Maison Européenne de la Photographie 5, 7 Rue de Fourcy 75004 Paris France
La Maison Européenne de la photographie présente la première rétrospective consacrée à Valérie Belin, du 9 avril au 8 juin 2008. L’exposition comprend une sélection d’oeuvres issues d’une vingtaine de séries de natures mortes et de portraits, réalisées depuis les années 90. Appuyée sur un protocole précis, la photographie de Valérie Belin frappe par son caractère à la fois spectaculaire et dépouillé, ainsi que par une rigueur qui n’autorise aucune projection ou dérive narrative.
Le corps joue un rôle central dans les photographies de Valérie Belin, dans ses premières séries consacrées au cristal, aux miroirs et aux accidents de voiture, l’humain est présent mais invisible. Pour le Musée des Beaux Arts de Calais, en 1994, elle photographie la collection de robes anciennes du musée, rangées dans leurs boîtes. Ces photographies, réalisées en très grand format, témoignent de l’absence du corps qui les a portées, de manière un peu macabre, les boîtes évoquent des cercueils où le vêtement aurait survécu à son propriétaire.
De suggéré, le corps devient exposé dans la série des Bodybuilders (1999).
Le physique y est là très présent, dans tous les détails des muscles et des veines. Le corps cabossé et métallique des bodybuilders évoque les carcasses de voitures d’une série précédente.
Témoignage du goût de Valérie Belin pour le cérémoniel (les bodybuilders posent après la compétition), les Mariées Marocaines (2000) incarnent également un moment de métamorphose : les mariées sont métamorphosées littéralement par leur parures et symboliquement par le rituel. Ecrasées sous le poids de leurs vêtements richement décorés, c’est moins leur visage que l’on retient que l’aspect monumental qu’elles dégagent. Dans le cas des êtres comme des objets, les sujets chez Valérie Belin, se montrent au-delà de ce qu’ils sont à première vue, au delà d’eux-mêmes.
L’autre thématique au coeur de la démarche de Valérie Belin est celle de la frontière entre vivant et inanimé, entre original et imitation. Cette tension est particulièrement explorée dans les séries de portraits.
Dans celle des Masques (2004), l’inanimé vient à la vie de manière assez dérangeante voire grotesque. Les femmes noires (2001) semblent quant à elles figées à l’état de statues votives ou de masques africains.
Cette dichotomie devient explicite entre les séries des Modèles (2001) et des Mannequins en plastique (2003). Dans la première série, les modèles vivants ont des visages sans expression et l’air absent. Malgré le soin porté aux moindres détails (le grain de la peau, les cheveux, les yeux),les sujets n’offrent aucune individualité. Dans la deuxième série, les mannequins inanimés semblent plus vrais que nature.
Valérie Belin s’est également intéressée à deux autres types de physiques troublants: ceux des Transsexuels (2001) et des Sosies de Michael Jackson (2003). Les transsexuels ont été photographiés au début de leur transformation, au moment précis où le masculin et le féminin se cristallisent sur leur visages dans un effet de morphing. Le visage qui est en résulte est un improbable entre deux, une image quasi virtuelle. Les sosies de Michael Jackson ont eux modelé leur apparence de manière à s’approprier l’identité d’un autre. Bien que les sosies ne se ressemblent pas entre eux, ils ressemblent tous au même modèle.
Dans ses séries les plus récentes, douze jeunes modèles (six hommes, six femmes) et sept jeunes femmes métisses (2006), Valérie Belin utilise pour la première fois la couleur. Malgré cet ajout de réalisme, les modèles ont toujours l’air aussi artificiels, le regard au loin dans le vague. Les jeunes métisses, aux vêtements colorés et aux coiffures très sophistiquées, quoiqu’elles contrastent fortement avec la série des mannequins, ne portent pas de signes identitaires. La typologie est certes différente mais elle constitue un autre style de beauté standardisée.
Catégorisés, les individus et les objets sont toujours sériels chez Valérie Belin, pourtant loin d’être une encyclopédie déclinée par genre, ses photographies dévoilent des êtres aux apparences ambigües, soumis à des métamorphoses physiques ou sociales.
On peut considérer mon travail comme une tentative obsessionnelle d’appropriation du réel ou le « corps », au sens large du terme, jouerait un rôle déterminant. En effet, lorsque le corps n’est pas, à proprement parler, présent dans l’image, une figure, par sa forme allusive, surenchérit l’idée de sa dématérialisation ou de son absence ; lorsqu’au contraire, le corps est explicitement représenté, c’est à l’état de décor ou d’objet singulièrement absent. Ce traitement particulier des êtres et des choses dans mon travail participe d’un intérêt pour une forme d’abstraction dans la photographie. La frontalité absolue du point de vue, la bidimensionnalité radicale, l’absence de contexte et la monumentalité des formats donne valeur d’icône aux divers sujets choisis pour leur puissance à convertir leur image en une forme d’évocation de l’absence. Particularisme, transformation corporelles, observation du détail – mon travail transcende les questions identitaires pour sonder une certaine forme d’existentialisme : cette sensation dont on dit qu’elle fournit « la première impression ».
Valérie Belin