John Stewart est un des piliers de l’histoire de la photographie. On connaît ses collaborations pour les grands magazines américains, son travail dans la mode et la pub. Ce qu’il présente aujourd’hui est tout autre. Il s’agit rien moins que l’envers de cette carrière commerciale, un travail intime d’un grand classicisme avec notamment des séries de nature morte de fruits et de fleurs, des nues, une série de Véronique (photographies de tissus avec plis et empreintes) mais aussi huit photographies inédites du boxeur Mohamed Ali, dont il détient l’exclusivité avant de la céder à Andy Warhol.
L’exposition qui se tient à la galerie acte2 s’intitule avec un brin d’ironie « une rétrospective ». Comment choisir en effet dans une carrière où chaque image est un morceau d’histoire, un concentré de vie, un geste d’esthète ? Plus que jamais, ce sont des œuvres essentielles qui ont été sélectionnées, ce choix procédant tout autant d’un œil de peintre que de la technique photographique. En témoigne l’utilisation du tirage Fresson, lequel exige un développement par la lumière du jour et l’utilisation de pigments naturels pour révéler toutes les subtilités de la lumière caressant l’objet photographié.
Cette sélection de photographies relève d’un choix aussi précis que dégagé de toutes contingences pour une vie hors du commun d’un homme qui traversa les grands événements du siècle précédent avec le détachement d’un dandy anglais.
John Stewart est l’homme de toutes les aventures : la captivité en Thaïlande par l’armée japonaise durant la seconde guerre mondiale, l’excitation créative du Harpers’ Bazar entre Richard Avedon et Irving Pen, la rencontre avec Mohamed Ali dans les années 70, celle du continent asiatique et de la spiritualité boudhiste, autant d’épisodes qui ont inspiré un écrivain tel que Jonathan Littell pour lui consacrer un texte (parution aux Editions Verlhac en septembre).
Le travail de John Stewart s’inscrit dans une recherche classique ou éclectisme des cultures et notion du temps passant se font échos. A travers ses œuvres, c’est l’appréhension par l’homme de sa place dans le temps et dans l’espace qui est mis en image.
Son travail est celui d’un artiste aux influences fortes et variées. De la peinture à la culture Zen en passant par le voyage, John Stewart n’a de cesse d’explorer, de méditer en ce sens pour faire du temps une matière : celle de la photographie.
Toute son influence de la culture orientale marque une transition dans son évolution. Il s’agit de la respiration du vide, de cette façon de concevoir la photographie comme un autoportrait ou la personnalité de l’artiste se révèle, se développe dans son œuvre avec cohérence.
Son style est tout aussi marqué par le choix d’un tirage artisanal. En effet, ses photographies prennent vie grâce au tirage Fresson. Ce tirage au charbon dénué de tout procédé chimique dote ses photographies d’une large durabilité. Il s’agit presque d’un retour au pictorialisme, à une subtilité esthétique évoquant l’estampe par cette palpable profondeur du noir et blanc.
Aujourd’hui ce sont les nouvelles technologies qui attirent l’artiste lui permettant un retour à la couleur. Il réalise ainsi quelques séries comme celle de l’entropie et des plis drapés.
Il nous présente alors des images qui ordonnent ce qui est désordonné et expose une vision toute particulière.
La photographie de John Stewart revendique l’individualité humaine. Il s’agit de la différenciation de chaque personne. Il offre aux spectateurs de ses œuvres une possibilité de découvrir leur propre sensibilité, leur propre personnalité.
La beauté de ses photographies se révèle également par l’essence du sujet qui la regarde créant ainsi l’instant de contemplation permettant de joindre intellect et émotionnel au profit d’un regard esthétique propre.
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Né à Londres et élevé en France, John Stewart est appelé en 1939 à servir dans l’armée britannique. Durant cette longue période il est fait prisonnier des Japonais en Asie du Sud-est et participe à la construction du pont de la rivière Kwaï. Cette expérience provoquera chez lui un intérêt constant pour l’Asie.
Au retour de la guerre, il rencontre Henri Cartier-Bresson en 1951 à Vence et découvre la photographie. Ses reportages sur Picasso, Matisse et Saint Paul de Vence le font connaître.
Il décide alors qu’il sera photographe et s’établi à New York. Il est alors repéré par Alexei Brodovitch, le célèbre Directeur Artistique du magazine HARPER’S BAZAAR dont il rejoint le team photographique aux cotés de Richard Avedon et d’Irving Penn.
John Stewart y installe son premier studio et travaille ensuite pour les agences de publicité et les grands magazines comme VOGUE ou FORTUNE.
En 1965 Stewart décide de rentrer en Europe avec sa famille. A Paris, il travaille toujours pour les plus grands magazines de mode, mais très vite il se lance dans une nouvelle phase, une expression personnelle, à travers un aspect plutôt rare en photographie : la nature morte.
Les voyages ont occupé une grande place dans sa vie et sa carrière. En 1958, à Ceylan, il est engagé comme conseiller technique du film : Pont sur la Rivière Kwai, et en 1979 il est le premier des anciens prisonniers à retracer la route et les camps jusqu’en Birmanie. Il réside au Ladakh toute l’année 1981 et en 1996, avec trois compagnons il passe deux mois dans une partie du Tibet fermée aux étrangers. Ces diverses expériences seront une nouvelle base à des travaux photographiques personnels.
En 1996 il fonde avec Michèle Claudel une ONG –une organisation caritative – « IRIS » pour les soins des yeux au Cambodge mais également au Laos et au Népal.
En plus de ses livres photographiques (24 Still - Lives et Gravitas ), Stewart a publié ses mémoires de guerre ( Kwaï ), un livre d’enfants, des articles historiques sur les éléphants et des récits de voyages.
Bien qu’il vive une partie de l’année à Paris, sa base de travail se situe en Provence où il a studio, archives et laboratoire.
Il fera sa première exposition à New York en 1975, ses photographies sont dans la collection du MoMa, dans d’autres musées aux Etats-Unis et dans de nombreuses collections privées.