété.