Galerie Le Réverbère Rue Burdeau, 38 69001 Lyon France
Entrepôt Le Boutillier & Brothers du site historique du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac, Québec 76 3e Rue, Paspébiac QC G0C 2 Canada
Photoponymie en Gaspésie est le pointillé des rebords d'un monde, l'aller et retour des saisons réunies par la toponymie des lieux. Les noms attribués aux sites ne sont jamais arbitraires, ils sont profondément ancrés dans l'histoire qui, avec le temps, s'est effacée en ne laissant que la magie, le fantôme – comme sont nommées dans les bibliothèques les fiches qui signalent les livres empruntés, terme également employé dans l'édition lorsque l'impression d'une image transparaît au verso de la feuille – imaginaire donc de l'apparition/disparition. Ici, c'est l'apparition des sens oubliés qui crée une poétique obscure, la décalcomanie d'une histoire à découvrir. Celle de cette péninsule, dernier sursaut de la chaîne des Appalaches, qui vient plonger dans le golfe, sorte d'invitation à partir dans un pays de légende où la terre finit, comme le signifie « gespeg », mot emprunté au vocabulaire des Amérindiens Micmacs d'où vient le nom de la Gaspésie.
La photographie me permet de voyager dans le magnétisme des paysages, là où flotte le vide qui espace les pointillés. Ce vide, je tente de lui donner forme. Pour moi, la photographie est un « attrapeur de rêves » comme ceux que les Amérindiens suspendent, face au soleil levant, pour capturer et filtrer les bons rêves. Chaque déclenchement est l'espoir de saisir la beauté du coup de foudre en présence, sachant que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit !
J'ai construit mon « attrapeur de rêves » avec ma surface sensible physique, métaphore de l'objet amérindien qui permet de conserver les belles images et brûle les mauvaises. En effet l'anneau en baguette de saule, sur lequel est tendu un filet lâche en forme de toile d'araignée comportant un orifice au centre, analogie avec l’obturateur de l'objectif, a pour fonction de retenir (dans le filet) les mauvais rêves et de laisser passer les bons (par l'orifice du centre).
Dans mes déplacements, mes itinéraires, mes errances, entre les sites à la poésie obscure et inouïe – Kamouraska, Rimouski, Ruisseau-à-Rebours, Pointe-à-la-Frégate, Cap-au-Os, Coin-du-Banc, Capd'Espoir, Paspébiac, Gesgapegiag, Causapscal – j'ai orienté mon objectif selon ma perception des blancs d'oubli du temps, organisés par la toponymie. J'ai convoqué les présences occultes avec mes rites d'approche : l'utilisation d'un appareil moyen format carré et rectangulaire, d'un 24 x 36, de la couleur et du noir et blanc, de l'utilisation exclusive de la pellicule argentique. Puis j'ai confronté mes sensations du temps et de la durée dans un aller et retour entre photographie et vidéographie. En posant des cadres fixes avec ma caméra, pour enregistrer ce qui bouge, plutôt ce qui vibre dans la fixité du cadre et, d'un coup, en opérant un long zoom soit avant, soit arrière, j'ai cherché à capter l'invisible, ce qui échappe à l'arrêt instantané de la photographie. La confrontation des deux tournages, pareillement cadrés, été comme hiver, me permet dans un coulissement des saisons de faire apparaître la fracture temporelle. Pour les photographies, même les plus instinctives, je m'adosse à l'orthogonalité, à l'architecture du cadre mais je lutte sans arrêt contre la bonne image, celle composée et imposée par la règle. Il me faut atteindre le vide de l'écart, là où je rejoins mes tropes : la suspension entre les points des pointillées pour échapper à la formulation et espérer toucher à la forme.
Dans mes vidéos, je me fie à l'ouvert du monde, pour trouver une forme passante, telle la bande passante du son. Je peux laisser entrer le hasard offert par la durée en vidéo, celui-là même qui est exclu par la prise du temps photographique. Dans la plongée qu'offre le zoom, nous sommes physiquement projetés dans l'inconnu, dans la surprise, selon un rythme imposé qui nous dépose au coeur d'une autre image, tout en nous interdisant d'oublier celle dont elle émane. Ce mouvement visuel, ce va-et-vient du cadre et du temps organise le palimpseste de ma perception.
Photoponymie en Gaspésie prolonge ma recherche et mon questionnement sur l’intimité entre image fixe et image mouvement. Ce dialogue me fascine. La conversation entre ces deux outils s'inscrit dans les formes du temps que chacun convoque, elle me permet de devenir un veilleur du vide, de chercher l'instant où le trou noir, le point d'effacement de la lumière dans une énergie explosive, fabrique des images.
Par Jacques Damez, le 06/06/2016