Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
La galerie Les Filles du calvaire est heureuse de présenter Teenage Stories, première exposition personnelle en Belgique de l’artiste photographe Britannique Julia Fullerton-Batten lauréate 2007 du prix de la Fondation HSBC pour la Photographie.
Peu de sujets sont davantage photographiés que les jeunes filles ou les jeunes femmes.
Nous vivons dans une société qui semble parfois gouvernée par les photos de femmes. Des gâteaux aux autobiographies, des astuces marketing les plus éculées aux techniques les plus récentes, elles sont présentes partout. Parvenir à dire quelque chose de nouveau au cœur de cette masse indistincte relève déjà de l’exploit, mais Julia Fullerton-Batten a trouvé un sujet et une manière de le traiter qui nous interpellent totalement.
Elle possède la vision d’un photographe commercial. Utilisant son appareil photo avec une précision extrême, elle ne craint pas de diriger une équipe d’assistants ou de mettre en place des lumières sophistiquées. Cependant, alors qu’un photographe commercial utilise ces outils pour parvenir à la simplicité, Fullerton-Batten réussit à atteindre une exquise complexité.
Si l’on étudie la volonté de Julia Fullerton-Batten d’explorer les grands sujets en détail, l’on constate que clarté ne rime pas nécessairement avec manque de subtilité. Elle n’utilise pas encore les immenses équipes d’un Gregory Crewdson, mais elle partage notamment avec lui le désir de laisser son empreinte sur le plus petit détail de chacune de ses photos. Aucun n’est dû au hasard.
Malgré ce déferlement quotidien d’images de jeunes filles qui ont cessé de nous surprendre, Fullerton-Batten traite d’un sujet généralement plus abordé par la littérature ou le cinéma. L’adolescence, cette phase de transition, semble nécessiter un vecteur tenant compte du temps. Tout en sachant pertinemment que ses photos ne sont pas des moments uniques, Fullerton-Batten a réussi à en faire des plans fixes. Elle me rappelle parfois le grand Bernard Plossu, qui semble avoir le don de photographier l’instant où le présent devient mémoire. Mais alors que lui photographie toujours le point de départ, comme s’il se retournait en continuant à avancer (et alors que les clichés ordinaires fixent ce qui n’est pas encore un souvenir pour y revenir plus tard), Fullerton-Batten prend les souvenirs et les transforme en images totalement abouties. Elle reconnaît volontiers qu’une bonne partie de ses photos sur l’enfance lui ont été inspirées par sa propre expérience. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais elle ne reproduit pas les incidents ni les événements. Elle explore un état d’esprit qui est intéressant précisément parce qu’il s’ignore. Que ce soit en raison d’une certaine maladresse, des changements hormonaux ou simplement de la charge émotionnelle qui s’ajoute à la masse des nouvelles choses que les adolescentes doivent traverser, les jeunes filles de Fullerton-Batten sont en instabilité perpétuelle. Ainsi les attitudes enfantines de l’une, affalée sur un canapé ou faisant le poirier, jupe rabattue sur le visage, répondent-elles aux poses timides et rigides de la suivante. Confiance et insécurité se côtoient, mais pas toujours de manière prévisible. Il n’est en aucun cas évident que les jeunes femmes soient plus certaines de leur place et de leur pouvoir dans le monde que ne le sont les jeunes filles. Dans le monde de Julia Fullerton-Batten, l’enfance avait ses propres certitudes.
Ces photographies n’ont pas de sujet unique (elles sont bien plus complexes que cela), mais jouent chacune avec l’idée de gêne.
Les jeunes filles sont généralement des anonymes, il n’y a aucun modèle professionnel. Elles ont forcément des poses très affectées.
Mais elles jouent aussi un rôle, celui de jeunes adolescentes gênées qui s’oublient parfois dans le rêve ou l’imagination.
C’est complexe et difficile. Fullerton-Batten travaille lentement, mais elle doit aussi réagir promptement pour capter leur humeur changeante au fur et à mesure de leurs passages devant son objectif. Contrairement aux photographes travaillant avec des mannequins, elle ne cherche pas à saisir leur physique, mais quelque chose de beaucoup plus fugace. (...) Parfois, mais parfois seulement, cela fonctionne, même si l’exploitation n’a pas disparu. A ses meilleurs moments, Nan Goldin se montrait aussi mélancolique sur les douloureuses vérités de la jeunesse que n’importe qui d’autre et, dans un registre totalement différent, Bernard Faucon semblait assez généreux pour transposer ses propres rêves dans ses oeuvres. Il faut néanmoins établir des distinctions. Il y a de simples images. Il y a des images autobiographiques, dans lesquelles le photographe et son sujet ne font qu’un.
Et il y a le groupe auquel appartient Fullerton-Batten, celui dans lequel les personnages photographiés sont les acteurs de la pièce inventée par le photographe. Les jeunes filles de ces photos sont deux choses à la fois.
Elles sont des jeunes filles (parfaitement réelles) jetées dans un environnement étrange et réagissant à leur manière. Mais elles incarnent dans le même temps des pensées adultes qui ne sont pas les leurs mais celles de Fullerton-Batten, sur l’état dans lequel elles se trouvent.
La tension qui se dégage de ces photos naît du contraste entre ces deux rôles. (...)
Extrait du texte de Francis Hodgson, Teenage Stories, catalogue de la Fondation HSBC pour la Photographie, 2007