Pourquoi le nu ?
Pendant les quinze premières années de mon travail photographique, j’ai essentiellement photographié l’inanimé : paysages, micro-paysages, architectures, natures mortes trouvées ou composées, matières, structures.
Deux évènements presque concomitants se sont produits au début des années 1980.
La naissance de mon fils Aurélien et la réalisation dans mon jardin d’une image que Jean Arrouye appellera La Déesse-mère et qui est une représentation métaphorique du corps féminin. Je n’avais pas perçu cette métaphore au moment de la prise de vue.
Ces deux évènements m’ont donc donné, pour des raisons différentes, envie de photographier des êtres vivants.
Je me mis à photographier la vie de mon fils en prenant dès sa naissance l’engagement de publier un livre sur lui pour ses 20 ans (ce que je fis) et je décidais aussi, parallèlement au portrait, de me lancer dans le nu féminin.
Novice dans ce domaine, j’eus beaucoup de difficultés à démarrer et la rencontre avec Liliane (une amie d’amie), tout aussi novice que moi, m’a permis de réaliser mes premières images.
Nous étions aussi gauches l’un que l’autre mais animés d’une grande envie de faire. C’est avec elle que j’ai découvert, par hasard, les projections d’ombres sur le corps et les grandes oppositions contrastées ombres/soleil que j’avais déjà expérimentées dans mes natures mortes et que j’emploierai également dans mes portraits et dans certaines photographies de mon fils.
Cette fascination pour les ombres très denses, presque sans détails m’a poursuivi tout au long de mon travail photographique.
Après cette série des « nus noirs » reposant sur l’opposition ombre/lumière, j’ai mis en œuvre une série de nus drapés dans des tissus blancs où le corps, couvert/découvert, se mariait avec les plis des draps sans jamais le mouler totalement — d’où mon envie ensuite de travailler avec un matériau qui colle au corps en créant des graphismes. J’ai donc employé les bandes Velpo qui accrochent superbement la lumière et qui se prêtent à tout un jeu formel sur le corps. Cette série intitulée Bandes à part est la dernière où j’ai utilisé un élément complémentaire du corps féminin.
Par la suite, j’ai préféré n’avoir qu’un corps nu, sans accessoire mais j’y ai quelquefois ajouté le mouvement. Jusque-là les corps étaient immobiles comme mes sujets précédents : paysages, portraits ou natures mortes.
En mettant les corps en mouvement, j’introduisais une notion d’instantanéité et un peu d’aléatoire dans les prises de vue surtout avant l’avènement du numérique qui, lui, permet de juger immédiatement du résultat.
D’autre part j’ai toujours privilégié une vision rapprochée des choses aussi bien dans la nature que dans mes nus. J’ai fait de longues séries à une distance très courte de mes modèles jusqu’à obtenir des images parfois abstraites.
Malgré ces changements dans le thème, j’ai conservé des constantes qui me sont nécessaires : un seul personnage dans un lieu clos (j’ai fait très peu de nus en extérieur), de la lumière naturelle ou reconstituée comme telle, le tout en noir et blanc et presque toujours des femmes sans tête car je suis incapable de gérer deux problèmes en même temps : le corps et l’expression du visage. De plus lorsque le regard du modèle est présent il devient plus important que le corps pour le spectateur et cela je ne le souhaitais pas.
La relation duelle me semblant indispensable, je n’ai jamais eu d’assistant ni de maquilleur ou de coiffeur pendant les séances et je n’ai jamais travaillé avec des modèles professionnels — ayant trop peur de voir surgir des attitudes stéréotypées.
De 1980 à aujourd’hui, 35 ans se sont écoulés et cette passion pour le nu féminin n’a pas faibli même si entretemps j’ai traité d’autres sujets. Il est certain que c’est un thème inépuisable. Peut-être vais-je l’explorer maintenant de manière différente en remplaçant l’appareil photographique par une caméra ?
Pierre-Jean Amar – Février 2016