Nancy Davenport, Weekend Campus, 2004
DHC/ART Foundation for Contemporary Art 451, rue St-Jean H2Y 2R5 Montreal Canada
Les galeries sont situées aux 451 et 468 St-Jean dans le Vieux-Montréal (Québec, Canada)
Heures d’ouverture > mercredi au vendredi de midi à 19 h - samedi et dimanche de 11 h à 18 h
Les artistes ont la liberté de piller, de contester, d’évoquer ou de réorganiser la culture dans ses innombrables formes, comme s’il s’agissait d’autant de sources et d’archives. Une bonne part de l’art contemporain cite des textes culturels établis – provenant, entre autres, de la culture populaire et de l’histoire de l’art, du cinéma et de la performance –, se les approprie, les réinvente ou les revisite. L’objectif est de générer, à partir de ces sources, de nouvelles significations et une pertinence actualisée, souvent en réitérant leur valeur sous forme d’hommage ou en démontant leurs prétentions sous forme de critique, mais toujours en les détournant vers des horizons nouveaux et mystérieux.
RE-CONSTITUTIONS se compose d’une série de « ré-animations » inspirées de différents films et spectacles télévisuels. Ces manifestations résultent d’une étude et d’un travail sur les artefacts culturels qui les ont nourries. Elles reconnaissent leur héritage et leur dette, tout en pointant en direction des médias comme source de mémoire collective. La présente exposition met également en évidence la difficulté de départager nos propres pensées du tissu vaste et complexe constitué par des textes, des discours et des souvenirs culturels étroitement liés.
Six artistes (Nancy Davenport, Stan Douglas, Harun Farocki, Ann Lislegaard, Paul Pfeiffer, Kerry Tribe) présentent ici des œuvres qui, chacune à leur manière, remettent en scène des films, des spectacles médiatiques, des éléments puisés dans la culture populaire et, dans un cas particulier, des moments privés tirés du quotidien. Certains travaux proposent des objectivations audacieuses de notre monde saturé d’images, alors que d’autres déclenchent une confusion poétique entre mémoire, faits et fiction. En abordant de manière frappante et inventive des enjeux liés à la politique, au spectacle et à la subjectivité, ces relectures de produits ou d’événements culturels passés posent des questions impérieuses sur le présent.
Workers (leaving the factory) (Travailleurs [au sortir de l’usine], 2007) de Nancy Davenport s’attaque latéralement au travail et à la mondialisation en reliant des ouvriers européens et leurs sous-traitants chinois dans une impeccable installation DVD à écrans multiples. Au cœur d’une fresque en mouvement, composée de portraits subtilement animés des deux groupes d’ouvriers, se trouve une séquence en boucle qui suit une longue file d’ouvriers se déplaçant dans des environnements à la fois réalistes et fantastiques, allant de l’intérieur d’une usine à une fusée en orbite dans l’espace. L’œuvre renvoie à deux des premiers films jamais projetés devant public : La Sortie des Usines Lumière (1894) des frères Lumière et Le Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès. Est également présentée Weekend Campus (Campus, le week-end, 2004), une boucle vidéo composée de centaines d’images photographiques, situées à l’entrée d’un campus, composant minutieusement un panoramique sur un cataclysme d’autos en panne, d’accidents horribles et de témoins impassibles, dans un hommage tout en finesse à la célèbre séquence de travelling du film de Jean-Luc Godard intitulé Week-end (1967). Finalement, une sélection de photographies de la série Campus (2004) montre des campus « brutalistes » regorgeant d’effets produits en jouant avec l’éclairage et d’autres phénomènes reliés aux idéaux des Lumières et aux désenchantements d’une révolte qui a échoué.
Inconsolable Memories (Souvenirs inconsolables, 2005) de l’artiste vancouvérois Stan Douglas s’inspire d’un classique du cinéma cubain, Mémoires du sous-développement (1968), de Tomás Gutiérrez Alea, dans lequel un intellectuel bourgeois refuse de s’expatrier après la désastreuse invasion de la Baie des Cochons et la crise des missiles de 1962. L’œuvre de Douglas déplace le cadre temporel à 1980, année où Castro avait permis à des dizaines de milliers de Cubains d’émigrer en Floride à partir du port de Mariel, et propose deux films 16 mm en boucle de durée différente, synchronisés mais en alternance, qui sont projetés simultanément sur un seul écran. Dans ce récit « recombinant », à la fois poétique et intellectuel, dans lequel des fragments d’images et de sons allient séquences fictives aussi bien qu’archives, le passé et le présent se déplacent constamment et occupent différentes positions dans des séquences qui s’entrecoupent et qui génèrent diverses permutations du même récit.
Sans doute le coup de cœur de la Documenta 12, Deep Play (Jeu en profondeur, 2007), du légendaire cinéaste expérimental allemand Harun Farocki, soumet la finale de la Coupe du monde 2006, entre la France et l’Italie, à une stupéfiante analyse formelle. Ayant apparemment obtenu un accès total à tous les documents de la FIFA, Farocki présente un véritable laboratoire de soccer. Douze projections vidéo synchronisées montrent en temps réel les images non traitées fournies par les réseaux de télévision – joueurs en mouvement, évaluations des entraîneurs, diagrammes des passes, représentations assistées par ordinateur et abstraites du match et tous les types d’événements quantifiables en provenance du Stade olympique de Berlin –, accompagnées de trames sonores et de commentaires émanant des communications par radio de la police et des équipes de tournage de la télévision. Cumulativement palpitante, l’œuvre dépeint les choix tactiques et personnels sans fin qui participent au déroulement du match, ainsi que toutes les autres forces qui déterminent l’action et sa consommation en tant que spectacle médiatique regardé par plus d’un milliard de personnes.
I-You-Later-There (Moi-toi-plus tard-là, 2000) est une installation de l’artiste danoise Ann Lislegaard qui propose une reconstitution envoûtante de moments du quotidien. L’œuvre présente une lampe halogène qui projette une forte lumière scintillante sur une boîte creuse mesurant trois par quatre mètres, soit la grandeur d’un écran de cinéma, blanchie à la chaux et posée contre le mur. La lumière scintille au son de la voix psalmodiante d’une femme narrant des activités domestiques, alors que se chevauchent des bruits occasionnels venant de la rue, des tapotements sur un clavier d’ordinateur, des sons de douche et des vocalisations inintelligibles. Des pensées intimes se combinent à la description d’une pièce que cette voix et nous semblons cohabiter. Des moments d’obscurité cèdent soudainement la place à des explosions violentes de lumière, alors que la voix nous invite à projeter nos fantasmes et nos images mentales sur l’écran qui, en fait, a été fabriqué à partir de lattes de bois. Ainsi, la boîte creuse joue le rôle d’une plate-forme ou d’une scène affective qui produit ses propres craquements.
Dans un documentaire pour la télévision intitulé Living with Michael Jackson (2003), le chanteur avouait devant trente millions de téléspectateurs, on s’en rappellera, qu’il partageait son lit avec des enfants. Live from Neverland (En direct de Neverland, 2007) de Paul Pfeiffer s’intéresse au brouhaha médiatique qui a suivi les accusations de maltraitance à enfant portées contre le chanteur et son arrestation pour abus sexuel, lesquelles ont donné lieu à l’un des procès les plus documentés dans l’histoire des États-Unis. Dans une salle, un moniteur rejoue en silence la déclaration de Jackson à la télévision alors qu’il nie les allégations et s’érige en victime des forces policières. Dans une autre salle, une projection vidéo montre un groupe de 80 enfants (40 fillettes et
40 garçons) récitant mot à mot, à la manière d’un chœur grec, le monologue de Michael Jackson. Une correspondance étrange s’instaure entre les deux images, grâce à une re-synchronisation parfaite des expressions faciales de Jackson – ses moindres pauses, inflexions et nuances – pour correspondre à l’interprétation parlée du chœur. Dans Live Evil Bucharest (Mal en direct [Bucarest], 2004), deux minuscules projections dans le coin d’une salle forment une image presque inversée d’un Michael Jackson silencieux en concert. Dans une grotesque mise en forme visuelle du palindrome fourni par le titre [live-evil], l’icône pop sans tête se transforme en une créature proche de l’insecte.
Here and Elsewhere (Ici et ailleurs, 2002) de Kerry Tribe s’appuie sur la série télévisuelle de Jean-Luc Godard et d’Anne-Marie Miéville intitulée France/tour/détour/deux/enfants (1978), dans laquelle un Godard en voix hors-champ menait des entrevues en profondeur, tout aussi controversées que brillantes, avec deux enfants français d’âge scolaire. Dans l’installation de Tribe, deux vidéos sont projetées côte à côte, créant ainsi un raccord visible là où les images se rencontrent. Cette œuvre s’organise, elle aussi, autour d’un entretien à teneur philosophique entre un homme mature en voix hors-champ (l’historien du cinéma britannique Peter Wollen) et une jeune fille précoce (sa fille Audrey). Une méditation discrètement émouvante sur la subjectivité, le désir, la mémoire et l’épistémologie se structure ainsi autour d’une relation entre les images situées de part et d’autre du raccord vertical – séparation qui amplifie les brèches, la discontinuité et le désir contrecarré de la protagoniste de onze ans qui tente d’exprimer une articulation cohérente du temps, de l’espace et de l’identité.
Commissaire : John Zeppetelli