© Augustin Le Gall
En tant que photographe, je m’intéresse aux sujets contemporains de société liés notamment au monde arabe, au patrimoine immatériel, aux minorités et aux droits humains. Le portrait y occupe une place centrale.
Depuis quelques années, mon esprit est dirigé vers la Méditerranée. Cet espace est comme un terrain de jeu qui me permet, sans aller très loin, d’être confronté à des cultures différentes et enrichis- santes sur un territoire partagé. J’ai commencé à travailler en 2005 sur le patrimoine immatériel et musical avec notamment un long travail sur les Gnawa du Maghreb et sur la musique occitane dans le sud de la France. Depuis 2011, les soulèvements popu- laires en Tunisie, puis dans les autres pays arabes, ont complètement capté mon attention. Le personnage figurant dans les photographies présentées dans l’exposition s’appelle Riadh Ezzawech. Il est arifa, le personnage central du culte stambali, culte de possession d’origine afro-maghrébine où, au cours du rituel, les esprits des ancêtres (d’origine africaine, des saints musulmans, ou d’entités surna- turelles) sont sollicités. Riadh fait le lien entre le monde des esprits et le monde des humains. Il a été choisi par les esprits, les mlouks, les djinns, pour pouvoir transmettre leur puissance et leurs bienfaits. À l’adolescence, il fut gravement malade ; ses parents consultèrent de nombreux médecins et marabouts qui essayèrent de le soigner, mais sans succès. Un jour, sa mère rencontra une arifa qui lui dit que son fils avait été mordu par un djinn pour faire de lui un arifa. Riadh fut donc pris en charge par ces femmes qui l’ont initié. Il apprit à maîtriser cette capa- cité de communiquer avec les djinns et, après plusieurs années d’initiation, il devint lui-même arifa. En Tunisie, les arifa sont en voie de disparition.
Riadh Ezzawech est un des derniers arifa du culte stambali. Et surtout, le dernier qui le fait encore vivre active- ment. Il est le gardien du dernier sanc- tuaire dédié à ce culte. Cette zaouia (sanctuaire) est située dans la vieille médina de Tunis. Elle abrite le tom- beau d’un musulman noir, affranchi de l’esclavage et devenu saint. Après Riadh, le stambali pourrait très proba- blement s’éteindre. Riadh Ezzawech représente une vingtaine d’esprits dif- férents. Chaque fois qu’il organise un rituel, c’est pour appeler les esprits qui vont guérir la personne qui le sollicite (de la maladie, de la mauvaise fortune, ou tout autre chaos symbolique). Lors des rituels, il est accompagné de six musiciens dont le maître, joueur du gembri, est âgé de plus de quatre- vingts ans. Aujourd’hui il ne joue plus. Avec ce maître musicien, c’est une véritable encyclopédie musicale qui s’éteindra. C’est donc un rituel qui est en train de disparaître, d’autant plus qu’un arifa ne peut transmettre qu’à une personne choisie par les djinns.
J’ai réalisé un reportage couleur sur Riadh et le stambali qui a duré cinq années (2008 - 2013). Un jour, j’ai eu envie de le photographier dans ses multiples identités surnaturelles, iso- lé de son contexte par un fond noir. Cette série de portraits a été réalisée en 2012, au moment où je commençais Sous le jasmin. J’étais influencé à cette époque par le photographe Denis Rouvre, connu notamment pour ses séries de portraits. Je voulais clôturer mon reportage photographique avec une série qui mettait en scène Riadh.