Vaincre la mort, c’est le combat désespéré des hommes. Si le corps disparaît, qu’au
moins l’esprit demeure ! Et pour cela, notre seul outil est la mémoire. C’est la trace que
les suivants garderont de ceux qui les ont précédés, et qu’ils lègueront à ceux qui vont
venir.
La transmission est notre unique victoire. C’est pour transmettre et ne rien oublier qu’on
a levé des pierres dans les champs et sur les landes, dressé des pyramides, gravé des
hiéroglyphes sur leurs flancs, transmis la connaissance astronomique et mathématique
dans leurs mensurations. Voilà pourquoi le langage, voilà pourquoi ses traductions en
symboles graphiques ; voilà pourquoi, maintenant, ces fusées jetées vers l’infini,
porteuses de nos savoirs vitrifiés dans la céramique et le cristal.
Entre la pyramide et la fusée, il y eut le livre et, pour le préserver, la bibliothèque. Étape
intermédiaire de l’art et des techniques de la transmission, le livre, avec son papier, ses
encres, ses dessins d’enluminure, son écriture appliquée, le livre – pourtant fragile – a
réussi l’incroyable exploit de garder vivant, durant des millénaires, le flambeau de la
mémoire, entre la table de pierre et le microprocesseur.
Il fallait bien les conserver précieusement, ces joyaux, seuls dépositaires de l’esprit qui
survit à la matière ! Alors on a construit des refuges pour eux. Et même si parfois certains
de ces refuges partaient en fumée, d’autres assuraient quand même la survie de la flamme
allumée, celle de la conscience et de la connaissance – que certains pensent de nature
divine et appellent « l’âme ».
Stéphanie a visité quelques-uns de ces refuges. En hommage à leur contenu, les hommes
les ont souvent édifiés somptueux, décorés, ils les ont bâtis comme des temples dédiés au
dieu de la mémoire – allégorique divinité de la Vie triomphant de la Mort et de l’Oubli.
Voyez-les, ces temples : austères chapitres de Bayeux et de Noyon ; ouvrages enchaînés
de la Malatestiana ; studieuse Mazarine ; rigoureuses Sainte-Geneviève et Sorbonne ;
flamboyantes Altenbourg, Admont et Sankt-Florian ; apothéoses de l’Hôtel de Ville et de
la Bibliothèque Nationale… Les oeuvres, manuscrites ou imprimées, sont des bijoux plus
ciselés que l’or fin : il est bien légitime que leurs coffres-forts soient des écrins !
Elle a photographié quelques-uns de ces temples de l’intelligence écrite. Elle continue à
le faire, demandant sans relâche à ce qu’on lui en ouvre les portes (ce n’est pas toujours
chose facile). Exposer aujourd’hui les premières images de sa recherche est pour elle bien
plus qu’une fierté. C’est accomplir, à son tour, un devoir de mémoire et de transmission –
et mieux encore : c’est nous dire son émotion devant le spectacle de la nature humaine
qui, désespérément, tend les mains vers son rêve d’éternité.
Xavier Jaillard
Médiathèque Gustave Eiffel
111, rue Jean Jaurès
92300 Levallois