SANS TITRE, 1960. © Vivian Maier/Maloof Collection/Courtesy HGG, NY
CAMPREDON – Centre d'art 20 Rue du Docteur Taillet 84800 L'Isle-sur-la-Sorgue France
Vivian Maier (1926-2009) exerça le métier de gouvernante d’enfants à Chicago, au début des années 1950, et pendant plus de quatre décennies. Toute une vie passée inaperçue, inéluctablement, jusqu’à la récente découverte, en 2007, de son corpus photographique : une œuvre colossale, constituée de plus de 100 000 négatifs, de films super 8 et 16mm, d’enregistrements divers, de photographies éparses, et d‘une multitude de pellicules non développées. Cette découverte devient presque un contresens, un revers, et la photographie, « cet arrachement à la vie ». Cette passion l’a élevée au rang des grands photographes emblématiques de la street photography, et figure dans l’Histoire de la Photographie, aux côtés de Diane Arbus, Robert Frank, Helen Levitt ou Garry Winogrand.
1959, GRENOBLE, FRANCE. © Vivian Maier /Maloof Collection /Courtesy HGG, NY
Pendant son temps libre, Vivian Maier photographiait la rue, des gens, des objets, des paysages ; en définitive, elle photographiait ce qu’elle voyait, tout simplement, abruptement. Elle a su retenir, pendant une fraction de seconde, son temps. Elle a raconté la beauté des choses ordinaires, cherchant dans le quotidien, dans le banal, les fissures imperceptibles, les inflexions furtives du réel.
Son monde c’était les autres, des inconnus, des anonymes, que Vivian Maier effleure le temps d’une seconde, de sorte que ce qu’elle mesurait avec son appareil photographique, était d’abord un rapport de distance, cette même distance qui faisait de ces personnages, les protagonistes d’une anecdote sans importance. Et même si elle osait des cadrages impérieux, déconcertants, Vivian Maier reste au seuil de la scène qu’elle photographie, voire au-delà, jamais en-deçà pour ne pas en être invisible. Elle prend part à ce qu’elle voit, et devient elle aussi sujet.
SANS TITRE. © Vivian Maier/Maloof Collection /Courtesy HGG, NY
Les reflets de son visage, son ombre qui s’allonge sur le sol, le contour de sa silhouette, se projettent dans le périmètre de l’image photographique. Vivian Maier réalise de nombreux autoportraits tout au long de ces années avec l’insistance de quelqu’un en quête de soi-même. Elle cultivait une certaine obsession, moins pour l’image en soi que pour l’acte de photographier, pour le geste, comme un accomplissement en devenir. La rue était son théâtre et ses images un prétexte. Et derrière chaque image, il y a un film, celui de son regard. Les films super-8 présentés dans cette exposition, nous montrent de quelle manière elle promène son regard sur le monde et comment elle modèle son image : elle s’approche, s’éloigne, fait le tour de quelque chose de manière intuitive, jusqu’au moment où elle s’arrête, cadre, et c’est à cet instant qu’elle prend la décision de l’image photographique, comme quelque chose de l’ordre de la capture. Ce punctum vient alors mettre un terme définitif à une linéarité préliminaire, un modus operandi qu’elle réitère pour chacune de ses images.
Nous voyons le monde à travers son regard, et ses images nous racontent, par bribes furtives, cette personne mystérieuse qui restera à jamais une énigme.
Anne Morin
Commissaire de l’exposition