Elodie Ledure ou les légendes d’une contrée étrange aux confins de l’enfance
Vendredi 16 Juin 2017 03:13:02 par Julia Hountou dans Expositions
Galerie du Crochetan Rue du Théâtre 6 CP 512 Monthey Suisse
Texte de Julia Hountou Elodie Ledure use des infinies possibilités évocatrices de la photographie pour nous conter, tantôt avec vivacité, tantôt avec mélancolie, un monde extraordinaire peuplé de résurgences enfantines, à travers le prisme de son regard songeur. A l’occasion de sa résidence de six mois en Valais , en 2013, elle a retrouvé la Suisse de ses primes années. Très jeune, elle y passait souvent ses vacances avec ses parents et ses deux sœurs. Sa première maison de poupées fut d’ailleurs un chalet miniature qu’elle a précieusement conservé. La contemplation des blancs paysages valaisans a alors ranimé les souvenirs de cette époque. Dans ce moment d’enfance suspendu, elle a « perché » ses émotions sur les cimes helvétiques jouant un rôle déterminant dans son éveil émotionnel et sensitif. Ses clichés présentent des espaces enneigés, souvent dépourvus de présence humaine. Nostalgiques, ils renvoient à une période révolue que l’artiste cherche à préserver dans sa mémoire sous forme de trace photographique. Ils sont saisis dans l’ampleur mystérieuse d’un grand silence et d’un temps arrêté. Tout est ouaté, jusqu’aux pas étouffés des rares personnages qui s’aventurent frileusement dans ces territoires, telle cette jeune femme vêtue d’une simple peau, pieds nus dans la neige. L’artiste parvient à capter la magie immaculée qui recouvre les aspérités du terrain, figurant les éléments enfouis du passé ou au contraire cristallisés dans la mémoire, nous laissant toute latitude de projeter, d’imprimer nos propres souvenirs, rêves ou fantasmes sur cette surface feutrée et vierge. La photographe nous invite à « nous promener » au cœur de ces décors majestueux qui attestent de la prééminence de l’univers sur l’homme et ainsi à mesurer notre vulnérabilité et notre petitesse. Elle a d’ailleurs décliné le motif de la montagne dans une série de dix-huit petits dessins (craie grasse noire et eau) dans lesquels les massifs sont hissés, comme aspirés par les cieux, prenant possession de tout l’espace. Par leur altitude et leur proximité avec le firmament, ils participent du symbolisme de l’élévation et de la transcendance . A une échelle plus proche, attirée par les beautés incongrues de la nature, la photographe semble muer les arbres en sculptures éphémères ou en figures singulières de l’humanité. Robustes ou souples, tenant lieu de sujets, ils sont là, « pieds » dans le sol, « tête » dans l’azur, tandis que leurs troncs possèdent la dureté d’une ossature et que leurs frondaisons semblent déployer une ondoyante chevelure hivernale. De l’ordinaire extraire l’extraordinaire. Telle est la force d’Elodie Ledure qui parvient à révéler le merveilleux tapi au cœur de la banalité : une émotion, une intuition, un sentiment, une perception au sommet d’une montagne ou dans une vaste étendue sauvage, une forêt ou un champ… Dans leur brièveté même, les instants sont saisis au vol, frais et fugitifs. Comme dans les haïkus japonais , la photographe cherche à capturer l’évanescence des choses et rendre compte de l’étonnement sans cesse renouvelé devant la nouveauté du monde, contribuant à son réenchantement. Par leur simplicité et leur dépouillement, ses images sont telles des instants lumineux et silencieux propices à la contemplation, d’autant qu’elle opte pour une absence de repère, à travers des visions comme hors du temps et de l’espace, dans un souci d’éternité et d’universalité. Loin de la paix offerte par la majesté des cimes, Elodie Ledure se rappelle, petite, avoir été terrorisée par les déguisements de carnaval des Tschäggättä du Lötschental. Debout dans la nuit noire, les joues rougies par le froid, elle attendait, à la fois impatiente et anxieuse, que sonnent les huit coups qui marquent le début des festivités. Soudain, dans un tintamarre assourdissant, surgissaient du fond des ruelles avoisinantes des géants difformes qui agitaient bruyamment la cloche accrochée à leur ceinture. Couverts de peaux de mouton ou de chèvre, ils portaient d’horribles masques démesurés (parsemés d’immondes verrues, sillonnés de vilaines rides, ou grimaçant outrageusement afin de dévoiler des dents acérées), taillés dans du bois d’arole et parfois surmontés de cornes de vache. Tout à la fois fascinée et effrayée, la photographe se souvient que ces « monstres » semaient une joyeuse panique parmi la foule menacée de « châtiments » (se faire enfouir la tête dans la fourrure humide, avoir le visage barbouillé de neige…). Dans ses images épurées et aériennes, elle s’est réappropriée de manière minimaliste les codes de ces rituels ancestraux à travers différents accessoires (épines, poils, toisons, cloches…). Un simple sac en peau de vache retourné sur sa tête se mue alors en masque insolite, tandis qu’une gracile jeune fille emmitouflée dans une dépouille de bête ou un volumineux manteau de fourrure endossé par un petit corps d’enfant apparaissent comme autant de réminiscences de ces êtres terrifiants. Marquée par ces coutumes populaires, avec tout l’art d’une habile narratrice sachant tenir son auditoire en haleine, Elodie Ledure transmue subtilement les bribes du quotidien pour basculer dans un microcosme imaginaire. Tels de brefs contes, ses séquences photographiques s’articulent autour de moments-clés oscillant entre douceur et gravité : la situation initiale présentant les protagonistes incarnés par de ravissantes fillettes , suivie du cadre de l’action nimbé de fraîcheur et de poésie (paysage, climat, saison… ) jusqu’au dénouement célébrant la métamorphose des petites héroïnes. La rousseur de feu de leur chevelure, telle une oriflamme, rehausse leur carnation diaphane d’un autre temps. Avec une douce mélancolie, la photographe compose son univers en partant à la reconquête de la fantaisie et l’insouciance enfantines. Immergé dans cette sphère onirique qui mêle fiction et réalisme, mystère et enchantement, on parvient difficilement à distinguer le songe de la réalité. Ses images, entre nonchalance et sérieux, rappellent ce que produit le rêve dans l’imagination des enfants. Par le travestissement, le mime et la parade, ils s’inventent un domaine à leur mesure, se racontent des histoires pour accéder à un royaume magique et secret. Comme au carnaval, ils se fondent dans de multiples personnages fantasmagoriques (nymphes des forêts, petites fées, reines des neiges…) qui leur ouvrent un large champ de possibles. Confrontée à l’étendue du panorama alpin, l’artiste se montre également sensible à la richesse symbolique du chemin dont le parcours, dans les légendes, constitue une épreuve initiatique, celle de la séparation menant à la découverte du vaste monde. En théâtralisant ainsi le destin de ces jeunes filles, la photographe - qui s’y identifie volontiers - cherche-t-elle peut-être à trouver à travers celles-ci une manière d’assumer la complexité du réel ; le jeu étant en effet le lieu de l’activité créatrice, de la quête de soi et de l’expression de la liberté. Julia Hountou Les photographies d'Elodie Ledure sont visibles dans l'exposition "Caresser les légendes : Alban Allegro, Colomba Amstutz, Elodie Ledure", à la Galerie du Crochetan : Av. du Théâtre 9 - 1870 Monthey (Suisse), du 9 juin au 28 juillet 2017 De Lundi-vendredi de 14h à 18h + les soirs de spectacles (Exceptés jours feriés). Entrée libre Renseignements : 024 475 79 11