Galerie Kennory Kim 22 rue des Vertus 75003 Paris France
La révolution industrielle a engendré des monuments civils et usiniers souvent originaux et parfois grandioses. Les usines représentaient alors l'image des compagnies, d'où le soin apporté à leur architecture. Que ce soit celles construites par à-coups successifs sur des décennies, formant des ensembles anarchiques mais cohérents, de véritables petites villes, ou encore celles construites comme des monuments à part entière : elles font le paysage et ont marqué la société. Et malgré une reconnaissance récente, un semblant de prise de conscience, ces édifices font souvent l'objet de réhabilitations sans audace ou bien pire encore, de démolition. Hélas, il aurait bien sûr fallu commencer plus tôt à s'intéresser à ces oeuvres, comme l'ont fait bien avant nous les Allemands (les fameux Bernd et Hilla Becher par exemple), un esprit qui a finalement conduit au développement d'une culture industrielle comme on peut en observer de très bons exemples dans la Ruhr et dans la Sarre. La société telle qu'elle est, les spéculations immobilières et le formalisme ambiant tendent vers une aseptisation globale de nos villes, non pas que le paysage urbain se doive d'être un étalage de friches, mais l'avenir même de ces villes récentes construites du 19ème jusqu'au début du 20ème siècle, là où il n'y a ni pyramide, ni château, ni cathédrale réside dans leur capacité à se réapproprier ce sur quoi elles ont prospéré durant des décennies, ou la faculté de réintégration de leur patrimoine industriel et social. Le charme d'une cité réside dans l'histoire que peut raconter une façade patinée, abîmée par le temps, comme on peut le voir à La Havane, à Venise ou à Rome par exemple et non pas dans le crépi rose d'une zone pavillonnaire, d'un mur blanc clinquant ou encore mieux d'un vaste terrain vague (bassin sidérurgique lorrain, bassin minier du nord, Wallonie). On constate cet état d'esprit négationniste particulièrement en terre francophone, où la majeure partie de ce véritable génocide architectural a largement été opéré depuis les années 60 jusqu'aux années 90. C'est cet appauvrissement qui nous a poussé à être de plus en plus réactif et à chercher d'autres vestiges à photographier, à l'étranger notamment. Il s'agit pour nous dans un premier temps de garder une trace, si infime soit-elle, de ces édifices trop souvent méconnus et dans ce statut si symbolique qu'est l'état de ruine. Paradoxalement, cet état de ruine pousse certains monument vers la mort mais peut permettre aussi la conservation "intacte" d'un ensemble ancien, sans modification et modernisation défigurantes, qui de fait représente pour nous une véritable sublimation de ces lieux parce qu'il est le stade ultime de leur vie. Un état éphémère, rare et mystérieux, qui transcende l'architecture en quelque chose de profondément romantique. Un état de grâce, en quelque sorte, qui pousse à l'imagination, l'admiration, la réflexion, et qui rend les notions de vie et de mort, de passé et de présent, de patrimoine et d'héritage véritablement prégnantes.