Expositions du 15/07/2015 au 22/08/2015 Terminé
Espace Oscar-Niemeyer 2, place du colonel-fabien 75019 Paris France
Par pierre barbancey, le travail du photographe présenté place du colonel-fabien est d’une beauté étonnante.Espace Oscar-Niemeyer 2, place du colonel-fabien 75019 Paris France
Franck brisset est un homme d’images. un homme de l’image même. ce cameraman, en poste à moscou de 1998 à 2004 pour france 2, a, dès qu’il le pouvait, délaissé la caméra pour fixer avec son leica des scènes de ce pays, la russie, dont le statut d’ex-urss transparaît à chaque captation. entrer dans cette exposition, c’est pénétrer au cœur d’une histoire singulière dont les traces sont toujours prégnantes. le noir et blanc s’est évidemment imposé. brisset a un sens du cadrage et de la composition particulièrement étonnant, aboutissant à des clichés dont certains ne sont pas sans rappeler ces photographies soviétiques des années 1930. de ce noir et blanc qui étire l’espace et fixe les éléments de la composition se délectent les lignes de fuite. le regard est comme saisi, prisonnier, forcé de scruter les moindres détails. le photographe sait diviser le cadre, utiliser les gouttes de pluie, l’horreur d’une neige sale pour appuyer ce qui, au final, est un véritable propos.
Faire comprendre comment l’ancien est tout entier dans le nouveau
C’est un incessant va-et-vient. de cette manifestation des jeunes communistes russes en 1999 dans la capitale à ce cosaque en tenue qui commémore la dernière victoire de napoléon avant la débâcle, en passant par ces manifestants pro-poutine qui arborent sur leur tee-shirt l’effigie de leur héros, la vision est étonnante. que dire encore de ces jeunes filles qui viennent déposer des fleurs sur la tombe de raïssa gorbatcheva ou de ce cliché inhabituel de moscou pris à travers les croisés des fenêtres du fameux hôtel intourist, passage quasi obligé pour tous les touristes de l’époque soviétique ?
La force du travail de franck brisset réside dans cette capacité à introduire du passé dans le présent, de faire comprendre comment l’ancien est tout entier dans le nouveau. sur les îles popov les épaves de navires disent le naufrage d’une économie. les barbelés et un mirador effondré rappellent les goulags. mais il y a aussi cette façon dont l’Église russe a repris ses biens saisis à la révolution et capable d’affréter une église flottante pour (re)prendre les âmes de toutes ces brebis égarées. symboles et nostalgie encore avec ce portrait de tatiana samoïlova, la fabuleuse actrice de quand passent les cigognes. comme l’écrit son ami marcel trillat, il y a là « des souffrances muettes mais aussi des explosions de joie de vivre, des visages habités par une mystérieuse beauté d’âme ».
jusqu’au 31 juillet de 10 heures à 18 heures. espace oscar-niemeyer, siège du parti communiste français 2, place du colonel-fabien 75019 paris. métro : colonel
par bénédicte loubère
ceci n’est pas une exposition photo…
a l’espace oscar niemeyer, jusqu’au 31 juillet se joue une chorégraphie particulière, on peut voir défiler sous nos yeux, une mise en image poétique d’une période charnière de l’histoire russe. franck brisset cameraman en poste à moscou de 1998 à 2004 pour france 2, a capté avec son leica-pinceau des instants de vie russes. du noir et blanc, des visages, des regards, des espaces, des éléments bruts : un gosse à travers un hublot, une mer, un cimetière de bateau, des trains, la neige, l’hiver. des photos en mouvement qui disent la russie, ses disparitions et portent un éclairage sensible sur son présent. le travail de franck bouscule l’ordinaire, il éveille en nous des expériences de notre propre vécu, de notre rapport à l’histoire, à la politique, à nos mémoires et même à nos rêves.
c’est une expérience quasi sensorielle, écouter les cris fabriqués des manifestants pro-poutine, percevoir le silence des îles popov sous la glace, la froideur de moscou, et le rire de cette jeune mariée. quand j’ai découvert le travail de franck, j’ai repensé aux films de tarkovski, à ses héros énigmatiques …prisonniers de leurs conditions sociales et terrestres qui tentent envers et contre tout d’exister. si franck brisset réalise un véritable travail de mémoire, il n’enferme pas notre regard, bien au contraire, il lui laisse une place, la plus juste. dans une époque où des images glissent sur nous comme sur des imperméables, où l’imaginaire a peu de place, ces instantanés de vie sont une invitation à la liberté et au sens.
b.l
regards inedits sur la russie du 21° siecle,
photos de franck brisset commentées par marcel trillat.
l’exposition « à ne pas manquer » dure tout juste une quinzaine de jours, (du 16 au 31 juillet 2015). elle est présentée dans l’immeuble dessiné en 1965 par l’architecte communiste oscar niemeyer, - décédé il y a trois ans -. c’est donc au siège du pcf= parti communiste français.. le vaste lieu offre l’accrochage de 50 photos de franck brisset en exposition temporaire. ces photos prises entre 1999 et aujourd’hui voisinent avec celles du mouvement ouvrier, présentes ici de façon permanente.
l’espace ouvre au-dessus d’un sol bombé, étonnant par la douceur vert-amande de son épaisse moquette. climatisé, l’endroit est intéressant pour exposer sur le thème de la russie actuelle, austère et combien émouvante humainement.
j’ai marché pieds nus pour suivre le parcours photographique en ce temps caniculaire : on peut refaire le tour de ces regards inédits, tous les jours, avec un accueil de 10 heures à 18 heures, dont l’entrée est libre. on sonne, la porte s’ouvre… on regarde à satiété le travail des deux journalistes-artistes qui se sont connus à france 2.
je conseille vivement cette visite. j’y retournerai certainement car les photos poussent à réfléchir au sens de l’histoire « comme les livres de marc dugain » dit un ami, visiteur lui aussi. et une jeune fille, habitante de lyon, de passage à paris, ajoute : « quatre photos sont troublantes, surtout celle de la chignole qui troue le crâne pour soigner la maladie mentale d’un jeune homme… » . et moi ? je pense à poèmes pour tous de paul eluard « et pourtant de douleurs en courage en confiance s’amassent des enfants nouveaux qui n’ont plus peur de rien pas même de nos maîtres tant l’avenir leur paraît beau ». les yeux et le sourire des enfants sont toujours étonnants.
franck brisset a réalisé ces 50 photos durant plusieurs séjours effectués en russie entre 1999 et aujourd’hui, lorsqu’il était caméraman au bureau de moscou de france 2. nous sommes dix ans après la chute de l’union soviétique et de ses services de sécurité du genre kgb, la décennie correspondant également à l’ouverture des archives du politburo : l’exposition de franck brisset parle des effets de la milice, police politique qui a marqué les traits des visages des miliciens, « aux places réservées », ceux qui suivent « des règles et procédures », qui savent utiliser la ruse et vivre un tout petit peu de culpabilité parfois, comme celle que l’on devine pour le moujik endimanché au regard glacial. on est encore proche du cœur de la loubianka. je ne peux m’empêcher de penser à staline, à sa manière de terroriser bolchakov, son ministre de la propagande cinématographique.
heureusement, ici en juillet 2015, l’écriture manuscrite de marcel trillat, commente avec tendresse et humour les photos d’enfants : « soit le vélo est trop grand, soit les enfants sont trop petits ». marcel est surtout bien connu comme réalisateur de films et comme le journaliste qui inaugure la création des radios libres ( lca= lorraine cœur d’acier et radio g = gennevilliers ». son œuvre engagée fait se souvenir de quelques-uns de ses beaux films, tels etranges étrangers ; les prolos ; femmes précaires, ou encore à « 300 jours de colère », qui reflètent son positionnement permanent « contre la censure et l’autocensure ».
j’ai connu marcel trillat en 1979 lorsque le chiffon rouge résonnait à longwy. et, en regardant cette exposition de brisset, je pense à tout ce que nous nous remémorions récemment au front de gauche. « il y a maintenant une véritable réhabilitation après la disgrâce vécue à l’époque par le syndicaliste cgt michel olmi »
les photos de franck brisset sont un peu comme le son de radio g qui avait été conçue avec des infos, de la littérature, de l’histoire, de la poésie, des débats et la liberté de paroles avec toutes les bonnes volontés du coin…car comme marcel trillat le rappelait récemment : « lucien lanternier, maire de gennevilliers voulait vraiment cette radio pour libérer la parole des gens : c'est-à-dire que les gens pouvaient venir, intervenir, en direct, réagir, avoir la parole libre. on était dans une période bizarre où le pcf protestait contre la censure ortf et ne parlait jamais de celle des pays de l’est, des pays socialistes. ils se battaient ici et oubliaient sincèrement la question de la politique et de la morale, là bas.» ainsi et pour tout cela, les photos de brisset sont à voir, à colonel fabien.
ginette francequin, docteure en psychologie clinique et sociale, hdr.