La galerie Defrost consacre une nouvelle exposition personnelle à Erick Derac qui présentera ses dernières séries qui confirment la constante mutation de sa démarche artistique.
L’actualité de l’artiste est riche puisqu’il est présenté à la Galerie Municipale de Vitry du 6 janvier au 17 février, puis le Musée Géo-Charles d’Echirolles lui dédie une rétrospective du 16 mai au 31 aout 2008.
Ces expositions donnent lieu à l’édition d’un catalogue « Érick Derac - Manipulated, composed and designed ».
« La photographie prend parfois le risque de se « décadrer », de devenir « autre chose » que de la photographie. (…) D’ores et déjà, Erick Derac appartient à cette famille de « photographes » atypiques. Les titres de ses séries expriment d’emblée une volonté de refondation (Sources, Chantiers), d’hybridation (Interférences, Contaminations, Partages d’espace), et d’exploration (Dérives) du médium photographique ; et ce, en le malmenant, en le violentant quelque peu (Dissolutions, Altérations, Caviardages). Si les intitulés empruntent tant au vocabulaire médical et laborantin, c’est bien que la démarche relève à la fois de l’opération chirurgicale et de l’expérimentation. »
« Derac innove en mettant au point un protocole technique pour le moins surprenant. Dans un premier temps, et d’une manière certes très « classique », il cible précisément un lieu à photographier. La prise de vue cadre le sujet – souvent des zones industrielles en cours de réhabilitation – d’une manière très composée, stricte, mentale. Mais le cliché réalisé ne constitue qu’un matériau. La seconde phase peut alors débuter, sur la table de l’atelier où l’artiste entreprend un véritable travail de miniaturiste. Derac intervient dans le corps sacro-saint de la photographie : l’ektachrome. Mais c’est un corps mort, le numérique l’ayant relégué au rang d’objet quasi préhistorique. Le geste de Derac est celui d’un iconoclaste, au sens où, paradoxalement, « il détruit parce qu’il veut sauver » (Marie-José Mondzain). »
« Dans les Leurres, 2007, l’ektachrome est poinçonné, criblé de toutes parts, si bien qu’il devient impossible de voir l’image, comme dans les Partages d’espace, dont les « palissades » occultent le paysage initial. Les Points de vue, 2007, quant à eux, apparaissent comme la série jumelle et inversée des Leurres, puisqu’ils sont réalisés avec leurs chutes poinçonnées. (…) Mais Derac dépasse bientôt cette seule volonté d’abstraction initiée avec les Contaminations. En effet, depuis les Partages d’espaces, il ne ressent plus le besoin de photographier : la première phase du processus est éliminée. Dans la récente série Tu n’es poussières, 2007, l’ektachrome disparaît. Ne subsistent que des cheveux, poussières, minuscules fragments de gélatines et d’ektas collés générant des compositions épurées, lesquelles rappellent la peinture de Joan Miró. Le procédé est photographiquement minimal en ce qu’il fait écho à l’essence même du procédé photographique, celui d’une empreinte moulée par la lumière. Mais si la composition est scannée, puis tirée et accrochée comme une photo, en est-ce toujours ? »
Extraits de « La photographie au scalpel », texte de Richard Leydier, contribution au catalogue « Érick Derac - Manipulated, composed and designed », co-produit par la Galerie municipale de Vitry-sur-Seine et le Musée Géo-Charles d'Échirolles.
« Érick Derac fait partie de cette lignée d’artistes qui, des Dadaïstes à Fabrice Hyber, non seulement ne croient pas à une possible pureté du monde, mais font de l’impureté un principe de création. Transparentes et colorées, les photographies de Derac, dans un esprit aussi joyeux que subversif, se glissent entre le monde et nous, altérant l’image lisse que nous pourrions avoir de celui-ci. « Contaminations », « Altérations », « Caviardages » : le nom des séries parle du procédé de réalisation — perturber des images préexistantes en les découpant et en y insérant des éléments hétérogènes — ; procédé qui, lui-même, est à l’image du trouble fondamental des choses. »
« Les transparences impures de Derac nous enseignent donc que le monde ne possède pas de sol ferme, qu’il est fissuré et fragmentaire, tels les « Partages d’espace », dans lesquels se télescopent des espaces différents, rompus eux-mêmes par des bandes colorées.
À travers de telles oeuvres, nous apprenons à voir, c’est-à-dire à admettre que ce que nous prenions pour une réalité complète est une illusion. Les images de la série « Leurre » sont ainsi rendues méconnaissables par les poinçons blancs ou pastels qui les trouent. Mais avant d’être un élément perturbateur, cette neige régulière exerce une fascination dont on pourrait trouver un équivalent dans les multiples yeux scrutateurs des peintures d’Haruki Murakami. Comme eux elle accroche le regard et l’hypnotise.
Bien qu’ils s’emploient à en déjouer les effets, les travaux de Derac usent ouvertement des moyens de la séduction. Les insertions colorées ont un effet de vitrail, les « Poussières » offrent à première vue les silhouettes aériennes et graciles d’une peinture de Mirò, les « Points de vue » se composent en kaléidoscope. Si la réalité est gouvernée par le mensonge des apparences, mais si, derrière, on n’est guère assuré de trouver quelque base solide, alors la séduction, finalement, reste, elle, irréductible, laissant le regard sans repos. »
Extrait de « Éloge de l’impureté », texte de Anne Malherbe, contribution au catalogue « Érick Derac - Manipulated, composed and designed », co-produit par la Galerie municipale de Vitry-sur-Seine et le Musée Géo-Charles d'Échirolles.