Conférences du 20/07/2007 au 30/07/2007 Terminé
Centre culturel international de Cerisy la Salle 50210 Cerisy-La-Salle, tél. 02.33.46.91.66 e-mail: info.cerisy@ccic-cerisy.asso.fr. Site: www.ccic-cerisy.asso.fr
LITTÉRATURE ET PHOTOGRAPHIE
DIRECTION : Liliane LOUVEL, Danièle MÉAUX, Jean-Pierre MONTIER
ARGUMENT :
Ce colloque se donnera notamment pour ambition de pointer comment les relations entre photographie et littérature, dès les années 1840 et jusqu'à nos jours, ont été porteuses d'enjeux esthétiques, politiques et sociaux majeurs. Il fera le point sur cet objet d'étude relativement nouveau, à la croisée de plusieurs disciplines, mais dont l'actualité de la production scientifique manifeste qu'il intéresse de nombreux jeunes chercheurs.
Trois problématiques organiseront les communications :
– la « Mimesis » littéraire traditionnelle se trouve remise en cause ou en jeu par l'apparition de cette image singulière: quelles sont dès lors les esthétiques induites, en particulier quels « réalismes »?
– comment, par quelles formes conflictuelles, la photographie a-t-elle contribué à engendrer l'esthétique de la « modernité »?
– nombre de livres d'artistes furent réalisés en collaboration entre un auteur littéraire et un photographe (les deux parfois réunis en un seul): quel statut pour le texte et les images, quelle conception de l'objet-livre ces collaborations ou intersections ont-elles pu susciter?
CALENDRIER PROVISOIRE :
Vendredi 20 juillet
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Samedi 21 juillet
Matin:
Jay BOCHNER: Textes vus chez Walker Evans
Charles GRIVEL: Simenon chez Krull
Après-midi:
Table Ronde : L'écrivain en ses images, avec Paul EDWARDS (Tendances nationales et tendances économiques dans la constitution de l'objet photolittéraire), André GUNTHERT (La fabrique de l'auteur en son portrait. Les archives phototographiques de l'IMEC), Paul LÉON (L'écrivain et ses images: le paratexte photographique) et Bernd STIEGLER (L'image de l'écrivain à l'époque de sa reproduction photographique)
Dimanche 22 juillet
Matin:
Jean ARROUYE: Une esthétique du reflet
Laurence GUYON: "C'que c'est beau la photographie"
Après-midi:
Christelle REGGIANI: Subjectivité littéraire et photographie: la naissance du point de vue
Soirée:
Gérard MACÉ: La photo sans appareil
Lundi 23 juillet
Matin:
Emilie PITON-FOUCAULT: Merveille et monstruosité de l'image photographique dans les Rougon-Macquart d'Emile Zola
Marie-Hélène BOBLET-VIART: L'Agrandissement: le roman-photo à la Claude Mauriac
Après-midi:
Leszek BROGOWSKI: Le documentaire: dispositif photographique, dispositif littéraire
Hilde VAN GELDER: Tracer Christian Dotremont
Mardi 24 juillet
Matin:
Marie-Claire BARNET: Poétique de l'identité: Prisonnier au berceau de Christian Bobin
Isabelle ROUSSEL-GILLET: Les paradoxes de la photographie, chez Ernaux et Le Clézio
Après-midi:
Table Ronde : L'espace narratif, avec Cécile CAMART (Photo-romans, livres d'artiste, novélisation: Sophie Calle dans l'édition française des années 1980), Chloé CONANT (Photographie, narration, fiction: le livre photographique contemporain comme objet hybride) et Bernard LAFARGUE (Le temps des avatars virtuels)
Mercredi 25 juillet
Matin & Après-midi:
REPOS
Soirée:
Michel SEMENIAKO: Genèse d'un projet du texte à l'image
Jeudi 26 juillet
Matin:
Véronique MONTÉMONT: Dites voir (sur l'ekphrasis)
Laurence PERRIGAULT: La photographie comme déclencheur de la mémoire, dans Le royaume des voix d'Antonio Munoz Milina et La ferme du Garet de Raymond Depardon
Après-midi:
Table Ronde : Au fil du voyage, avec Pierre-Henry FRANGNE (Photographie d'alpinisme et littérature de montagne) et Evelyne ROGNIAT (Chambres d'écho)
Vendredi 27 juillet
Matin:
Jérôme THÉLOT: Le poétique et le photographique, "deux ambitieux qui se haïssent d'une haine instinctive"
Après-midi:
Table Ronde : Miroir du Moi, avec Marta CARAION (Une problématique promesse de vérité), Anne-Cécile GUILBARD (Le roman du regardeur en 1980: Barthes, Guibert) et Magali NACHTERGAEL (Roland Barthes et les "mythologies individuelles" à la fin des années 70)
Samedi 28 juillet
Matin:
Paul-Louis ROUBERT: Alfred Tonnellé et la photographie, ou les faillites de l'harmonie
Monique SICARD: Quel récit des origines?
Après-midi:
Lawrence GASQUET: Photography Extraordinary ou l'influence de la photographie sur l'œuvre littéraire de Lewis Carroll
Laurence PETIT: "Spectres de Kath": La Photographie "au négatif" de Penelope Lively
Dimanche 29 juillet
Matin:
Jan BAETENS: La question du "récit photographique"
Après-midi:
Irène ALBERS: Proust et l'art de la photographie: le baiser d'Albertine et les photographies de Venise des frères Alinari
Philippe ORTEL: Photographie et genres littéraires
Lundi 30 juillet
Matin:
Conclusions
Après-midi:
DÉPART DES PARTICIPANTS
RÉSUMÉS :
Jean ARROUYE: Une esthétique du reflet
Le roman d'Anthony Burgess, Beard's Roman Women, inclut un cahier de photographies en couleurs de monuments de Rome reflétés dans des vitrines ou des flaques d'eau. Ces photographies, qui sont supposées être celles de Paola Lucrezia Belli, compagne du personnage principal, Ronald Beard, écrivain anglais qui vit à Rome, constituent l'art poétique de ce livre où tout est reflet, dont chaque constituant est en relation de similitude décalée avec un autre. De façon plus générale, englobant tous ces aspects, c'est le statut du roman par rapport à la réalité qu'il décrit et celui de la photographie par rapport aux spectacles du monde qui sont en question dans ce roman réflexif.
Jan BAETENS: La question du "récit photographique"
Le problème dont j'aimerais bien partir est la confusion (systématique à mon sens, et je suis le premier à plaider coupable) entre les notions de "durée", de "temps" et de "récit" dans les analyses temporelles et/ou narratives de l'image. Tout se passe en effet un peu comme si les chercheurs étaient tellement désireux de "déconstruire" le paradigme de Lessing qui oppose arts du temps et arts de l'espace que la moindre trace de durée ou de récit était convertie automatiquement en "récit". Je crois qu'il est temps de prendre quelque distance par rapport à ce désir de temporalisation et de revenir à une approche plus circonscrite du récit dans l'image fixe (je laisse de côté la séquence, qui pose des problèmes singuliers). Ce parti pris suppose toutefois qu'on définisse plus clairement ce que c'est que le récit dans l'image fixe et j'aimerais revenir sur cette question à la fois très ancienne et très contemporaine en m'appuyant sur les travaux de trois auteurs (au moins): Philippe Sohet, spécialiste de la bande dessinée; Emma Kafalenos, narratologue; et Herman Parret, sémioticien et philosophe (on remarquera qu'il manque encore un cognitiviste à l'appel). Dans un deuxième temps, je ferai de mon mieux pour soulever deux questions: a) y-a-t-il, de ce point de vue, une spécificité du photographique (par rapport aux autres types d'images? b) est ce que la photographie a intérêt à se faire narrative (cela va de soi, dira-t-on, mais faudra-t-il justement qu'on en discute)?
Marie-Claire BARNET: Poétique de l'identité: Prisonnier au berceau de Christian Bobin
La communication que je propose s'inscrit dans l'axe de la problématique de l'identité et des figures du Moi en littérature, entremêlée à la question des 'traces' autobiographiques et photographiques, pour reprendre un concept clef de Danièle Méaux ou de Jacques Derrida. Mon étude se focalise sur 4 thèmes déterminants et déclencheurs de nouvelles interrogations quant au statut et au rôle des photographies (les siennes, celles d'un(e) autre, celles des archives de toute une communauté) quand le montage d'un album-récit hybride de Christian Bobin, Prisonnier au berceau (Mercure de France, 2005), livre semi 'photographique', semi 'autobiographique', entraîne les lecteurs vers un flagrant détournement de sujet: c'est sur les traces visuelles et spirituelles d'Emily Dickinson que se lance en effet cet ouvrage. A savoir, en premier lieu, j'examine la question de la re-présentation des origines chez Bobin, en second lieu, la problématique d'un dédoublement complexe, alliant diverses tactiques de distanciation et de rapprochement (entre Bobin et Dickinson, les époques et les lieux), puis, dans un troisième temps, la 'fabrique des images' textuelles ou métaphores (poétiques, surréalistes, voire, 'inqualifiables' pour reprendre la terminologie de Bruno Blanckeman), autant d'échos au curieux album photographique qui s'immisce entre les pages, se met en place en douceur, mais décale progressivement le texte pour le faire basculer dans l'indicible. Dans un dernier temps, mon étude rejoint le quatrième et ultime thème de la mort, idée fixe ou présence-absence qui hante l'auteur, et dont le texte et les photographies troublantes dessinent les contours du spectre.
Références Bibliographiques :
A paraître fin 2006 : M-C Barnet, Eric Robertson, Nigel Saint, eds : Robert Desnos : Surrealism in a New Century (Oxford, Bern : Peter lang, coll. French Identities.
A paraître fin 2006 : M-C Barnet, Edward Welch, eds : Affaires de famille : The Family in Contemporary French Culture and Theory (Amsterdam: Rodopi).
Marie-Hélène BOBLET-VIART: L'Agrandissement ou le roman - photo à la Claude Mauriac
Le dernier des quatre romans de Claude Mauriac qui composent Le Dialogue intérieur, L'Agrandissement, se veut le grossissement, la dilatation de deux des soixante minutes qui occupent La Marquise sortit à cinq heures. "Quelque chose comme un instantané. Un tableau? Mieux: une photographie"(A, 197). Le roman se définit non plus comme narration mais comme description, ou comme texte qui (d)écrit. Les éléments de la fiction sont exposés au présent comme une succession d'instants, et non narrés dans une chronologie qui en subsumerait le sens. Car l'alittérature selon Claude Mauriac se pense au contact et au regard des arts du visible. Elle ne revendique pas pour autant une quelconque illisibilité, mais une évaluation à nouveaux frais de son inscription dans le contemporain. "Agrandir un coin du tableau qui lui-même, dans un autre livre futur, pourrait faire l'objet de la même opération. Et ainsi d'agrandissement en agrandissement, j'obtiendrais le détail essentiel, grossi au point que je n'en perdrais plus rien [ …] la plus infime fraction de temps concevable" (A, 73). "Un livre où tout serait donné dans l'instant, comme sur une photo […] L'immobilisation du temps". Il ne s'agit pas d'un négatif, mais d'un tableau dont tel ou tel fragment pourrait être cadré, isolé, agrandi et présenté sous ce titre : Le Balcon (détail).
Jay BOCHNER: Textes vus chez Walker Evans
En 1929 Evans donne, dans une petite revue new-yorkaise, sa première photographie publiée ainsi que son premier texte publié, une traduction de Moravagine de Blaise Cendrars. Moment charnière pour l'américain qui pensait encore à une carrière d'écrivain. Cendrars, pour sa part, avait déjà tenté une carrière au cinéma et, en 1924, avait publié une collection de "poésies", Kodak (Documentaire). Qu'y a-t-il dans Moravagine et Kodak commes signes annonciateurs de la pratique photographique de Evans, 1) au niveau de son désir d'enregistrer plus que d'écrire; 2) au niveau de la fonction remarquable de l'écriture visualisée dans le champs de la photo elle-même, sujet notoire pour Evans? Et, pour revenir sur Cendrars, quel est le sens de ce Kodak en tant que création écrite puisque ces poèmes ne sont pas exactement de lui mais de faux documentaires américains détachés, cueillis, enfin volés dans un roman populaire français?
Leszek BROGOWSKI: Le documentaire: dispositif photographique, dispositif littéraire
Ma réflexion portera sur le dispositif documentaire: à quelles conditions, dans quelles circonstances, grâce à quels moyens, la photographie de son côté, la littérature du sien, peuvent-elles être considérées comme un document? En effet, aucun témoignage n'est innocent, et même la photographie n'est pas documentaire en soi. Dans le monde spectaculaire d'aujourd'hui, la photographie documentaire est déformée par l'idéologie de l'"instant privilégié". C'est donc le dispositif mis en place autour de la photographie, parfois même invisible dans l'image, qui rend crédible le document photographique, en apportant au spectateur des éléments en fonction desquels il peut juger de l'adhésion de l'image à la réalité (esthétique documentaire) ou, au contraire, de sa futilité (esthétisation idéologique). En partant de cette réflexion sur la photographie, mon exposé interrogera d'abord la façon dont la littérature s'est inspirée et enrichie du regard photographique pour renforcer son aspect documentaire. Comment s'est-elle réfléchie dans le miroir de la photographie? Comment a-t-elle intégré une "pensée photographique" dans la "conscience littéraire"? Ensuite, en prenant des exemples de livres d'artistes, en particulier du Capital illustré de Jean-Baptiste Ganne, publié aux Editions Incertain Sens en 2000, mon exposé analysera le dispositif documentaire comme une construction où le texte et l'image se croisent et se vérifient mutuellement afin d'expérimenter leur relation à la réalité. Des formes littéraires singulières dont il faudra alors parler sont le prix de cet effort documentaire.
Cécile CAMART: Photo-romans, livres d'artiste, novélisation: Sophie Calle dans l'édition française des années 1980
Les livres d'artiste de Sophie Calle proposent une formule originale, qui mêle les techniques du scrapbook à celle de la "very short story". L'imagerie populaire y constitue une source visuelle majeure, comme les emprunts au roman-photo traditionnel. A partir des caractéristiques définies par Anne Moeglin-Delcroix, je propose de montrer comment l'artiste Calle procède, dans ses livres, à une "novélisation" de ses "situations". Cette stratégie éditoriale est à voir comme une "œuvre distribuée" (Gell 1998) recyclage complémentaire aux installations d'objets dans les vitrines de ses "musées personnels", des collections archéologiques au cabinet de Freud.
Marta CARAION: Une problématique promesse de vérité
Je voudrais interroger la tension qui se manifeste dans un certain nombre d'écrits traitant de photographie – qu'il s'agisse de fictions prenant la photographie comme thème ou le photographe comme personnage, ou de textes critiques sur la photographies – entre, d'une part, un pacte d'adhésion implicite qui postule la vieille adéquation entre l'image et la réalité (et donc la vérité de l'image et par là du texte qui s'y réfère), et, d'autre part, une lacune ou un manque au niveau de la représentation du réel (soit que l'image est absente, ou qu'elle est illisible, trompeuse, soit que la photographie ou le photographe se dérobent à leur mission de vérité). Mon intérêt porte, dans ces textes, sur la persistance du pacte de vérité en dépit de son impossibilité flagrante.
Chloé CONANT: Photographie, narration, ficion: le livre photographique contemporain comme objet hybride
Dans le champ des arts plastiques, le dernier tiers du XXème siècle est celui du décloisonnement des pratiques et du tropisme vers le texte. Le statut de l'artiste et le statut de l'œuvre se mettent ainsi à échapper aux définitions tranchées. En ce qui concerne le croisement de la littérature et de la photographie, à côté des cas de collaboration d'un écrivain et d'un photographe pour la réalisation d'un ouvrage précis, de travaux d'illustration ou d'écriture "sur" des images, on observe des trajectoires mixtes du point de vue des médiums utilisés, ce qui pose également la question de la nature du support choisi: exposition-installation, livre d'édition traditionnelle, livre d'artiste, catalogue… ou les quatre à la fois. La communication portera principalement sur Sophie Calle, dont la production manifeste tous les types d'hétérogénéité évoqués. Elle utilise toujours conjointement la photographie et le texte, pour rendre compte de scénarios, de performances et de récits en partie autobiographiques. Elle a collaboré avec des écrivains pour certains de ses projets, elle s'inspire de genres et de démarches littéraires, et on la retrouve même parfois en tant que personnage dans des œuvres de fiction. Son travail est montré sous des formes variées: expositions, catalogues, livres (aux éditions Actes Sud), sans parler de la vidéo et de l'enregistrement audio. Pourront également être évoqués Christian Boltanski, et quelques artistes un peu moins connus pour l'instant: Edouard Levé (dont les textes surprenants sont de véritables performances littéraires, et dont les séries photographiques relèvent du genre fictionnel de la "photographie mise en scène"), et Valérie Mréjen (auteur d'une amusante trilogie autobiographique fondée sur des fragments textuels, et d'œuvres mixtes qui empruntent au genre du reportage). Le "livre photographique" pourrait être une entrée efficace pour aborder cette question complexe de l'hétérogénéité artistique photolittéraire, bien que ces travaux posent tout autant des questions de poétique et des questions liées à l'identité.
Paul EDWARDS: Tendances nationales et tendances économiques dans la constitution de l'objet photolittéraire
De la période 1839-1939, il se dégage à la fois des tendances nationales et des tendances économiques dans la constitution et dans l'évolution de l'imaginaire photolittéraire en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Cet imaginaire est actif sous quatre formes: premièrement, par les discours qui ont accompagné l'avènement puis le triomphe de la photographie, lorsque inventeurs, photographes et écrivains ont tenté de le cerner dans sa dimension sociale, discours qui peuvent servir de repoussoirs ou de catalyseurs pour un écrivain, de la même façon que le possible de la photographie, sans être théorisé explicitement, peut lui suggérer un thème ou une voie esthétique parallèle; deuxièmement, par le portrait qui est fait du photographe professionnel ou amateur dans la fiction qui le met en scène; troisièmement, par le livre de fiction illustré par la photographie d'après nature; quatrièmement, par les études universitaires qui lui sont consacrées.
Référence Bibliographique :
Edwards, Paul, Je Hais les photographes ! Textes clés d'une polémique de l'image 1850-1916, Anabet, Paris, 2006.
Pierre-Henry FRANGNE: Photographie d'alpinisme et littérature de montagne
Depuis l'invention de ce sport qu'est l'alpinisme (fin des années 1850), depuis les photographies des frères Bisson montrant vers 1860 les hommes à l'assaut du Mont Blanc et depuis aussi le commentaire enthousiaste qu'en fit Théophile Gautier (1869) dans Les Vacances du lundi, la relation de l'homme à lui-même, à son corps, à sa liberté ainsi qu'à la nature brute s'est sans aucun doute beaucoup transformée. Depuis les photographies instantanées des années 1890-1900 montrant, mieux encore, les instants fugaces d'une course en haute montagne et les métamorphosant "en un carré durable, portatif, quelque chose désormais et pour à jamais à notre disposition" (Claudel), se sont modifiées encore plus profondément les façons de penser, de représenter, de raconter la montagne et la vie de l'homme en elle. Comment la littérature de montagne (qu'elle soit de fiction ou non) porte-t-elle la marque de ces transformations ? Par quelles opérations maintient-elle en son sein les images de la montagne ? Telles sont les deux principales questions de cette communication.
Références Bibliographiques :
L'Invention de la critique d'art (sous la dir., avec J. M. Poinsot), PUR, 2002.
La Négation à l'œuvre. La philosophie symboliste de l'art (1860-1905), PUR, 2005.
Alpinisme et photographie (avec Michel Jullien), Les Editions de l'amateur, 2006.
Une édition commentée de la Description de l'île de Portraiture de Charles Sorel, L'Insulaire, 2006.
Lawrence GASQUET: Photography Extraordinary ou l'influence de la photographie sur l'œuvre littéraire de Lewis Carroll
Photography Extraordinary est le titre d'une nouvelle de Carroll dans laquelle le personnage voit ses pensées apparaître sur du papier à la manière d'un tirage photographique; il s'ensuit une manière inédite de produire des textes littéraires... Personne n'ignore plus que la photographie a joué dans la vie de Charles Lutwidge Dodgson un rôle tout à fait particulier; je me propose ici d'étudier tout spécialement la relation intime qu'entretiennent photographie et fiction. Les productions littéraires de Carroll furent orientées par sa pratique de la photographie, et cela est par exemple visible lorsqu'on étudie la façon extrêmement rigoureuse dont il élaborait les illustrations de ses œuvres. L'étude de sa correspondance et des textes mettant en scène la pratique photographique fournira ici matière à réflexion, afin de montrer l'impact de ce nouveau médium au sein de l'imagination carrollienne. L'examen de ces relations transesthétiques nous permettra de saisir toute l'importance d'une poétique fondée sur la pensée visuelle, pensée de l'image dont Carroll eut très tôt la remarquable intuition.
Charles GRIVEL: Simenon chez Krull
Je m'intéresse aux formes originaires du roman-photo, bien avant que celui-ci n'en vienne, après la seconde guerre mondiale, à raconter des histoires d'amour dans les magazines pour dames, en Italie d'abord, partout ailleurs ensuite. En effet, le rapprochement de la page et de l'image photographique est irrésistible et ne pouvait pas ne pas conduire à la pensée de l'hybride. Certes, de telles tentatives sont restées, d'abord, relativement, discrètes et ne devaient guère avoir de lendemains. Elles ont, pourtant, ouvert la voie à un récit visuel que le texte tient de plus en plus malaisément en laisse. Suite à mes travaux sur le livre simultané et sur le livre électrique, je rencontre, cette fois, Germaine Krull et Georges Simenon. Le roman policier est, en effet, l'un des biais les plus singuliers par où la photographie vient à la littérature. La Folle d'Itteville (1930), œuvre conjuguée des deux auteurs, sera ce dont il sera, principalement, le cas. Je démontrerai sur pièces que l'image du crime est ce qui fait le mieux parler de soi.
Anne-Cécile GUILBARD: Le roman du regardeur en 1980: Barthes, Guibert
L'étude du personnage du regardeur de photographies, dans La Chambre claire de Roland Barthes (1980) et L'Image fantôme d'Hervé Guibert (1981), vise à montrer qu'il existe une spécificité du spectateur d'images argentiques, celui que Barthes nomme le spectator Au contact de l'image argentique, dont on oubliera un jour les propriétés, la nature du regard change, déterminant la façon dont le sujet se met en scène devant elle pour la dire: l'écriture à la première personne sur la photographie, dont Barthes et Guibert partagent l'invention, fait sens au début des années 1980. Mieux qu'une manie d'écrivain narcissique, ce choix énonciatif sert, par certaines prérogatives inédites accordées au "je", un discours théorique sur la photographie, que Barthes décrivait alors comme "science impossible de l'être unique".
Laurence GUYON: « C'que c'est beau la photographie »
(Citation des Frères Jacques in "Tribulations d'un iconographe", N. Bouvier, Emois, Lausanne, 1986 ; Œuvres, Quarto, Gallimard, p. 1090).
Nicolas Bouvier est à la fois écrivain, photographe et iconographe; c'est dire la complexité de sa relation à l'image. Il écrit d'ailleurs à propos du Japon (qui deviendra Chronique japonaise) : "Il y a une interaction très intéressante entre la photographie et l'écriture. [...] Au moment où je me mettais à maquetter dans ma tête, des couples images-texte se formaient très mystérieusement". Nous laisserons de côté son travail d'iconographe obéissant à des nécessités aussi bien économiques que culturelles et qui, à lui seul, pourrait donner lieu à une communication. Nous retiendrons plus particulièrement la fonction testimoniale, mystique et esthétique de la photographie, en interrogeant le dialogue entre textes et images dans les récits de voyage tels que L'Usage du monde, Chronique japonaise ou Le Journal d'Aran et d'autres lieux. Celui qui aime qu'un visage "reflète une architecture du cosmos" (Routes et déroutes, in Œuvres, Quarto, Gallimard, p. 1315) et considère l'art photographique comme "une machine à parcourir le temps, capable de fixer dans un même cliché l'impermanence d'un instantané et la durée dans laquelle il s'inscrit" ("Notes en vrac sur le visage", in Œuvres, Quarto, Gallimard, p. 702) ne poursuit-il pas à travers littérature et photographie la même démarche, "saisir le monde dans sa polyphonie" ? Ne s'agit-il pas pour l'artiste de disparaître, de s'effacer, de se libérer de la conscience de soi pour permettre "l'irruption du monde dans [sa] maigre carcasse" ?
Bernard LAFARGUE: Le temps des avatars virtuels
A l'image des anciens dieux, Vishnou s'avérant sans aucun doute ici le plus performatif, tout internaute peut aujourd'hui se donner un grand nombre d'avatars virtuels, propres à le représenter et à multiplier ses vies. Depuis une cinquante d'années, la littérature et le cinéma de science-fiction ont mis en scène avec succès cette nouvelle figure de l'existence. En confrontant les romans de Philip K. Dick ou de Michel Houellebecq à des films, des mangas ou des œuvres d'art, je mettrai en évidence l'ambivalence de ce désir d'augmenter ou de prolonger son existence par des avatars virtuels.
Paul LÉON: L'écrivain et ses images: le paratexte photographique
Le coin de table d'Henri Fantin-Latour: Rimbaud boudant à l'écart du groupe, les "nouveaux romanciers" regroupés autour de Jérôme Lindon (archives des Editions de Minuit). Ecrivains et artistes n'ont jamais rechigné à prendre la pose de conserve. Ils ont aussi aimé, au demeurant, la prendre seuls devant le chevalet d'un Girodet ou l'appareil d'un Nadar. Avec l'avènement de la photographie, l'escorte des images qui environnent textes et auteurs s'est mise à proliférer au point qu'il n'est guère exagéré de dire que certaines œuvres ont gagné, à être ainsi étayées, comme une sorte de plus-value. Réunies quelquefois en album par l'auteur lui-même, souvent par ses biographes ("institution", par exemple, des Albums Pléiade), prises entre "mythologies" et "biographèmes" barthésiens, ces photographies (des lieux, des objets, des proches de l'écrivain) constituent un paratexte dont le lecteur — l'imaginaire de lecture — ne saurait se passer. Pour en revenir à Rimbaud, qui dira jamais l'importance de la photographie de Carjat dans la construction du mythe... De ce point de vue, le paratexte photographique nous semble à présent le premier et le plus attesté des liens entre photographie et littérature.
Véronique MONTÉMONT: Dites voir
Dans les rencontres qui s'opèrent entre la photographie et la littérature, le problème de la présentation, ou représentation rhétorique de la photographie sur le mode de l'ekphrasis, est central. Il faut distinguer plusieurs cas de figure dans la coexistence de la photo et du texte, à commencer par les livres où l'image est physiquement présente. Dans ce cas, le texte peut venir la commenter, à des fins identificatoires ou référentielles: de qui s'agit-il, de quoi, où… Mais le commentaire peut aussi, au contraire, créer un décalage entre les systèmes, iconique et textuel, et livrer des indications truquées ou déceptives. L'une des illustrations de ce phénomène est l'œuvre de Sebald. Chez lui, les photos se présentent comme des illustrations, des validations du discours homodiégétique. Or, elles n'ont la plupart du temps pas le même référent que celui que l'auteur leur assigne (certaines photos "familiales" ont même été acquises dans des brocantes). Dans ce cas, la photographie provoque un violent effet d'énigme et renvoie à des démarches comme celles, plus contemporaines, de Boltanski ou de Sophie Calle. Il découle de cette esthétique de la falsification que la représentation photographique la plus vraie n'est pas nécessairement celle qui épouse la surface matérielle des choses et des êtres.
L'ekphrasis, au sens large du terme (celui de description d'une œuvre), constitue une médiation douce lorsqu'elle fait le lien entre un commentaire et une œuvre réelle, visible dans un musée, un livre, ou reproduite en première de couverture de l'ouvrage, comme c'est le cas dans Trois fermiers s'en vont au bal, de Richard Powers. Elle est une sorte de transition entre réel et fiction, une zone où le contenu de l'image, son representamen, sont captés par l'écrivain qui a tout loisir de les refictionnaliser. En revanche, lorsque la photo est physiquement absente du texte, mais qu'elle s'y trouve décrite, la problématique change. En effet, la description peut mettre en jeu un objet iconique fantasmé. Alors, la photo n'existe plus au sens phénoménal du terme, mais apparaît sous la forme d'une représentation textuelle créée ad hoc, pour servir de support à la narration (Antonio Muñoz Molina, Anne-Marie Garat). Son objectif est d'accréditer la fiction, de la "défictionnaliser" par effet de réel, en inventant chercher un point de repère prétendûment extérieur au regard du narrateur. La photo prétendrait ainsi proposer un autre regard, et contribuerait à ce titre à ouvrir une seconde herméneutique des signes de la narration, une polyphonie iconique par division des points de vue. Elle crée également l'énigme, puisqu'il va souvent s'agir d'identifier ce qui figure sur la photo, et peut servir de prétexte à des anisochronies amples, en particulier sur le plan des analepses. A ce titre, elle est un véritable adjuvant du mécanisme narratif, et un redoublement du tropisme vers la représentation, chaque dispositif (texte et image) s'adossant à l'autre pour renforcer sa crédibilité propre.
Dans tous les cas, une relation s'établit, à divers degrés de richesse, qui vont de la légende au véritable prolongement ou amplification de l'image par le texte, en passant par son invention ou sa lecture. C'est tout le rapport à la réalité, et les codes de l'authenticité dans la narration, qui sont questionnés par cette problématique de l'ekphrasis, qui implique aussi l'obligation pour le lecteur de choisir le degré de confiance qu'il souhaite accorder aux témoignages iconiques. Notre projet consiste à examiner ce rapport à travers une douzaine de romans et de textes, notamment autobiographiques, tous mettant en scène la photographie.
Magali NACHTERGAEL: Roland Barthes et les « mythologies individuelles » à la fin des années 70
Les textes de Roland Barthes qui intègrent des photographies sont nombreux et apparaissent de façon régulière dans son œuvre. Il a en effet expérimenté à maintes reprises de nouveaux dispositifs: écriture fragmentaire, autobiographique, classification alphabétique, des exercices de style qui rendent son écriture d innovante tant sur le plan de la forme que du contenu. Si la question du genre a déjà été abordée au sujet des écrits de Barthes, il a été peu fait cas de l'étrange ressemblance qui lie certains de ses écrits à une vague artistique des années 70, le "Narrative art" ou plus précisément la "photobiographie", dans la mesure où elle implique un récit autobiographique illustré de photos. Le point de départ de ce mouvement a été marqué par le concept de "mythologies individuelles", terme employé par Harald Szeemann en 1972 lors de la Documenta 5 de Kassel pour désigner un groupe d'artistes qui utilisait le texte et l'image pour raconter des historiettes, mettre en scène de courtes séquences dans lesquelles le personnage principal était l'artiste lui-même. Comment en effet, depuis les Mythologies jusqu'à La Chambre claire, Roland Barthes a-t-il lui aussi construit une mythographie personnelle illustrée à la manière de ces artistes qui questionnaient alors le récit autobiographique et son intégrité narrative? Les "mythologies individuelles" précédant de peu l'autofiction, entretiennent avec Barthes un rapport de parenté à travers un dialogue formel et conceptuel dont je tenterais, de loin en proche, de démontrer les influences réciproques.
Philippe ORTEL: Photographie et genres littéraires
Les innovations techniques ont-elles influé sur l'évolution des genres en littérature? Poème en prose et daguerréotype, roman policier et photographie, autobiographie et autoportrait photographique, autofiction et photographie numérique suscitent plus d'un rapprochement. A l'inverse, la littérature a-t-elle prêté à la photographie, sinon des traits génériques, du moins des "dispositifs" trans-artistiques, comme l'agencement d'une scène, ou d'un site? Croiser littérature et photographie à travers la question des genres pourrait faire émerger un niveau d'analyse spécifique.
Laurence PERRIGAULT: La photographie comme déclencheur de la mémoire dans Le royaume des voix d'Antonio Munoz Milina et La ferme du Garet de Raymond Depardon
La Ferme du Garet et Le Royaume des voix racontent deux histoires parallèles: l'enfance à la ferme, le refus de devenir agriculteur, le désir d'exercer une profession propice aux voyages. Raymond Depardon et Manuel, leurs rêves réalisés, reviennent alors sur les lieux de leur enfance et réalisent soudain la marque du temps: "quand j'ai pris conscience de cette ferme, tout avait déjà disparu". Tous deux tentent dès lors de faire renaître, par l'écriture, un lieu qui l'urbanisation a profondément modifié et des parents qui ont inévitablement vieilli. C'est en s'aidant de photographies que les deux narrateurs vont écrire le récit de ce qui a été: chez Depardon, elles sont puisées dans les archives familiales, dans ses premières images faites à la ferme et dans les photographies réalisées en 1984 pour la DATAR. Dans Le Royaume des voix, Manuel revit le passé grâce à une malle remplie de photographies ayant appartenu à Ramiro Restratista, le photographe de son village espagnol. "La photographie a quelque chose à voir avec la résurrection", écrivait Roland Barthes dans La Chambre claire: nous nous intéresserons ici à la photographie comme déclencheur de la mémoire, au rôle de l'image dans la construction du récit, à la conscience aiguë du temps qu'implique la comparaison entre ce qui est et ce qui a été.
Laurence PETIT: "Spectres de Kath": La Photographie "au négatif" de Penelope Lively
Cette communication porte sur les liens étroits qui unissent photographie, spectralité et fiction dans le roman intitulé La Photographie de la romancière britannique contemporaine Penelope Lively. Le récit tourne autour de la découverte, dès la première page du roman, d'une photographie compromettante évoquée in absentia, c'est-à-dire jamais reproduite matériellement dans le texte. Au-delà de la présence/absence de cette photographie qui, par le biais d'évocations répétées, "hante" littéralement le récit et l'habite "négativement", c'est en fait tout le roman que l'on peut penser, ou re-penser, en termes photographiques. En effet, grâce au concept photographique de "négatif", à la fois processus et objet d'exposition, on peut dire que le roman dans son intégralité s'apparente à une véritable "révélation" photographique, au sens épiphanique et chimique du terme, conduisant à une "vision en valeurs inversées", qui, comme l'explique Régis Durand, est le propre d'un négatif développé ou "révélé". Et si l'on garde à l'esprit la légende initiale qui accompagnait la photographie, "Négatif détruit, me dit-on", on peut envisager alors que plus qu'une simple "révélation" photographique, ce que le roman met en œuvre, c'est en fait une "révélation" inversée, où l'auteur semble chercher à remonter aux sources de l'image photographique et à tenter de recomposer textuellement le négatif détruit. Dans cette entreprise de restauration du négatif à laquelle s'apparente le roman, on passe donc non pas du négatif à la photographie, mais de la photographie au négatif, c'est-à-dire de la lumière à l'ombre, du plein au vide, de la totalité au néant, et c'est alors le récit tout entier qui se fait "négatif".
Références Bibliographiques :
Barthes, Roland. La Chambre claire. Notes sur la photographie. Paris : Gallimard, 1980.
Derrida, Jacques. Spectres de Marx. Paris : Galilée, 1993.
Durand, Régis. Le Temps de l'image. Paris : La Différence, 1995.
Hart, Janice. “The Girl No One Knew : Photographs, Narratives, and Secrets in Modern Fiction.” Mosaic : A Journal for the Interdisciplinary Study of Literature, 2004 Dec; 37: 111-26.
Lively, Penelope. The Photograph. London: Viking, 2003. Traduit sous le titre La Photographie par Anne-Cécile Padoux . Paris : Mercure de France , 2004.
Sontag, Susan. On Photography. New York : The Noonday Press, 1973. Traduit sous le titre Sur la Photographie par Philippe Blanchard. Paris : Bourgeois, 2003.
Soulages, François. “Du négatif au numérique : rupture ou continuité dans la photographicité ?” Séminaire Ecrit, Image, Oral, Nouvelles techonologies, 1998.
Emilie PITON-FOUCAULT: Merveille et monstruosité de l'image photographique dans les Rougon-Macquart d'Emile Zola
Il nous semble qu'il faille distinguer, chez l'auteur des Rougon-Macquart, deux « états » photographiques: l'élaboration de l'image à son état latent et sa résultante fixée sur le papier. Ainsi si l'album photo de Maxime et Renée Saccard prend dans La Curée un aspect fort négatif, si dans Madeleine Férat un portrait s'avère même maléfique pour la vie de l'héroïne, la métaphore photographique peut également prendre un sens fort différent dans les Rougon-Macquart. On constate ainsi la récurrence dans le cycle d'apparitions imaginées, poétiques, voire irréelles, qui relèvent toutes d'un imaginaire issu de la technique photographique. Zola semble exploiter tout le processus de constitution de l'image: impression d'une matrice par la lumière, développement et latence de l'image, projection sur un support, sont des étapes que nous pourrons examiner dans des romans aussi différents que La Fortune des Rougon, Une page d'amour, La Curée et Le Rêve. Nous proposons de nous intéresser à ces métaphores de la constitution du réel en image photographique latente, en nous interrogeant en particulier sur le paradoxe de leur permanente discordance avec le réel. Merveille magique de l'image latente, incompatible avec le réel, opposée à la monstruosité de la photographie fixée, trop réelle: cette étonnante situation de la photographie dans les Rougon-Macquart, allant au rebours de ses caractéristiques fondamentales, nous amènera sans aucun doute à redéfinir la notion même de réalisme et de constitution du réel en texte.
Christelle REGGIANI: Subjectivité littéraire et photographie: la naissance du point de vue
Il s'agirait d'envisager dans une perspective historique l'émergence dans la prose narrative française, au tournant des XIXe et XXe siècles, de ce que l'on peut qualifier, en paraphrasant Benveniste, d'"appareil formel" du point de vue (avant l'affirmation, dans le second après-guerre, du "roman des points de vue"). Je poserai l'hypothèse que l'apparition, puis la diffusion, du dispositif optique de la photographie n'est pas étrangère à cette émergence d'un nouveau modèle textuel, linguistiquement caractérisé — la métaphore optique du "point de vue" témoignant d'ailleurs sans ambiguïté de son appartenance à l'âge de l'image (texte imprimé, photographie, puis cinéma) qui succède à celui de l'éloquence (1). Il conviendra donc d'éprouver cette hypothèse sur un corpus varié de prose narrative "réaliste", afin de formuler une définition énonciative précise — linguistiquement fondée — de ce qui apparaît dès lors comme un âge photographique de la littérature.
(1) Sur ce point, voir Philippe Ortel, La Littérature à l'ère de la photographie. Enquête sur une révolution invisible, Nîmes, Jacqueline Chambon, 2002.
Evelyne ROGNIAT: Chambres d'écho (à propos des Carnets de Voyages*
Les Carnets de Voyage créent d'étroites correspondances entre textes littéraires et photographies: un assemblage page par page d'écriture et d'image, dans un livre qui a la forme d'un dépliant. Cette communication étudiera les interactions — que densifie la « petite forme » du carnet — entre littérature et photographie; elles s'y contaminent selon deux modes: fragmentation (de la photo) versus continuité (de l'écriture); réalisme (de la photo) versus irréalisme (de l'écriture fictionnelle ou poétique). Ce faisant, littérature et photographie se métissent dans une œuvre expérimentale qui rapproche mais parfois oppose leurs traits spécifiques.
* N°4 : Michel Butor/Denis Roche, L'embarquement pour Mercure
* N°6 : Jean Rolin/ Jean-Christian Bourcart, C'était juste cinq heures du soir
* N°7 : Jacques Serena/ Raymond Macherel, Et pendant qu'il la regarde
* N°8 : Emmanuel Darley/Djan Seylan, Ici, l'inconnu
Paul-Louis ROUBERT: Alfred Tonnellé et la photographie, ou les faillites de l'harmonie
Contemporaine du "Public moderne et la photographie" de Baudelaire, la publication posthume des écrits d'Alfred Tonnellé propose une critique du système photographique autant que de l'image photographique elle-même, indexée sur les théories du langage de Wilhelm von Humboldt, Condillac et Töpffer. Renvoyant dos à dos photographie et réalisme pour en démontrer les faillites, Tonnellé, en marge de la critique d'art, offre en 1859 une analyse inédite du contre-modèle photographique de création inspirée par la théorie des signes, et qui met en doute la prétendue exactitude de l'image mécanique.
Isabelle ROUSSEL-GILLET: Les paradoxes de la photographie chez Ernaux et Le Clézio
La présence matérielle de photographies au sein des récits autobiographiques d'A. Ernaux (L'usage de la photo) et de Le Clézio (Gens des nuages, L'Africain) n'illustre pas mais porte des enjeux identitaires et esthétiques. La photographie structure littéralement le récit de la première, et déjoue les lois du genre chez le second. Si les photographies interrogent a priori le rapport à l'espace (les géographies lecléziennes au lieu du père ou de l'origine, les lieux intimes ernausiens, les objets intermédiaires chez les deux), nous retiendrons les rapports problématiques au temps qui s'y construisent. Le texte leclézien relève autant du récit de voyage que de la méditation sur le pays natal au sens où l'entend Pontalis. Celui érotique d'A. Ernaux est une confrontation à diverses altérités, intrusives. Le corps politique chez Ernaux, corps incorporation d'habitus, est confronté au corps autre et au sexe autre. C'est de l'intrus (Jean-Luc Nancy), auquel contribue le dispositif photographique dans la genèse du récit, que nous parlerons. Comment, chez les deux auteurs, la question du corps et de l'intrusif est-elle travaillée dans le dispositif même photo/texte? La langue est mouvement, entre en tension avec la fixité de l'image, et au deuil qui la travaille. Ces deux récits font résistance et s'écrivent depuis une ontologie du regard hérité de Sartre et de Beauvoir. Chez les deux écrivains, l'invisibilité est au cours du montage photo/texte. Les photographies ne font pas voir, captatio détournée ou déplacée vers le corps absent plus qu'érotique ou vers la mère noire plus que vers le père. C'est dans le rapport, l'entre-deux, que se construit un imaginaire de la naissance à l'œuvre dans les deux textes.
Monique SICARD: Quel récit des origines?
L'abondance et l'importance historique et théorique des textes qui accompagnent, au XIXe siècle, l'émergence des images de type photographique remet en question les trois idées suivantes:
- la photographie n'aurait été accompagnée par la littérature qu'à partir de 1840,
- son possible statut scientifique s'opposerait à tout développement littéraire,
- née d'une source unique, elle aurait suivi un développement linéaire.
Nous proposons, par l'examen du statut de ces différents textes, d'interroger conjointement les concepts de littérature et de photographie. En deçà, il s'agit de montrer comment la prise en compte des modalités de la fabrication des images (la technique) enrichit ces deux concepts et déplace leurs usages. Faire œuvre de recherche sur les tout débuts de la photographie conduit à prendre la responsabilité d'un récit des origines. L'usage désormais banalisé des outils numériques invite à développer des analyses en rhizomes au détriment des schémas linéaires fondés sur la lecture et le livre, ou d'une pensée en arbre, profondément liée aux observations naturalistes. Loin d'un modèle de type Big bang, ce que nous nommons volontiers La photographie pourrait bien être issue d'origines multiples. Une typologie des différents types de "récits des origines" sera proposée.
Bernd STIEGLER: L'image de l'écrivain à l'époque de sa reproduction photographique
La photographie a profondément modifié toute conception du réalisme et de la visualisation en littérature. L'écrivain doit définir son rôle, son esthétique et son regard par rapport à la photographie qui restera un défi pour l'écriture. Je propose d'analyser le portrait photographique de l'écrivain comme une visualisation de ce rapport difficile et ambivalent. Parfois le portrait photographique de l'écrivain devient lisible comme une véritable réflexion du rapport entre l'écriture et la photographie et comme un emblème de sa poétique. Mon exposé tente d'analyser l'histoire de cette mise en scène particulière: à partir du panthéon photographique de la Galérie Contemporaine jusqu'au refus de tout portrait photographique chez Blanchot, Delillo (dans Mao II) et Pynchon, on assiste à une réflexion du statut de l'image photographique et du rôle attribué à la littérature.
Jérôme THÉLOT: Le poétique et le photographique, "deux ambitieux qui se haïssent d'une haine instinctive"
Partant des intuitions de Baudelaire dans le Salon de 1859, il vaut la peine de systématiser les raisons d'une hostilité photophobe à la photographie, quand c'est d'une conscience de soi de la poésie que cette hostilité procède. On gagne à faire valoir ce qui constitue dans l'expérience poétique un privilège de la nuit, auquel sont dues quelques-unes des thèses iconoclastes de poètes adversaires de la photographie.
Hilde VAN GELDER: Tracer Christian Dotremont
Le propos de cette communication, qui porte sur l'importance de la photographie surréaliste dans l'œuvre de Christian Dotremont (1922-1978) est double. D'une part, on voudrait montrer que cette photographie a joué un rôle capital, de déclencheur et d'inspiration, dans la formation de l'artiste. D'autre part, on essaiera de mettre en lumière ses apports à l'évolution ultérieure de Dotremont, tant du côté de l'écriture poétique que du côté de la création visuelle. La photographie surréaliste, et plus particulièrement les images informes de Raoul Ubac, ont permis à Dotremont de prendre ses distances par rapport à l'écriture automatique, qu'il considérait comme trop "idéelle". Grâce à l'exemple de la photographie, Dotremont a su rendre à l'écriture automatique sa dimension tactile, qui grave et trace des mots sur un support matériel. En 1962, l'artiste découvre un "langage visuel" personnel, qu'il va continuer à explorer jusqu'à la fin de sa vie: les logogrammes. Il existe une documentation nombreuse, mais mal étudiée, qui montre clairement que, dans le cas de Dotremont, son écriture à l'encre de Chine sur un papier blanc très épais est inspirée directement par une connaissance profonde, tant théorique que pratique, de la photographie noir et blanc. Son obsession continue d'un processus créateur qui désire exister et persister comme la trace d'une activité qui "a été" (Roland Barthes), permet une nouvelle lecture, proprement photographique, de l'œuvre à partir de 1962. La logique de la trace qu'on découvre ainsi chez Dotremont, apparaît comme très proche de ce qui sera pensé plus tard, à propos de l'art des années 1970, sous le terme d'"index" par Rosalind Krauss. Si tel est le cas, comme on espère pouvoir le démontrer, on doit en conclure que Dotremont est (aussi) un précurseur encore trop inconnu du Land Art.
BIBLIOGRAPHIE :
Arrouye Jean (dir.), La photographie au pied de la lettre, Presses universitaires de Provence, collection « Hors champs », 2005.
Grojnowski Daniel, Photographie et langage, Corti, 2002.
Hamon Philippe, Imagerie, Corti, 2001.
Louvel Liliane, Texte/Image, et Textes/images nouveaux problèmes, Presses universitaires de Rennes, 2001 et 2004.
Méaux, Danièle (dir.), Photographie et romanesque, Etudes romanesques n°10, Lettres Modernes Minard, Caen, 2006.
Ortel, Philippe, La littérature à l'ère de la photographie, enquête sur une révolution invisible. Paris, Chambon, 2002.
Schaeffer Jean-Marie, L'image précaire (Paris, Le Seuil, 1987).
Thélot Jérôme, Les inventions littéraires de la photographie, PUF, 2004.Centre culturel international de Cerisy la Salle 50210 Cerisy-La-Salle, tél. 02.33.46.91.66 e-mail: info.cerisy@ccic-cerisy.asso.fr. Site: www.ccic-cerisy.asso.fr