Exposition présentée en collaboration avec la galerie Juana de Aizpuru de Madrid
Du 23 février au 8 mai 2005
“J'ai commencé mon projet en 1999. La photographie était pour moi une
sorte de bouée de sauvetage, une opportunité d'aller vers l'autre, de l'approcher.
Je ne me suis même pas posé la question ; j'ai commencé par un
portrait. C'était un prétexte pour vivre " autre chose ", pour sonder les
destinés humaines aussi distinctes qu'elles puissent être. Je suis allé chercher
chez mes contemporains ; ceux que je croisais dans l'anonymat des
grandes villes, des choses que je ressentais autour et en moi. J'ai également
décidé de laisser parler mon inconscient en lui donnant libre cours.”
Pierre Gonnord
Jamais partie d'un corps n'aura autant suscité la fascination des
hommes, d'un homme. Le visage est à lui seul un mystère, une
chose sacrée. S'il appartient au corps, s'il ponctue le tracé d'une
ligne, il est en même temps son extrémité insaisissable et autonome.
Les portraits photographiques de Pierre Gonnord appartiennent à la
même histoire que les portraits réalistes du Fayoum, peints en Egypte
entre le Ier et le VIe siècle après J-C.. Sans doute constituent-ils un
chapitre annexe de l'histoire de l'art, tant le portrait demeure depuis
des décennies l'obsession première des artistes et des commanditaires.
Au fil du temps, apparaît dans ces visages une seule et même continuité,
un seul et même indice : celui de la fixité d'un regard. Figé
devant l'appareil photographique, la traversée des miroirs optiques
effectuée, l'être offre au photographe – premier spectateur de ses photographies
– l'ultime récompense, celle d'abandonner une part de soimême
à l'autre, celle de découvrir dans le regard de l'autre, ses propres visions, sa propre histoire.
Plus que des visages, ce sont des rencontres que Pierre Gonnord photographie depuis 1999. Elles
sont“une sorte de bouée de sauvetage”, précise-t-il, révélant une
nécessité, celle de ne pouvoir exister que par elles. À travers les portraits
en couleurs de grands formats, d'hommes et de femmes de tous
âges, de conditions sociales et de pays différents, Gonnord part à la
recherche de l'identité, des identités, de la part commune qui relie
chacun de ces hommes et de ces femmes : la “ chose” humaine.
Les portraits de Pierre Gonnord fonctionnent comme des contrepoints
aux portraits froids et distanciés de la nouvelle école allemande,
hérités de l'objectivité de Bernd et Hilla Becher, dont Thomas
Ruff est le plus emblématique représentant. Chez Gonnord, l'héritage
est à chercher dans la peinture des maîtres, qu'il épure avec efficacité
pour ne garder que les jeux d'ombres, les flux de lumière et les
poses hiératiques. Ses sujets appartiennent à une “cour des miracles”
des temps modernes, laissés pour compte de la société, individus à la
marge de la bienséance, derniers rebus à glorifier parce qu'ils vivent
autrement. Ce travail ouvre sur une autre idée de l'humanisme.
Gonnord ne se fait guère d'illusion sur celui que les grands photographes,
au milieu du XXe siècle, pouvaient encore louer. Apothéose
et limites ont depuis été atteintes.
Si humanisme il y a, il ne s'accompagne pas chez Gonnord de sentimentalisme.
Parmi la vingtaine de portraits exposée, un seul semble
faire exception. Le portrait d'Antonio, réalisé en 2004, ouvre la série
comme un “flash back” sur une histoire de la photographie, et rappelle
les personnages photographiés par August Sander dans Antlitz
der Zeit (Visage du temps) en 1929. Gonnord nous montre un
homme à la longue barbe grisonnante, que l'on imagine assis sur un tabouret. On ignore tout de
lui. Démesurées, omniprésentes, travaillées par le temps, ses mains semblent lui courber l'échine
comme un fardeau trop lourd à porter. Une histoire, un passé. Ces mains nous racontent tout
autant que ce regard fuyant, vaguement fixé vers l'extérieur, vers le passé, vers des douleurs contenues.
Entre 1999 et 2005, Pierre Gonnord a cherché “ses contemporains”. Des jeunes Japonais au “look”
branché, fiers et arrogants parfois, Gonnord a poursuivi ses rencontres en s'éloignant des “Down
Town”, pour rencontrer des personnages “plus marginaux, moins préoccupés par leur image et de
tous âges.”
Au-delà de leur beauté singulière, ces “portraits-rencontres”, pointent du doigt les changements de
notre société (les métissages, l'évolution des modes de vie) et constituent un témoignage sincère
sur la vie de nos contemporains.
Jean-Charles Le Saux
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