Box Galerie 102 chaussée de Vleurgat 1050 Bruxelles Belgique
L’oeuvre d’Isabel Muñoz est parcourue de nombreux fils rouges qui la structurent et lui confèrent sa cohérence. Quelle que soit la thématique abordée, il est toujours question du corps, le plus souvent considéré comme un instrument voire comme un véritable mode d’expression.
Avec certaines des séries qui ont assis sa réputation – consacrées au tango, au flamenco, aux danses cubaines, orientales ou khmères –, Isabel Muñoz nous entraîne dans des corps à corps à l’évidente charge érotique. Parades amoureuses strictement codifiées, joutes sexuelles à peine déguisées par la métaphore, il s’agit alors de désir, de rapports de domination, de rencontre et d’étreinte.
De tout cela, la photographe madrilène retient les gestes clés, les isolant volontiers pour en accentuer le sens et la symbolique.
La main de l’homme enserrant la taille de sa partenaire, les jambes des danseurs qui s’accompagnent dans le déséquilibre, une robe qui dévêt plus qu’elle n’habille suffisent ici à évoquer les jeux de l’amour parce qu’il s’agit de moments qui relèvent de l’universel et que, sans qu’il soit besoin de les décoder, Isabel Muñoz a pu les arrêter pour les intégrer à son ode photographique.
En abordant l’Afrique, la photographe y a d’abord cherché à compléter son corpus sur la danse mais, peu à peu, son propos s’est encore épuré pour s’attacher plus expressément au corps lui-même, vecteur de séduction.
Élargissant ainsi son propos, enrichissant sa palette de ces autres manières de s’exprimer sans recourir aux mots, l’artiste montre que, plus encore que sur la danse ou la relation amoureuse, c’est bien sur la chair qu’elle bâtit et articule son oeuvre.
Au Burkina Faso et en Éthiopie, elle a trouvé des modèles dont l’enveloppe charnelle tient lieu tout à la fois d’écriture et d’outil sublime.
Elle porte toujours son attention sur des détails, s’attardant sur le grain des peaux, le ruissellement de la sueur, des lèvres parfaitement ourlées.
On la retrouve alors dans son rapport habituel à la sensualité, là où elle excelle et où ses somptueux tirages au platine font merveille en restituant au mieux la texture des chairs et des étoffes.
ENTRETIEN
Qu’est-ce qui vous attire tant dans la danse, et plus particulièrement dans les danses traditionnelles?
J’y retrouve des gestes essentiels, des sentiments profonds exprimés avec simplicité, directement. Le langage des corps est souvent plus direct que le verbe, il va plus vite au coeur des choses. Et, bien sûr, il est universel, même dans le cas de danses extrêmement codifiées. Et, sans prétendre toucher à l’anthropologie, j’essaie aussi de documenter des formes d’expression qui sont petit à petit appelées à disparaître.
Ce qui m’intéresse aussi dans ces danses traditionnelles, c’est leur métaphore érotique. Le flamenco, la danse du ventre, la danse cubaine, khmère, le tango évidemment, ce sont des ballets de séduction. Comme chez certains animaux, à la saison des amours.
Outre la danse, vous avez aussi réalisé une série sur la tauromachie. Ces univers sontils
proches?
À mes yeux, tout est séduction, sensualité dans la corrida. Le costume, les gestes du torero, la manière dont il s’adresse au toro, ce jeu de la vie et de la mort, la musique qui accompagne la faena, c’est comme une danse d’amour, à la fois primitive et sophistiquées. Une histoire d’amour qui finit mal! C’est aussi, en résumé, l’histoire de l’Espagne et de ses habitants, une histoire faite d’ombre et de lumière, de soleil et de sang. Et, même s’il est difficile de faire de bonnes images pendant une corrida, je la trouve extrêmement photogénique.
Pourquoi ces cadrages serrés?
Je m’arrête aux gestes, aux détails, parce qu’à mon sens, ils en disent autant, sinon plus que le corps en mouvement, que la danse vue dans sa continuité. Les gestes que j’isole, que je fige par la caméra sont toujours emblématiques, caractéristiques de la danse en question. Même lorsqu’il ne voit qu’une main ou un pied, le spectateur sait immédiatement s’il s’agit de tango, de flamenco ou d’autre chose. En regardant d’aussi près, j’insiste aussi sur la beauté graphique de ces gestes.
Vos images ne sont jamais saisies sur le vif. Vous recréez tout pour les besoins de la photographie...
Dans la réalité, je ne trouverais que difficilement l’adéquation voulue entre les danseurs et le décor dans lequel ils évoluent. Quand je ne travaille pas en studio, j’essaie de trouver des lieux qui me semblent appropriés à l’univers de la danse sur laquelle je travaille, comme cette rue d’un quartier pauvre de Buenos Aires où j’ai photographié des danseurs de tango, comme le hammam populaire ou le site des pyramides de Gizeh où j’ai emmené une danseuse orientale.
Le plus souvent, je sais quels gestes, quelles attitudes je veux photographier, et je demande aux danseurs de les refaire devant l’appareil. Mais si tout est remis en scène, je ne travaille qu’avec des danseurs professionnels. Aucun modèle, aussi parfait soit-il, ne retrouvera les mêmes gestes, ne transmettra la même émotion.
Même quand je photographie des nus, j’essaie de faire poser de vrais couples. Un jour, je parcourais une de mes expositions en compagnie d’un ami metteur en scène, et il pouvait dire immédiatement quelles images avaient été réalisées avec des gens qui vivaient effectivement ensemble et celles pour lesquelles j’avais utilisé des «acteurs».
Vous proposez de grands tirages au platine, une technique ancienne peu courante aujourd’hui. Pourquoi ce choix?
Le platine autorise l’emploi de papier plus nobles que les tirages argentiques habituels et permet aussi une plus grande richesse de nuances. Le résultat me semble beaucoup plus sensuel. On a envie de caresser un tirage au platine, son aspect rappelle le grain de la peau. De plus, le platine étant un procédé ancien, il est plus difficile de situer mes images dans le temps, une idée qui me plaît bien.
J’ai travaillé 16 ans pour obtenir le résultat que je désirais avec la technique du platine, rendue plus délicate encore à cause du grand format des tirages. Par le passé, j’ai aussi réalisé des tirages à l’albumine, mais c’est une technique peu adaptée aux grands formats. Il faut émulsionner le papier à l’aide d’un aérosol, et les produits étant nocifs et volatiles, j’ai dû arrêter cette pratique pour des raisons de santé : mes poumons sont aujourd’hui saturés de nitrate d’argent et ma peau ne supporte plus l’exposition au soleil...
On sent chez vous une véritable passion pour la photographie, la vôtre et celle des autres...
Je suis en effet obsédée par la photographie, elle est au centre de ma vie. Tout tourne autour d’elle, de manière frénétique. Même si j’évite les sorties mondaines, je suis toujours heureuse de retrouver d’autres photographes, dont les préoccupations et les univers sont très éloignés du mien, comme par exemple Alberto García-Alix ou Cristina Garcia Rodero.
Biographie
Née à Barcelone en 1951, Isabel Muñoz vit et travaille à Madrid depuis 1970, où elle a étudié la photographie au Foto Centro.
Entre 1984 et 1987, elle s’est initiée aux États-Unis à différents aspects techniques de la photographie et du laboratoire, devenant une grande spécialiste des procédés de tirage anciens, particulièrement du tirage au platine et sur papier albuminé.
Passionnée par le corps et sa représentation, elle a réalisé diverses séries sur l’univers de la danse : au tango ont succédé le flamenco, la danse classique, la capoeira brésilienne, la danse orientale, le ballet khmer et la danse cubaine.
Parallèlement, elle poursuit ses recherches sur le corps à travers des images de nu et des séries sur la tauromachie, la lutte turque, les moines de Shaolin, les contorsionnistes chinois de même que sur plusieurs peuplades africaines (en Éthiopie, au Mali et au Burkina Faso).
Plus récemment, elle s’est investie dans plusieurs essais à caractère plus social en photographiant des enfants et des jeunes femme victimes de l’esclavage - entre autres sexuel - dans le sud-est asiatique ou encore les Maras, membres de gangs urbains emprisonnés au Salvador.