L’Etreinte du Monde
Exposition du 19.01 au 31.03.2018
Espace Photographique du Leica Store
105-109 rue du Faubourg Saint-Honoré – 75008 Paris
du lundi au samedi de 10 h 00 à 19 h 00
La vie sensible offre au marcheur nomade un élan fluide et naturel dans la matrice du monde. Elle est une illusion de vie érémitique où l’être hypersensible parvient à s’absenter à lui-même et à se concentrer, comme en proie au naufrage d'une vie sociale trop bruyante. Dans son étreinte, douce et silencieuse, il se met à collecter ces images obsédantes, aux motifs récurrents, dont il nourrit sa tranquillité d'esprit : coulures, chaises, déchets, plantes exotiques, jeunes femmes ou vagabonds,... Autant de personnages et d'éléments de décor aux formes imaginaires qui étalent leurs couleurs primaires sur les murs comme des peintures pariétales d'un temps ésotérique (du grec ancien esôteros, « intérieur ») et cyclique. Ni voyage exotique, ni exploration documentaire et programmée de vies extérieures mais simple disposition à la contemplation palpable des choses brutes et « sales », des êtres réalistes dans leur nature profonde et triviale. Un appel à la douceur, constamment remanié, par un être exalté en quête de tranquillité mais jamais coupé du monde.
Le travail photographique de Vincent Delbrouck (Bruxelles, 1975) incarne profondément cette énergie. Il est un appel au voyage intérieur et (anti)poétique, dont s'approche la divagation. Une obsession du détail que sa douce folie transforme par magie en autant d'abstractions poétiques. V.D. est ce personnage qui se rend régulièrement à Cuba, son « terrain de jeu », depuis 1997. Il est également cet homme qui a vécu, avec sa famille, plus d'une année au Népal (2009-2010). Sa pratique photographique s'ancre d’ailleurs aujourd'hui principalement dans ces deux lieux, sacrés pour lui, qu'il arpente sans fausses marques d'authenticité à vendre et en dehors des modes passagères. Vincent Delbrouck n'est pas un touriste ni un journaliste, il ne cherche pas à reproduire un monde pittoresque, mais bien à se fondre dans son environnement pour en saisir les formes multiples de ses propres arborescences en devenir, au-delà des apparences et clichés... Un processus empathique et sans fin, qui provoque d'incroyables accumulations d'images hétéroclites (dont certaines sont assemblées en collages). Il les absorbe et les défait lentement jusqu'à provoquer de petits agencements de crabes ou de mollusques... Le livre (cinq ouvrages publiés à ce jour) est son territoire, un espace vierge et sauvage dont il parcourt les coins les plus reculés, guidé par ses constellations. V.D. déforme la narration qu'il admire dans la littérature. Hanté par la peinture, il recompose ses fragments autonomes en un tout organique et sensible, non chronologique. Aux murs, chaque étreinte expose des fictions de lui-même non résolues. V.D. peint et embrasse le vent, caresse les odeurs et écoute la lumière. Il ne parle pas d'une seule voix mais tente de juxtaposer des images intuitives et multiples, empreintes de sensualité. « Le désir de rendre compte d’une multiplicité désordonnée est fort. Cela mène l'artiste à agencer ses images sous forme de constellations – formes mouvantes, empreintes d’un flux de sensations ; indomptables. V.D. crée ses agencements à partir d’un grand nombre de photographies accumulées au fil du temps. (…) Les constellations de V.D. ne sont pas des mélanges qui seraient des fusions, des osmoses entre les éléments, mais bien des configurations mêlées, en ce sens que s’il s’y produit des croisements, tissages, échanges et partages, ce n’est jamais une seule chose, ni la même. »
Pour cette exposition au Leica Store de Paris, l'artiste a choisi la retenue. Il étreint le monde mais ne s'engouffre pas dans un enchevêtrement chaotique de sensations éclaboussant les murs. Les images forment un fleuve plus tranquille et mystérieux dont il tente d’absorber le courant pour composer un
nouveau poème visuel éclatant.
1 Anne Immelé, « V.D. ou la multiplicité », postface du livre Catalogue (V.D.), Loupoigne, Wilderness, 2016.