Expositions du 20/09/2007 au 03/11/2007 Terminé
La Lettre volée Siége social, bureaux, comptoir et lieu d’exposition : Kanal 20 20 Bd Barthélemylaan, B-Brussel 1000 Bruxelles Tel-Fax : +32 2 512 02 88 http://www.lettrevolee.com lettre.volee@skynet.be
Au Moyen-Orient, nouveaux concepts politiques, initiatives diverses et slogans se succèdent, mois après mois, pour remplacer les plus anciens qui sont épuisés. Dans cette partie du monde la pensée abstraite fait généralement long feu. Une référence politique et juridique centrale du conflit Israélo-Palestinien reste toutefois la ligne d'armistice tracée en 1949 à grands coups de crayon vert, et qui, à défaut d'une vision, offre du moins l'opportunité d'une visualisation.
Tant de pierres, ou pire, ont été tirées en travers de cette ligne virtuelle que plus personne n'a vue depuis longtemps, sauf ceux qui vivent dans sa proximité et en perpétuent le souvenir. Le monde entier continue pourtant sans cesse de faire allusion à ce qu'on appelle La Ligne verte. Celle-ci est si bien ancrée dans les esprits qu'on lui accorde encore une valeur politique même si, revendiquée ou contestée, à force d'être ressassée, son invocation résonne parfois comme un pur slogan.
Progressivement tenté, comme tant d'autres avant moi, par une brillante carrière de Messie en cette Terre Sainte, je décidai de faire apparaître la Ligne Verte. Le procédé photographique me servirait de baguette magique. Plus tard, alors que j'hésitais encore entre plusieurs teintes de vert pour mon ruban de douze mètres de long etmes boules à peindre et à placer au milieu de paysages, comme autant d'allu sions virtuelles à la Ligne, certaines personnes osèrent critiquer mes choix : « Mais ce n'est pas le vert de la Ligne Verte », s'exclamaient-ils, comme s'ils l'avaient déjà vue pour de vrai ! Et c'est vrai que lorsqu'on se promène le long de la Ligne au printemps ou en hiver, elle apparaît, en effet, bien verte. Elle se fait pourtant pâle et floue à proximité d'un échangeur autoroutier, au milieu de champs cultivés, de vallées ou de collines désertes et fleuries, de terrains toujours pas déminés et de zones militaires juxtaposant des sections de mur, des barbelés et des grillages qui constituent la finement nommée « barrière de séparation ».
Ce projet est conçu tel un souffle, léger et absurde, venant troubler les grands yeux verts de la solution majoritairement préconisée de « deux États voisins vivant en paix et en sécurité le long des frontières dès 1967 ». Plus utilement, il s'agit de livrer au regard le paysage réel de cette possible séparation politique, là où ce fut déjà le cas par le passé, en espérant améliorer la compréhension des enjeux et des implications d'une telle perspective. Il s'agit ainsi d'encourager l'émergence d'une réflexion critique qui permette d'entrouvrir la porte à des alternatives constructives, en aiguisant la perception de la couleur de cette Ligne, jamais démodée, de son tracé imprécis et artificiel aux quatre coins de cette terre qu'elle entend séparer.
Avec le processus d'Oslo, au milieu des années 1990, la mythique frontière de 1967 est devenue la référence obligée et seule valable dans les négociations en vue de définir les contours finaux d'un improbable État Palestinien « viable » – ou plutôt, pour se faire l'écho d'autres opinions, la continuation d'une occupation israélienne durable.
Les experts clameront sans doute que la Ligne Verte date des accords d'armistice de 1949, signés à Rhodes en l'absence de véritable traité de paix entre le jeune État d'Israël à peine proclamé et ses voisins arabes. Elle ne renvoie donc nullement à la ligne de confrontation des forces en présence avant leur entrée en guerre en 1967. On pourrait cependant s'attendre à ce que la ligne de 1949 soit demeurée inchangée en 1967 mais ce serait faire abstraction des tactiquesmilitaires et économiques des belligérants durant cette période, tendant notamment à pousser la « ligne » de l'autre côté de la zone d'armis tice, là où elle existait, comme dans le Golan et aux alentours de Latroun.
Si l'on en juge par les raccourcis du Mur derrière la Ligne et les profondes intrusions en plusieurs endroits de Cisjordanie – Mur dont la légitimité est au demeurant juridiquement contestée – on ne peut que constater la volonté de pousser toujours un peu plus loin les limites de l'acceptable.
Sa valeur en tant que référence politique demeure néanmoins pertinente, même si elle est saturée de discours israéliens et palestiniens parfois diamétralement opposés. La Ligne a ses adeptes et ses adversaires dans chaque camp, des sionistes religieux et messianiques affirmant l'identité juive éternelle de la Judée et de la Samarie aux Palestiniens les plus radicaux qui refusent toujours de reconnaître Israël; aux fervents de l'option binationale et aux réfugiés palestiniens qui nourrissent l'espoir d'un retour dans leurs foyers désormais situés en Israël et qui appréhendent l'établissement de telles frontières, sans compter les nationalistes et les pragmatistes de tous poils convaincus de la nécessité de la séparation pour des motifs divers. Elle est aussi contestée par ceux qui préféreraient redéfinir des frontières en départageant populations et cultures selon leur présence géographique plutôt que selon les cadres juridiques existants.
Pour toutes ces raisons, la Ligne est aveuglante : elle porte l'espoir de mettre un jour fin aux violences, mais elle demeure artificielle et floue. C'est cette ambiguïté que je cherche à représenter visuellement, à l'aide de couleurs saturées et de matière pastique, en créant un effet de mouvement de la ligne-ruban, ou en introduisant de larges boules vertes dans le paysage : le chemin qui relie deux points peut en effet prendre une infinité de cours, la ligne droite n'étant qu'une possibilité parmi d'autres.
Mon espoir est de communiquer, avec un sourire en coin, ce sentiment d'absurdité qui en saisit plus d'un à l'évocation du partage de cette terre par le moyen de véritables frontières érigées en ces paysages traversés.
Alban BiaussatLa Lettre volée Siége social, bureaux, comptoir et lieu d’exposition : Kanal 20 20 Bd Barthélemylaan, B-Brussel 1000 Bruxelles Tel-Fax : +32 2 512 02 88 http://www.lettrevolee.com lettre.volee@skynet.be