Les Greniers à Sel rue de la Ville 14600 Honfleur France
L’esclavage demeure aujourd’hui encore une réalité bien vivante dans l’île que se partagent la République dominicaine et Haïti. Chaque année, des rabatteurs et des passeurs conduisent vingt à trente mille Haïtiens attirés par la perspective d’un emploi dans les grandes exploitation sucrières dominicaines où ils devront travailler sans relâche, sans véritable salaire et qu’ils ne pourront plus quitter. C’est clandestinement, comme missionnaires que la photographe Céline Anaya Gautier et Esteban Colomar, son ingénieur du son, ont pu séjourner dans plusieurs de ces plantations-prisons. Ce témoignage pudique sur une réalité effroyable nous confronte à un autre monde, qui se dissimule à peine à quelques kilomètres des paradis touristiques.
Si la Convention a aboli officiellement l’esclavage dans les colonies françaises en 1794, celui-ci n’en demeure pas moins aujourd’hui une réalité bien vivante dans l’île que se partage la République dominicaine et Haïti. Chaque année, au moment de la zafra, la récolte de la canne, des rabatteurs et des passeurs conduisent vingt à trente mille Haïtiens attirés par la perspective d’un emploi dans de vastes exploitations sucrières appartenant à de grands propriétaires comme les familles Vicini, Sanjul et Campoyo. Travaillant quinze heures par jour pour des salaires ridicules qui leur sont versés sous forme de bons de ravitaillement valables uniquement dans la boutique du domaine, ils sont logés dans des
baraquements sommaires, dormant souvent à même le sol, sans possibilités de soins médicaux. Sans papiers (ils leur sont confisqués et remplacés par des livrets de travailleurs), surveillés par des gardes armés, il leur est impossible de fuir : certains vivent ainsi depuis trente, quarante ans, des familles demeurent prisonnières depuis plusieurs générations et les enfants nés sur place, qui ne sont reconnus par aucun des deux gouvernements, ne connaissent que cet univers concentrationnaire.
Les appels aux deux États restent vains : ils ont passé entre eux des accords de fourniture de main d’oeuvre et les compagnies sucrières versent au gouvernement haïtien un dédommagement de trente euros par homme. C’est clandestinement, comme missionnaires accompagnant deux pères catholiques, que la photographe Céline Anaya Gautier et Esteban Colomar, son ingénieur du son, ont pu séjourner six mois en 2005 dans les bateys de la région frontalière et de San Pedro de Marcoris. Si la photographe veut avant tout témoigner, agir sur l’opinion, elle n’en cède pas pour autant à la tentaton de l’image-choc et du spectaculaire. Un regard, quelques objets, des corps marqués, des mains, surtout, si locaces, en disent plus et bien mieux sur les souffrances endurées, le temps toujours recommencé, le mince espoir et la dignité indestructible qui, pourtant, résistent à la logique du malheur,
A la pudeur des images, s’ajoute la force évocatrice des documents sonores, comme les chants des braceros, pour nous confronter à un autre monde, qui se dissimule à peine à quelques kilomètres des paradis touristiques vantés par les tour-operators.
J.-C. F.