
Fonds photographique du Glenbow Museum de Calgary
La construction d’un lien ferroviaire reliant les deux côtes du Canada fut l’ultime épisode de la conquête de l’Ouest américain. La Canadian Pacific Railway chargée de cette mission historique engagea des photographes pour couvrir à partir de 1882 tous les aspects de sa réalisation. Leurs images témoignent avec lyrisme de cette épopée qui mettait aux prises le courage, la volonté et l’inventivité des hommes avec les difficultés naturelles et techniques.
La construction d’un lien ferroviaire reliant les deux côtes du Canada fut l’ultime épisode de la conquête de l’Ouest américain. Seize ans après les États-Unis, leur voisin du Nord allait accomplir un exploit qui devait lui permettre d’affermir l’unité de la Confédération et de l’élargir en suscitant le rattachement du Manitoba et de la Colombie britannique.
Les travaux commencent en 1882 et ne nécessiteront que quatre années pour assurer la première jonction entre Montréal et Port Moody, près de Vancouver. Entre-temps, il aura fallu vaincre les difficultés politiques et financières et surtout les obstacles naturels et techniques : le froid qui paralyse en hiver les machines, les équipes et les approvisionnements, la traversée des montagnes Rocheuses réputées infranchissables, la consolidation des terrains instables ou marécageux.
La Canadian Pacific Railway est créée pour la circonstance, dotée par l’État d’une subvention de vingt-cinq millions de dollars et de dix millions d’hectares de terrain. Consciente d’écrire une page historique de l’histoire de l’Amérique du Nord, la compagnie engage des photographes pour témoigner de la réalisation de cet exploit technique, logistique et humain. Ces opérateurs sont inspirés par une vision lyrique de la nature et de la place que l’homme y occupe, caractéristique de la photographie américaine de l’époque. En saisissant les vastes étendues de la Prairie et surtout les grandioses paysages des Rocheuses où s’inscrivent tunnels, constructions anti-avalanches ou viaducs vertigineux, ces photographes attestent le courage, l’inventivité et l’opiniâtreté des hommes. Il n’est pas d’épopée sans souffrance. Aussi la lutte contre la glace et la neige, les accidents, la dureté des conditions de travail et d’hébergement des ouvriers et des ingénieurs sont-ils largement documentés. La modestie des premières gares en bois, des premières agglomérations qui se fixent sur certains des « points d’entretien » jalonnant la voie et qui deviendront parfois de grandes cités, la modification du paysage agricole où se dressent désormais le long de cette même voie les silos à grains, tout cela nous renvoie à l’imagerie de la naissance d’un nouveau monde. À côté de leur aspect spectaculaire, de leur intention documentaire, les qualités esthétiques de ces images – dont certaines annoncent le modernisme photographique du XXe siècle –, leur fraîcheur et leur lyrisme sont ceux d’un art jeune de ses quarante ans d’existence en parfaite osmose avec le dynamisme et la foi dans les capacités humaines qui animent simultanément la première phase d’un capitalisme conquérant et visionnaire et la création de la nation canadienne actuelle.
J.-C. F.