Galerie Lacen 20, rue de Picardie 75003 Paris France
Entre instantanés et mises en scène, les partis pris esthétiques de Gabriel Jones créent une amorce de fiction dans la combinaison savante du temps et du cadre, de l’ordre et de l’aléatoire, équilibre subtil entre l’artifice et la crédibilité de l’image photographique. Ses photographies sont des images plausibles mais comme décalées, hors du temps et de l’espace de prise de vue, où se heurtent l’absurde et le réel. La juxtaposition de ces éléments construit une complexité visuelle ancrée dans la réalité quotidienne mais aussi distante de celle-ci. Le va-et-vient entre l’aspect d’instantané de photos de rue ou de paysage et la mise en scène donnent à ces images leur étrangeté et leur force de séduction jouant de la tension entre le familier et l’étrange. Entre la gravité d’un geste, et la légèreté d’un autre, il cherche en effet à saisir l’instant précis où le sujet photographié perd le contrôle de lui-même, le corps devenant ici le vecteur d’un récit et d’une émotion à décrypter. Gabriel Jones capture des êtres figés dans un entre-deux, un état d’incertitude qui rejaillit fatalement sur le spectateur comme si chaque image contenait à la fois ce qui se passa en amont, en nous laissant imaginer l’après... telle la scène d’un film coupée au montage. Ces images posent le spectateur dans une situation double : à la fois impuissant à dénouer totalement les tenants et aboutissants de l’histoire qui se trame dans le cadre restreint de l’image mais aussi actif, puisque la circulation de sens énigmatiques instaure nécessairement un dialogue autour de chaque scène. A chacun de scruter l’image qui dans les coins, derrière un bosquet, à l’angle d’un mur révèle ses surprises et soulève des énigmes. Nous sommes alors libres d’interpréter et de reconstituer les histoires qui nous conviennent sans qu’aucune ne prenne le pas sur l’autre mais où toutes coexistent en chacun de nous en fonction de nos affects et de nos expériences propres. Si l’on sent une sorte de désenchantement dans ce travail, celui-ci résiste par la fantaisie et le décalage présents dans cette série. Ce sont des images sans chute mais pas sans heurts où l’œil du photographe donne forme à des émotions, des sentiments impalpables, des instants si brefs que seul l’appareil photographique est apte à saisir. Par un renversement inexplicable, la réalité cadrée par l’artiste devient surréelle. C’est là que réside tout l’intérêt de ce travail dans cette capture si fragile de l’éphémère, dans la saisie si improbable de multiples sensations offertes au regard du spectateur. Charlotte Lorant.