Les Greniers à Sel rue de la Ville 14600 Honfleur France
A Alep, Payram nous plonge dans un monde hors du temps, celui des antiques savonneries, où le cérémonial des gestes se répète de génération en génération pour fabriquer un produit lui aussi inchangé depuis des siècles. Loin du ciel, en sous sol, dans, les phases du travail se déploient dans l’univers ténébreux, percé d’éclats de lumières fugaces que le photographe affectionne.
Du coeur de son exil, Payram s’est créé un espace mental qui trouve son origine dans des bribes de souvenirs venus de son enfance iranienne. Qu’il le façonne à sa guise pour les besoins de ses natures mortes – qu’il intitule Mémoire – ou qu’il les découvre dans le Bazar de Damas ou dans les savonneries d’Alep, Payram semble habité par la même vision d’un univers ténébreux, percé d’éclats de lumières fugaces, vétuste, marqué par le travail des hommes, poli par leurs gestes répétés, chargé de la mémoire accumulée des générations.
Exilé depuis 1983 suite à la révolution culturelle qui s’est soldée par la fermeture des universités, il ne se sent ni Français ni Iranien ou plutôt, il appartient à ces deux cultures.
« Ce sentiment d’exil m’a permis de faire ce travail photographique » confie-t-il. Travail intérieur qui lui a permis de soigner ses blessures identitaires. C’est en Syrie qu’il a renoué avec son passé.
Dans ces savonneries, à Alep, il nous plonge dans un monde hors du temps, à l’écart de l’évolution technique, un monde où se répètent les gestes de génération en génération pour fabriquer un produit lui aussi inchangé depuis des siècles. Loin du ciel, en sous sol, dans une architecture majestueuse, des ouvriers participent à un rituel lent et précis : dans des bassins de pierre, ils font cuire durant une nuit l’huile d’olive nouvelle récoltée en novembre avec l’eau et la soude végétale. Ils adjoindront à la pâte obtenue la précieuse huile de laurier qui lui donnera ses vertus émollientes et médicinales. Etalée en une immense chape, cette pâte, une fois durcie, sera découpée en cubes qui seront tamponnés pour indiquer la qualité – en partie aléatoire – de la coulée. Puis les savons sèchent pendant neuf à dix mois, disposée en tours qui constituent autant d’architectures improbables et éphémères à l’intérieur de celle – immémorielle - de pierre.
Le photographe, équipé de sa chambre Polaroïd, s’immerge dans cet univers irréel, ouvrier parmi les ouvriers, échangeant avec eux les images fraîchement révélées. Rien d’exotique ici : ce monde lui est trop proche. Si les phases du travail se déploient telles les scènes d’un récit cinématographique, c’est que la photographie est pour Payram la continuation du cinéma – son premier langage artistique - par d’autres moyens.
J.-C. F.