Noe Reyes, livreur à Brooklyn, New York © Dulce Pinzon
Château des Lumières Place de la 2ème Division de Cavalerie 54300 Lunéville France
Ses photographies couleurs sont le résultat de mises en scène savamment élaborées où réel et imaginaire se côtoient. Empreinte de nombreuses références et faisant usage d’une approche métaphorique, son œuvre porte ainsi un éclairage sur les réalités modernes et met en exergue les dualités et décalages de notre monde actuel. Au travers de son oeuvre, elle s’est ainsi attachée à questionner des thématiques telles que l’immigration, la destruction de la planète, le réchauffement climatique et le stéréotype de la femme parfaite.
Le CRI des Lumières accueille deux séries réalisées par l’artiste lorsqu’elle vivait à New York et dont les sujets en lien avec le travail, l’immigration et la diversité ethnique entrent en résonance avec une acuité certaine dans le contexte de l’Amérique actuelle.
"La véritable histoire des supers-héros"
Cette série, déjà célèbre et largement plébiscitée, fut réalisée entre 2004 et 2006. Dulce y met en scène des travailleurs immigrés costumés en super-héros. Le recours aux costumes et aux couleurs tranchées parent l’ensemble d’une dose d’humour visuelle et d’une apparence festive qui contrastent avec la réalité quotidienne en tant qu’immigrés dont rend compte la légende attachée à chaque photographie. Car ces personnes photographiées sont toutes aussi réelles que les informations délivrées par ces légendes et l’activité professionnelle mise en scène dans les images correspond bien à leur activité réelle. Ce sont de « vrais gens » et, en les sortant de l’ombre, en les rendant visibles, Dulce Pinzón rend hommage à ces hommes et femmes latino-américains qui travaillent durement pour envoyer de l’argent à leur famille restée au pays, illustrant une fois de plus le drame invisible de l’immigration anonyme au sein des grandes métropoles capitalistes. Les professions exercées par les immigrés sont caractérisées par une faible valeur ajoutée et de bas salaires (livreurs, manutentionnaires, ouvriers du bâtiment, vendeurs de glace…) et, cependant, ils envoient des sommes considérables à leur famille (500 $ / semaine pour Noe Reyes, superman livreur à Brooklyn) . Le travailleur immigré nord-américain est l’exemple même du héro qui passe inaperçu. Il travaille souvent de très longues heures dans des conditions extrêmes, et économise sur son salaire, si bas soit-il, au prix d’immenses sacrifices, pour l’envoyer à sa communauté. Au-delà des conditions et parcours personnels de ces individus, la série rend aussi compte de l’interdépendance économique existante entre les États-Unis et les pays sud-américains puisque, par leur labeur, ces personnes soutiennent à la fois l’économie américaine et l’économie de leur pays d’origine notamment en ce qui concerne le Mexique dont l’économie est devenue dépendante de l’argent envoyé par les travailleurs résidant au États-Unis. De la même manière, l’économie américaine est, elle aussi, devenue dépendante peu à peu de la main d’œuvre mexicaine.
"Multiracial"
Gates Otsuji
japonés, italiano, escocés © Dulce Pinzon
Cette seconde série correspond à un travail antérieur à « la véritable histoire des super-héros ». En 2003 Dulce Pinzón passe une annonce pour trouver des modèles issus d’une mixité raciale. Elle les photographie de manière frontale en plan rapproché, coupé à la taille. Ils posent habillés d’un T-shirt uni de couleur primaire devant un fond d’une couleur primaire différente. Bleu sur rouge, rouge sur bleu, bleu sur jaune… les couleurs s’associent telles les origines ethniques.
Tout au long de l’histoire de l’humanité, le concept de race a, d’une certaine manière, rendu possible différentes formes de discrimination et d’oppression à l’égard d’innombrables êtres humains. Le démantèlement des mécanismes oppressifs tels que la ségrégation humaine basée sur des critères de couleur ou de «race» est l’une des victoires les plus remarquables de ces dernières décennies. Nous constatons que dans les grandes villes où l’on trouve les plus importants taux de migration humaine, la forte présence de syndicats inter-raciaux participe à redéfinir cette notion de “race”. Dès lors que les caractéristiques physiques et culturelles ne se rapportent plus à une typologie raciale particulière, il devient bien plus difficile de catégoriser les personnes. Le concept d’identité tend à s’élargit et il se peut qu’à l’avenir discriminer les individus en fonction de leur apparence devienne une entreprise caduque du simple fait qu’il devient difficile de définir avec certitude l’origine raciale des personnes.
En accentuant la disparité entre les couleurs primaires et en soulignant le caractère ambigu et artificiel des frontières communément admises entre les différentes races, ces images en questionnent le concept même. La fragilisation de ce dernier amène ainsi le spectateur à en questionner la réalité et son existence dans le monde dans lequel nous évoluons.