C'est en s'inspirant du tableau du peintre René Magritte Jour et Nuit, que l'artiste Leonid Tishkov réalise le premier croquis de son projet Private Moon. Rêvant d'une Lune qui pourrait lui appartenir et qui viendrait éclairer son monde réel, Leonid Tishkov décide de l'emener partout avec lui, et c'est à la Art Kliagma de Moscou, qu'il la présente pour la première fois au public. « Je l'avais accroché à un sapin et le soir venu, les gens découvraient une lumière qui provenait de l'arbre, cela donnait l'impression que la vraie Lune était descendue du ciel pour nous éclairer.
J'ai tellement aimé cette vision fantasmagorique que c'est à ce moment là que j'ai invité Boris à venir prendre une photo.» Le photographe Boris Bendikov, luimême se souvient « [que] rien n'avait été convenu à l'avance, je suis juste venu sur la demande de Leonid. Mais sans avoir pris la photo, et sans imaginer que celle-ci deviendrait la première d'une longue série, je trouvais déjà dans cette scène et la lumière qui s'en dégageait une profonde inspiration poétique».
C'est de cette rencontre entre le photographe Boris Bendikov et l'artiste Leonid Tishkov que naît le projet Private Moon. Pendant plus de deux ans (2003-2005), les deux artistes vont explorer ce projet en alliant mis en scène, photographie, narration et poésie.
Lentement, un vrai travail artistique s'élabore, se contruit où des histoires finissent par se lire et nous faire rêver.
Private Moon est donc un poème visuel qui nous raconte l'histoire d'un homme faisant la rencontre de la Lune avec laquelle il décide de rester pour la vie. « Un jour, au grenier de sa maison, il la trouve tombée du ciel. Avant de venir chez lui, elle s'etalt d'abord cachée du soleil dans un tunnel humide et sombre où les trains qui passalent lul faisaient trés peur. Il la rechauffa d'une chaude couverture et la régala de pommes d'automne, il pris le thé avec elle et quand elle se retabllt, il lui fit traverser en bateau le fleuve pour rejoindre la haute rive, là où poussent des pins. Il descendit dans le monde d'en bas, vêtu des habits de son père mort, il en revint, éclairé par sa Lune.
En passant les frontlères des mondes par d'etroltes passerelles, en se plongeant dans le rêve, afin de protéger sa dimension spirituelle, l'homme se transforme en une créature mythologlque qui vlt dans le monde réel comme dans un conte de fée.
Leonid Tishkov : « Je suis peintre et j’ai souvent croisé dans mon travail le monde du design. C’était des illustrations, des caricatures, mais ça fait 10 ans que je m’occupe de l’art à proprement dit ; installations, peintures, objets. Boris Bendikov est un peintre, mais avant tout il est photographe professionnel mais autodidacte.
Il a travaillé dans le design commercial, dans la photographie, mais les contraintes qu’elles sous-entendaient le gênait. Car si le design peut passer dans le monde de l’art, le designer, lui doit avoir le courage de ne pas prêter attention à ce qu’on attend toujours de lui ; « on a commandé, on a pas commandé. On a payé, on a pas payé, etc. ». Et Boris a eu ce courage là.
Alors l’histoire de ce projet a commencé il y a trois ans, d’une envie assez simple et banale. A l’époque, on m’avait proposé de participer à la Art kliagma, une manifestation où les artistes présentaient leurs performances, exposaient leurs installations, leurs objets. A cette occasion, j’ai voulu réaliser le tableau d’un peintre surréaliste belge ; René Magritte, Jour et nuit. » Et le premier croquis de ce projet m’est tout simplement venu de l’idée de ce tableau. J’ai commandé un light box, La Lune. Quand elle a été prête, je l’ai emmené à la Art Kliagma, et je l’ai accroché à un sapin. Ainsi, le soir venu, les gens découvraient une lumière qui provenait d’un arbre. Cela donnait l’impression que la vraie Lune était descendue du ciel et quelle éclairait le lieu.
J’ai tellement aimé cette impression fantasmagorique que j’ai voulu en garder un souvenir. Et c’est à ce moment là que j’ai invité Boris à venir prendre une photographie. »
Boris Bendikov : « Rien n’avait été convenu d’avance. Je suis juste venu sur la demande de Léonid qui désirait une photographie de cette mise en scène. Mais, c’est alors, que sans avoir pris la photo, et même sans savoir, que celle ci deviendrait la première d’une longue série, je trouvais dans la scène et la lumière qui s’en dégageait une véritable inspiration. » Leonid Tishkov : « Nous avons travaillé sur le projet pendant un an et demi, et lentement, une vraie pratique artistique a pris forme. La prise photographique est l’une des choses les plus difficiles dans la création. Et une poésie s’est élaborée de ce « rien ». Ici, c’est grâce à ce tableau de René Magritte que j’ai décidé de créer une image surréaliste à partir d’un objet pourtant bien réel. Objet, qui part, la suite, devenait objet d’art. » Boris Bendikov : « Chacun à sa manière de créer des images, de les matérialiser, de les exprimer. Mais en réalité, chaque idée a besoin de mûrir en soi même. Pour moi, c’est comme ça, si la réalisation et la conception sont souvent très tardives c’est finalement qu’elles renferment une certaine puissance profonde et intérieure. »
Leonid Tishkov : « Chaque fois, l’image de l’homme apparaît dans les projets. La Lune, (objet) est dans mon atelier, l’homme, c’est moi, mais je ne me sens pas moi.
je me sens comme un étranger que je regarde entrer en contact avec la Lune. Un jour, elle est descendue dans le grenier d’une petite maison aux environs de Moscou. Cette maison, abandonnée par d’anciens forgerons, m’avait toujours attiré. Ici, Boris et moi, nous avons pris la photographie d’un homme impressionné par ce qu’il voit. Et le plus intéressant, c’est que, dans cette photo, la lumière qui se diffus ne provient que des objets présents » Boris Bendikov : « Une belle lumière est rarement utilisée dans la photographie.
Pour ce projet, je n’ai d’ailleurs pas travaillé d’une manière précise, d’un point de vue technique je veux dire, c’était toujours d’une manière intuitive et rapide et en fonction des conditions de réalisations proposées. »
Léonid Tishkov : « Quand on avait l’idée d’une nouvelle prise photographique, je disais qu’on allait la prendre de telle ou telle manière, et Boris ne demandait rien, il arrivait et nous commencions à travailler. Pourtant, je savais que certaines choses étaient très difficiles à réaliser, autant d’un point de vue plastique que technique, mais nous avons peut-être eu de la chance.
Une autre fois, la Lune est descendue dans une maison et s’est installée sur le balcon. C’était celui de l’appartement de Boris et nous nous sommes placés sur le toit de l’immeuble d’en face. Boris dirigeait la mise en scène et il semblait que toutes les fenêtres de la façade étaient les étoiles où habitaient nos voisins. La Lune était placée juste au centre, au milieu des étoiles, c’était formidable et l’ensemble était tellement poétique.
En définitive, il est très important de savoir ce que l’on veut raconter. Si vous voulez parler d’une maison, parler de la vôtre. Si vous voulez parler d’une personne, parlez de vous-même. A l’intérieur de vous, vous avez déjà toutes les clés, vous n’avez qu’à les exprimer. Dans notre projet, tous les sujets sont liés à notre histoire personnelle.
Dans mon art, l’élément poétique est très important. Si la poésie est présente cela signifie que notre création est réussie. Imaginez qu’un croissant de lune est entré dans une maison. Personne n’y prête attention, les gens sont trop occupés à leur affaire, il y a juste une petite fille qui a vu, senti et regardé par la fenêtre.
Nous avons invité aussi la Lune a prendre le thé, et on avait au début, l’idée de mettre un personnage a ses côtés qui le prendrait avec elle. Finalement, c’est quand nous avons supprimé le personnage que nous avons compris ce que nous cherchions ; que tout le monde puisse prendre le thé avec elle. »