Après plusieurs expositions collectives hors les murs, c’est la première exposition personnelle de cette artiste à Vrais Rêves. Valérie Legembre façonne le matériau photographique à la manière d’un sculpteur,
où elle met en forme, en volume, ses Peaux-de-photos©. Quant aux “puces”, l’une de ses dernières séries, provenant d’une intervention en milieu industriel, Valérie Legembre en explore les limites, celles de
l’infiniment petit ...
LA PUCE A L’OREILLE
Arnaud MAILLET
Plasticienne, Valérie Legembre est la première à avoir su utiliser l’émulsion photographique sans support papier. Ce procédé est si révolutionnaire qu’elle l’a fait breveter en 2007 sous le label Matières multicouches à base d’images photographiques et qu’il a fait l’objet d’une marque déposée : Peaux-de-photos®. Il s’agit de traiter et de maltraiter la photographie d’un point de vue plastique et tactile.
Ces Peaux-de-photos sont en effet le résultat de différentes procédures techniques appliquées à des tirages positifs sur papier, permettant d’arracher l’émulsion à son support. La libération de cette mince couche qui a été préalablement impressionnée, permet de découvrir l’intensité et l’éclat des couleurs. Et d’en conclure, paradoxalement, que le support papier les occultait, il n’ y a qu’un pas que Valérie Legembre a franchi avec un système des boites lumineuses faisant resplendir la matière colorée de ces objets insolites devenus semblables à des vitraux. Mais ces couleurs ont une densité charnelle, concrète. Car la gélatine qui les retient peut, en séchant, prendre dans l’ensemble les formes que l’on souhaite lui donner. L’artiste a alors l’impression de modeler véritablement tant une image que de la couleur pure. La plasticienne brouille ainsi les limites entre les arts, notamment entre photographie et sculpture.
Mais Valérie Legembre a également rephotographié ses Peaux-de-photos et agrandi ensuite démesurément ses tirages afin de perturber la perception que nous avions de ses premières œuvres et de les transposer ainsi dans d’autres domaines de l’imaginaire. A la vue de ces agrandissements nommés (Photos-peaux®), on ne peut s’empêcher de penser à la suggestion des Goncourt dans leur Journal, se demandant si le style n’est pas après tout qu’une question de taille ?
Explorant l’autre voie de sa technique pour cette exposition, Valérie Legembre gratte le support papier permettant ainsi de retracer la genèse de ses œuvres. Ces traces de grattage témoignent de l’actualité de son art puisque « l’art d’aujourd’hui contient pour une large part le principe d’une coïncidence entre l’œuvre et la mise en scène du processus (mental, technique, social, politique) dont elle est l’effet » (Pierre-Marc de Biasi). Les stigmates rouge sang laissés sur le tirage positif écorché vif révèlent le sadisme de ce processus mais encore sa dimension aléatoire : la séparation des différentes couches de couleur est en effet difficilement contrôlable.
Pour Valérie Legembre, les œuvres d’art ne résultent pas toutes d’un concept, d’une idée formée a priori : ses expériences artistiques se fondent, pour une très grande part, sur le hasard qui fournit à notre plasticienne l’occasion de dépasser ses propres limites mentales et intellectuelles. En effet, toute la difficulté est de savoir observer et reconnaître ce qui va constituer ce qu’elle appelle une « surprise », c'est-à-dire une forme ou un effet que l’on n’avait justement jamais vus auparavant. Si le rôle de l’artiste est de nous montrer ce que nous ne pouvions pas voir et de nous apprendre à percevoir ce que nous n’avions jamais distingué jusqu’à présent, il lui incombe aussi d’apprendre lui-même à voir et à percevoir dans un premier temps par une insistance du regard. Car l’observation ne s’apprend qu’en observant, ne s’apprend que d’elle-même, aurait dit Merleau-Ponty. Le titre de cette exposition est donc heureusement trouvé puisque tout l’art de Valérie Legembre est justement de nous apprendre à observer et de nous mettre ainsi la puce à l’oreille…