Les oubliés du train
Une locomotive… Pour ramener chez elles, au Nagorno-Karabakh ou Haut-Karabagh, les milliers de personnes qui vivent depuis plus de 14 ans dans des wagons marchandise. Nagorno-Karabakh signifie jardins noirs du fait de ses montagnes et de la fertilité de ses terres. Ici, à Saatly et Imisli, pas de montagnes, mais des wagons marchandises bloqués sur des terres arides, où poussent pastèques et pompes à pétrole.
Le Haut-Karabagh est une région autonome de l’Azerbaïdjan, peuplée majoritairement d’arméniens et située à 270 kilomètres à l’ouest de Bakou, la capitale.
En 1991, après l’éclatement de l’URSS, l’Azerbaïdjan et l’Arménie deviennent indépendants. Peu après, le Haut-Karabagh proclame son indépendance, mais celle-ci n’est pas reconnue par la Communauté Internationale.
En 1992, l’Azerbaïdjan souhaite récupérer ce territoire mais l’Arménie s’y oppose. Résultat : des deux côtés, un même nettoyage ethnique, l’Arménie expulse les Azéris et l’Azerbaïdjan les Arméniens. 120 000 Arméniens et 80 000 Azéris déportés. Un cessez-le-feu est conclu en 1994 entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et les rebelles du Haut-Karabagh, mais la paix demeure précaire…
En 1998, les expulsions continuent. Toute la population non-arménienne est chassée du Haut-Karabagh et de l’Arménie. 1 million de déplacés se réfugient sous tente, dans des baraquements ou dans des wagons. Ceux que l’on appelle les déplacés internes, puisqu’ils n’ont pas franchi de frontière, ne bénéficient pas de la même aide que les réfugiés. Aujourd’hui, ils touchent 30 000 Manat, soit 5 Euros par personne et par mois du gouvernement. Quant aux organisations humanitaires, cela fait longtemps que les déplacés des différents camps n’en ont plus croisés.
Au fil des ans, les Azéris ont décoré leurs wagons afin de les rendre plus confortables, moins miséreux. Certains se sont même construit quatre murs de terre à l’intérieur du wagon afin de mieux supporter le froid qui, en hiver, peu descendre à moins 30°. Durant l’été les habitants installent leur lit sous les wagons, car à l’intérieur il y fait plus de 40°.
Ce sont les femmes qui règlent et gèrent la vie des wagons. Sans eau potable, sans sanitaire et sans soin, elles luttent tant bien que mal contre les différents maux qui gagnent toujours plus de wagons : diabètes chez les vieux, diarrhées et malformations chez les enfants.
Elles soutiennent les hommes qui souffrent de ne plus pouvoir exercer leur métier : agriculteur, menuisier, médecin, professeur… Cela fait plus de dix ans qu’ils ne pratiquent plus. Parfois, dans la mesure du possible, ils créent des ateliers.
Mais comment enseigner sans livre, soigner sans médicaments? Seuls les agriculteurs plantent entre les voies un petit jardin de fleurs. Pour se prouver qu’ils existent encore, que tant qu’il y a un souffle de vie, il y a un souffle d’espoir.
Ces portraits, ce sont avant tout des regards, des parcours de vie de femmes et d’hommes. Au travers de mes images, je souhaite transmettre la force de leur regard, la beauté de leur personne, des détails de leur quotidien.
Tous ont posé leurs espoirs sur moi et mon travail afin que je puisse parler de leur pays, témoigner de leur situation, d’eux tout simplement… Ils pensent que ma sensibilité de femme pourra toucher les médias… Comment ne pas les décevoir ?
Lors de mes différentes démarches dans les rédactions, on m’a répondu que tant qu’il n’y aurait pas d’attentat dans ce pays, on n’en parlerait pas.