« Ayako Takaishi produit des images photographiques subtilement manipulées, dont les connotations tiennent autant des effets picturaux que de la prédation subjectives de son oeil enregistreur.
Rejetant le photomontage, le document ethnologique ou le constat évènementiel, sa curiosité visuelle la porte à saisir dans son appareil, ce que son regard soudain distingue et isole au gré de sa transhumance : paysages urbains ou agrestes, natures mortes ou fragmentsde corps.
Toutefois, elle ne les rend pas dans leur identité première, mais après les avoir soumis au filtre de son imaginaire et de ce qu´elle alimente en son tréfonds, car elle sait qu´il n´y a de vérité qu´au delà du référent, en-de çà de l´enveloppe des formes.
La résultante de ses combinatoires parfaitement maitrisées techniquement, où des flous étudiés rehaussent des détours inespérés dans une heureuse synthèse entre la sobriété et une pudique effusion, ne contredit jamais le passage de l´émotion ».
G.Xuriguera
Murmures d’Ayako
Ayako me montre ses récentes photos.
Je veux en voir d'autres, encore d’autres, c’est beau.
Mais elle refuse, j’ignore pourquoi, d’en faire voir trop.
Il y a une forte retenue dans son acte de montrer.
Bien sûr c’est dépouillé, c’est "zen", dans une lumière tombante
elle-même retenue,
qui donne des airs mélancoliques - si on y tient.
Des airs simplement autres, lointains, porteurs d’une absence.
Elle sait se retenir de tout dire et en dire long dans la retenue,
dans la tenue renouvelée, sereine et tendue et ténue.
ça tient à si peu de choses que ça tient très fort.
Comme le mur désolé de la condition humaine.
J’aime les murs que fait voir et que cache Ayako.
Ils constituent tout un monde, un concentré de la lutte
entre l’immonde et l’ailleurs - d’une absence avertie et solide.
Je crois qu’elle veut nous mettre au pied du mur,
mur écran et miroir et tableau oú s’écrivent par plaques désolées
mais tenaces, les taches et les traces d’une histoire sans fin
dont le mur serait l’inconsciente retenue.
Le mur, face à face du monde avec lui-même
à travers l’homme qui est là, à ses pieds (à s’épier?)
Daniel Sibony
Le sentiment de la réalité
Ayako Takaishi travaille d’abord sur le motif. Comme naguère les peintres. Mais comme tout photographe. Elle observe longuement. S’arrête sur des paysages, sur des objets. Puis les fixe au moyen de son objectif. A les examiner ensuite, une impression ténue de solitude, un silence teinté de mélancolie, saisit le regard. Peu importe d’où ils sont, ils semblent livrés à eux-mêmes, noir et blanc, sépia ou brun, rarement plus colorés, dépouillés, surpris dans la fraîcheur d’un printemps fleuri, dans le dénuement d’un hiver, dans l’effervescence urbaine habilement saturée par des éclats d’images superposées. Et lorsque de vieux outils abandonnés s’emparent du cadre, ils sont là, rouillés ou poncés par l’usure, adossés à un mur soumis au même sort.
Ce n’est que plus tard que ces prises de vue acquièrent cette physionomie. Mieux, cette consistance fine et subtile même quand elle est plus appuyée. C’est dans la chambre noire, en effet, stimulée par le désir manifeste de mettre en évidence la substance des choses que Ayako Takaishi s’attelle à la faire surgir. Par le jeu de manipulations patientes affleurent des textures, des tonalités, des palpitations et plus largement des climats qui insufflent aux images cette dimension picturale dont elles sont à priori et communément dépourvues.
Ainsi, Akayo Takaishi bâtit une iconographie nourrie de connivences avec la peinture. Pour autant, le propos n’est pas d’opérer pareille conversion. Il s’agit plutôt de s’évader du champ strict des apparences afin d’expérimenter les potentialités esthétiques du médium lui-même et d’en éprouver les limites. Dans cet optique et avec le savoir faire qui est le sien, la jeune femme s’en remet aux hasards, aux repentirs, aux reprises qui interfèrent inévitablement avec le processus de développement des photos. Sans perdre de vue le cliché initial, celui-ci se précise cependant, grâce aux effets de matière destinés à instiller du corps et du relief au glacis du support de papier. En se gardant de toute ornementation. En prenant soin de ne pas forcer le trait. Mais avec un souci évident de sobriété. Les tirages de Ayako Takaishi prennent alors l’étoffe de véritables compositions. Plus encore, ils se révèlent comme des évocations mentales qui ne font qu’accroître le sentiment de la réalité dissimulé dans la nature des sujets photographiés et que la pellicule ne saurait détecter d’emblée.
Nathalie Cottin