L’exposition Birmanie, rêves sous surveillance est le fruit d’un travail photo réalisé entre 2004 et 2007 en Birmanie et sur la frontière thaïlando-birmane où vivent de nombreux réfugiés birmans. Les auteurs et photographes - Manon Ott et Grégory Cohen - livrent ici leurs regards sur la situation politique et sociale birmane, sur cette société marquée par plus de quarante années de dictature. Une attention particulière est donnée à ceux qui, à leur manière, résistent au quotidien contre ce système oppressif (journalistes, artistes, moines…).
L’ensemble du travail est publié dans le livre Birmanie, rêves sous surveillance aux éditions Autrement (Collection photo – Monde). Le livre est préfacé par Jane Birkin et Robert Ménard (Reporters sans frontières).
En parallèle de ce livre, un cycle d’évènements et d’expositions “Birmanie, rêves sous surveillance” aura lieu en 2008 et 2009 à Paris et à travers la France.
Septembre 2003.
Suite à quelques lectures nous ayant marqués, nous partons en Birmanie, réaliser l’un de nos premiers reportages. Nos intentions étaient alors de faire des images pour témoigner et susciter une prise de conscience des violations des droits de l’homme par le régime militaire birman.
Pourtant, ce reportage peine à aboutir. Tout semble mis en scène pour donner l’illusion d’un décor paisible ; celui du « pays aux mille pagodes ». Un certain nombre de lieux et de régions sont interdits d’accès aux étrangers : les abords de la maison d’Aung San Suu Kyi, les bidonvilles aux alentours de Rangoon ou encore les « zones de conflit » avec les minorités ethniques. L’envers du décor n’apparaît donc qu’à de rares occasions.
Au fil des rencontres et en multipliant les séjours en Birmanie, nous comprenons que loin de résister dans la passivité face à l’oppression de cette junte militaire au pouvoir depuis 1962, une « résistance déguisée » s’organise chaque jour.
Avec quinze noms de plumes différents et un recours constant aux figures de style, Ludu Sein Win multiplie les subterfuges pour contourner la censure. Il refuse de céder à la peur, mais il admet que ce sont parfois ses libertés les plus « intimes » qui lui échappent. « Ils voudraient même contrôler nos pensées ».
Au quotidien, c’est aussi contre l’absurdité, que les auteurs sont contraints de se battre. Tableau interdit pour avoir utilisé de manière excessive la couleur rouge, condamnation à sept ans de prison des Frères Moustache pour avoir ironisé sur la corruption des forces de l’ordre au cours d’un spectacle. Par ces mesures coercitives, la junte espère décourager tout esprit de dissidence.
Pourtant, à y regarder de plus près, entre les lignes ou en privé, un certain nombre d’attitudes et d’actions sont l’expression d’un non-conformisme politique. Aussi épars et anodins qu’ils puissent sembler, ces comportements n’en sont pas moins des signes de courage et d’insoumission. Le signe que, peu à peu, la dictature se fissure.
Ce sont donc ces cultures que le pouvoir démantèle mais qui renaissent, ces histoires de vie détournées mais pas détruites et ceux qui à leur manière résistent au quotidien qui retiennent notre attention. Nous oublions peu à peu notre désir de témoigner d’une situation politique pour privilégier l’aspect humain et personnel du vécu sous dictature.
En même temps que notre itinéraire en Birmanie est guidé par ces rencontres, nous déambulions dans les rues de Rangoon à la recherche de scènes et d’indices, de regards et d’attitudes qui exprimeraient notre propre ressenti vis à vis de ces histoires birmanes. Plutôt que de chercher à « capter la réalité », nous lui extirpons ce que nous en ressentons en la regardant. Les évènements
ne sont pas spontanément signifiants. Comme un jeu de cartes discrètement jeté au sol, ils prennent leur sens parce que le regard se prolonge sur eux et s’y arrête en les photographiant.