« Urban Solitude »avec Laurence Bessas / Agnès Doneau / N_VR
Exposition jusqu'au 2 février 2019
Entrée libre
Du lundi au samedi de 14h30 à 18h30
Galerie Depardieu
6 rue du docteur Jacques Guidoni
06000 Nice
Tel 0 966 890 274
www.galerie-depardieu.com
Laurence Bessas
Laurence Bessas, la sculpture comme une respiration
A la sortie des « Beaux-Arts » Laurence Bessas s’était lancée dans la peinture à la main. Refusant les pinceaux et leurs traces hasardeuses, elle plongeait dans la matière, accumulait les couches de couleur, donnant ainsi naissance à des formes en suspens, à d’étranges silhouettes perdues dans l’espace.
Cette petite femme d’apparence fragile avait pourtant l’âme d’un sculpteur et dès qu’elle entreprit la taille directe, cette vocation artistique s’affirma comme une évidence. La pierre et le bois s’imposèrent comme les vecteurs d’une expression que l’on peut qualifier de forte, dense, singulière. Laurence Bessas travaille aujourd’hui le granit, le marbre, le bois, insufflant à la matière un supplément d’âme. Pour elle «Sculpter, c’est projeter dans l’espace son moi qui est mémoire collective et universelle. Sculpter, c’est comme vivre, c’est contracter le temps à chaque respiration».
Ses oeuvres sont précisément captivantes parce qu’elles semblent dépasser leurs contours pour gagner un au-delà invisible, imaginaire, multiple. Une façon très personnelle d’imprimer à la pierre ses émotions. Son oeuvre s’inscrit tout naturellement dans ce thème poignant, la déréliction de l’homme perdu dans une sorte de no man’s land. Urban solitude pour tous ceux qui tentent vainement de gagner une terre meilleure, pour tous ceux qui rêvent d’un ailleurs moins désespérant. Les couleurs et les veinures des bois exotiques qu’utilise Laurence Bessas évoquent les chemins tortueux qu’empruntent tous les errants, tous les migrants de la terre. Et l’on suit leur itinéraire en
contemplant longuement ces sculptures abstraites, parfois imposantes par leurs dimensions mais donnant toujours à penser les contrastes, les vides, les pleins, les trajectoires.
Une réflexion ouverte sur le monde contemporain.
Nicole Laffont
Agnès Doneau
Courbés sous un poids
parfois visible, parfois non,
ils peinent dans la boue ou dans la mer,
penchés, affamés,
des hommes silencieux aux cafetans épais (....)
Cela peut être la Bosnie, la Syrie aujourd'hui,
la Pologne en septembre 39 , la France huit mois plus tard, Thuringe en 45,Somalie ou Afghanistan, Egypte, Palestiniens ...
Et cette oblique, toujours, le corps penché
comme vers une planète autre, meilleure,
avec moins de canons, moins de neige, de vent,
moins d'Histoire (hélas, cette planète n'existe pas il n'y a que l'oblique).
Jambes lourdes
le pas très lent, très lent,
ils vont dans le pays nulle part,
dans la ville personne
sur la rivière jamais.
poème d'Adam ZAGAJEWSKI
N_VR
Urbaines Solitudes
Suite photographique de N_VR
Les solitudes croisées des urbains d'aujourd'hui forment un canevas d'instants de vie que la photographe N_VR a patiemment rassemblés ici.
De Buenos Aires à St Pétersbourg, les grandes métropoles exsudent ce même sentiment chez les humains qui y vivent : ils se sentent minuscules et tout à fait seuls au milieu d'une foule fantasmée à laquelle jamais on ne peut recourir pour sortir de cette solitude.
Chacun, au contraire, est systématiquement et implacablement renvoyé à son statut de minuscule élément d'un processus qui échappe désormais à toute tentative d’humanisation : la grande métropole.
Dans la série d'images présentée ici, la photographe s'attache davantage à rendre l'atmosphère qui entoure les humains perdus dans la ville quelle qu'elle soit qu'à montrer des lieux en tant que tels. Les images ne sont jamais mises en scène et très peu retravaillées (quelques recadrages à la marge, rien de plus)
Urbaines Solitudes
Mais de qui sont-ils le nom, ces femmes et ces hommes surpris de dos dans une immobilité fascinante faisant écho aux paysages miroirs vides de toute existence qui s’étendent devant eux comme les reflets de leur humanité suspendue au fol espoir de renaître de ses cendres ? Visages-Paysages dérobés au flux du temps d’où la vie aurait fui vers quelque contrée inconnue d’eux, ultimes rêves éveillés d’une humanité en voie de déliquescence. Il y a là, dans ces silhouettes absorbées par le trou noir de l’objectif de N_VR, des pulsions de vie que l’on devine en attente d’un je ne sais quoi qui les extrairait de cette stupeur de lave semblant les avoir momifiés à jamais.
Quelles que soient les métropoles, la taille de leur territoire et l’empreinte de celui-ci sur le globe terrestre, ces étendues désertées paraissent toutes offrir le même désarroi, le même reflet du vide de ces vies minuscules prises dans les rets de tentaculaires solitudes urbaines. De Buenos Aires à Saint- Pétersbourg, de Marseille à Bordeaux en passant par Arles, Aix en Provence et Berlin, sourd le même sentiment d’incomplétude générant les mêmes cris rentrés de détresse, toute tentative d’appel étant par avance destinée à ne trouver aucun écho.
De cette mélancolie picturale surgie de quelques failles spatio-temporelles captées - presque - incidemment par la photographe, ressort une inquiétante étrangeté renvoyant à celle ressentie lors de la projection des plans fixes de La Jetée de Chris Marker. Ce sentiment, qui préexistait avant que « la pellicule » ne le révèle, a quelque chose à voir avec le « sentiment océanique » dont parlait si bien Romain Rolland : l’impression fugace d’appartenir à un univers plus grand que soi qui se joue de l’intégrité de chacun en lui tendant le miroir de son absolue solitude.
Yves Kafka (Revue INFERNO)