© Marie-Noelle Boutin
Espace Malraux 67 place François Mitterand BP147 Chambéry France
Karim Kal
Une série de photographies prises par Karim Kal en 2013 dans le cadre de la résidence au Centre hospitalier de Chambéry, fait partie du cycle de projets artistiques dédiés à cet endroit. Le bâtiment de l’hôpital, nécessitant une répara- tion et la modernisation radicales, sera bientôt démoli et remplacé par un nouveau complexe de bâtiments. Les derniers moments du centre deviennent histoire. Le microcosme de l’hôpital restera cependant dans la mémoire collective de la communauté. Ce sera grâce au programme de résidence, qui vise à rendre hommage à cet endroit, aux gens et à son histoire. Les photo- graphies de Karim Kal constituent une sorte de reportage artistique issu de l’observation de l’espace créée avec un mélange considérable de subjectivité construite à l’aide de procédures formelles.
La composition d’images repose, dans une large mesure, sur le principe du contraste. Saisies avec l’appareil photographique dans les intérieurs de l’hospital, des formes géométriques, propres et minimalistes sont combinées avec des éléments brisant leur ordre plastique et froid : les boules blanches sur l’une des photos, ressorties par un éclair caractéristique du flash, se noient presque dans l’obscurité qui les absorbe. Deux sièges situés juste à côté, ramènent brutalement le spec- tateur dans le monde des objets réels et faciles à identifier. Dans un autre cas, un paravent en toile, dominant l’une des photographies, a son contrepoint sous forme d’un fragment d’un lit hôspitalier, visible derrière lui. La sélection des objets photographiés ne se fait pas seulement par la composition interne du cadre. Le faisceau brutal de la lueur du flash, qui confère ici les formes visuelles à l’équipement fonctionnel, est un élément caractéristique du langage esthétique de Karim Kal. Dans la série précédente de photographies - réalisée à la prison de Villefranche-sur-Saône (2012) ou dans la région métropolitaine de Lyon (2011-13) - la lueur du flash illuminait le centre de l’image, en montrant les détails sordides et les imperfections des logements sociaux et d’autres bâtiments urbains photographiés. En décentralisant cette fois-ci la direction du flash, Kal a mis en évidence la subjectivité de ses observations. Le flash fait ressortir et définit ce qui est important pour Kal dans l’espace photographié. Des objets posés dans des compositions apparemment aléatoires, créent une expression visuelle cohérente dont l’essentiel est défini par la lumière. Karim Kal n’a pas besoin de mise en scène, mais d’un point de vue clairement défini focalisant l’attention du spectateur. Il se désintéresse de la beauté des formes répéti- tives de flacons de médicaments disposés dans un entrepôt ou de la perfection des draps repassés. Son flash expose dans le cadre des fugues intimes. Les objets de nature personnelle ressortis par l’appareil de l’artiste, sont des traces laissées par des gens lors de leur existence à l’hôpital. Comme la pelouse - contrairement à la planification de l’urbaniste - foulée de biais, Kal suit le chemin de personnes qui se trouvaient dans un mécanisme légalement planifié par l’hôpital.
Les prix ramassés par un employé, les vêtements Disney pour enfants, le calendrier où les femmes posent à moitié nues – c’est un exutoire de l’énergie humaine qui laisse ses traces dans les intérieurs du bâtiment, tout ce qui dans la vie structurée de la machine hospitalière, reste habituellement invisible. Autant invisible que peut sembler – illuminée par le flash de Kal – la bannière « Sage Femme en grève », cachée derrière la publicité d’un restaurant, qui disparaît sur le fond d’un gigantesque bâtiment à fenêtres grimpante/ s’élevant avec une régularité géométrique. Cette régularité de la masse du bâtiment et l’élévation du beton écrasante, détournent le regard du spec- tateur de l’action de la photographie et du drame du personnel de l’hôpital.
Karim Kal fait une description photographique de l’organisation de l’institution. En errant dans ces stocks, entrepôts et services, il dresse une image du processus de normalisation de l’espace stric- tement liée à son règlement intérieur. L’hôpital, en tant que projet d’un caractère massif, doit être soumis à un certain degré de normalisation. Sinon, il serait retombé dans le chaos. Avec l’objectif de l’appareil photographique, l’artiste construit sa définition de la nature universelle des institutions médicales. La vidéosurveillance, visible sur une des photos sous la forme d’un petit écran de téléviseur, signale subtilement le contrôle présent. Suite à la réflexion de Michel Foucault, l’hôpital est un lieu où l’on installe, en les coupant en quelque sorte de la société, des dysfonctionnelles – des malades - des gens. En entrant dans ce monde intérieurement structuré, ils se soumettent à l’organisation, qui de par ses méthodes de leur rétablir un fonctionnement « normal » - dicte son propre règlement intérieur. Des groupes de patients, soumis à un pouvoir subtil et capillaire, permettent d’apprivoiser leur corps. Compte tenu des relations humaines qui se produisent dans les hôpitaux, le discours médical occidental accentue une tendance des milieux médicaux à percevoir l’homme comme un sujet d’une certaine manipulation. L’individualisation du patient, progressant peu à peu les décennies récentes, le libère de sa fonction dépersonnalisée de n’être qu’une image clinique de sa maladie. Comme un masque pour la radiothérapie, photo- graphié par Kal, le patient laisse son empreinte personnelle dans l’espace de l’hôpital stérile et incolore.
Cependant, Kal ne photographie pas d’humain. Dans son travail il n’y a pas de place pour les histoires individuelles des malades, des mou- rants, pas de miracle de la naissance et de joie d’avoir vaincu la maladie. La présence humaine est visible dans la collection d’objets person- nels ou de traces d’exploitation de l’espace ou de l’équipement – tels sac froissé ou murs rayés du couloir. Cette démarche résulte de la décision consciente et radicale de l’artiste, qui depuis 2009 renonce à la forme du portrait et oriente l’objectif de son appareil vers son entourage. A la recherche des pensées et des idées sociales universelles, libres d’être infectées ou dissipées par les traits du visage, il abandonne le travail photographique sur l’homme et ses caractéristiques personnelles. Il le rend présent par son absence significative.
L’espace de l’hôpital montré par Karim Kal est une hétérotopie, un non-lieu aux normes strictement définies - comme des nœuds pris en photo, accrochés sur le tableau d’apprentissage ou des ceintures à pratiquer une déficience manuelle. Ils restent dans la proximité apparente avec les prin- cipes externes de la vie sociale. Kal n’a pas besoin de montage pour souligner la dualité des espaces hospitaliers. Chacun de ses cadres révèle la nature de l’endroit, qui combine la discipline interne et ce deuxième plan composé de traces de la pré- sence humaine : des modifications discrètes et des corrections naturelles de l’espace, visibles sur les murs ou les étagères. Là change la perception so- ciale du temps, qui reste suspendu dans l’enceinte du Centre hospitalier de Chambéry. Les photogra- phies de Kal garderont cet endroit en mémoire.
Anna Tomczak
© Karim Kal
Bertrand Stofleth
Avec cet observatoire photographique sur le centre hospitalier Métropole Savoie il s’agit de produire un objet esthétique capable à la fois de prendre sa place en tant qu’œuvre d’art, mais surtout de faire sens dans d’autres domaines (historique, sociologique, géographique...). Le but étant que l’ensemble des acteurs du paysage (du personnel médical au patient, du technicien d’aménagement au touriste, de l’élu à l’habitant), puissent lire ces images et y réfléchir. L’observa- toire photographique du paysage devient ainsi un outil révélant la photographie comme support de parole, de médiation et de réflexion. Ce retour en parole des acteurs investissant l’espace public semblant indissociable du projet, nous avons décidé de créer en parallèle un système d’archivage interactif.
© Bertrand Stofleth
Gilles Verneret
La photographie est une image qui se « réfléchie ». Regardons les images de Gilles Verneret, elles sont contrôlées dans leurs moindres détails. Ses sujets, conscients et avertis, semblent participer à la prise de leur image, nous ne sommes pas dans la per- formance sportive de l’instantané ni dans l’instant décisif de Cartier Bresson mais plutôt dans le do- cument cher à Walker Evans. Cette nouvelle série, « Scènes de la vie hospitalière », fruit d’une résidence au centre hospitalier Métropole Savoie, fait suite à celle qu’il a réalisée dans l’Unité de soins psy- chiatriques de l’hôpital du Vinatier, images fortes, sensibles et respectueuses. Le traitement de ces images, toujours aussi rigou- reux et respectueux, met en avant l’élément humain qui annule ainsi l’aspect froid des appareillages.
Contrairement aux très belles images de Lynne Cohen prises dans un même univers mais en l’absence de tout individu, face auxquelles nous sommes seuls dans un monde d’où se dégage un certain malaise, Gilles Verneret choisi une esthé- tique de « l’humanité » et ne nous abandonne pas dans un lieu qui pourrait paraître glacé. Il nous accompagne ou plutôt nous fait accompagner par les soignants et les autres personnels de l’hôpital, présents sur presque toutes les images. La série commence par une photographie dont le sous-titre: « office - entrée interdite », inscrit sur une porte entrouverte nous engage à la transgression. Les images se suivent dans un enchaînement précis, après cette porte entre ouverte, un ophtalmo nous regarde derrière sa machine dans un face à face iro- nique et scrutateur, une introduction réussie pour arriver dans le vif du sujet : les salles qui se suivent, ateliers, radiographies, salles d’opération, de soins où alternent devant leur poste de travail, les infirmières, et les médecins de l’hôpital. Le fait de ne pas voir les malades est évidemment volontaire et répond à la commande de montrer l’univers qui les entoure mais témoigne également de notre temps où le suivi des patients s’accomplit aussi par l’intermédiaire d’une technologie sophistiquée. Ce constat ne se veut pas critique, il nous montre des images simples d’un hôpital aujourd’hui, loin des clichés attendus d’un voyeurisme qui fait les beaux jours de feuilletons télévisés. Une image fait sou- rire : une manipulatrice radio déplace de ses deux mains une machine fixée au plafond, elle semble être aux commandes d’un périscope. L’idée est renforcée par l’image d’un poisson dans l’eau que l’on aperçoit sur le mur vers lequel elle dirige son regard. Les images de salles de soins où l’on peut ressentir la souffrance des patients et celle plus douce du regard tendre d’une kinésithérapeuthe contribuent à notre compréhension du quotidien de l’hôpital. Ici pas de concession à la facilité d’une image attendue faisant la part belle à la morbidité. Pas de clichés racoleurs qui atteignant notre sensi- bilité, pourraient troubler notre acuité.
Gilles Verneret n’oublie pas, cependant, d’être grave, notamment dans cette avant dernière dernière image qui clôt la série. Nous y voyons un chariot vide dans une salle vide, froide, à l’éclai- rage blafard. Un bel exemple de travail pris en compte par le photographe qui, tout en s’effaçant derrière son sujet l’a organisé autour de son pro- pos documentaire. Pris dans l’enchaînement et le cadre des images, nous ne pouvons pas en sortir avant la fin, Gilles Verneret nous tient.
Alain Leloup
© Gilles Verneret
Marie-Noëlle Boutin
Marie-Noëlle Boutin vit et travaille à Bruxelles. Elle a étudié la photographie à l’Institut Saint- Luc de Tournai en Belgique, puis à l’Université Paris VIII, ainsi que le cinéma à l’Université Lille III.
Le travail photographique de Marie-Noëlle Boutin s’intéresse à la présence humaine et la manière dont les individus habitent et incarnent un territoire. Depuis 2009, elle a entamé un travail sur l’adolescence au travers de portraits qui parlent des jeunes et de la manière dont ils s’approprient les espaces qui les entourent. En Belgique, en France ou encore en Algérie, Marie-Noëlle met en lumière la standardisation des modes de vie des adolescents tout en laissant rejaillir les spécificités culturelles qui les singularisent. Sa photographie a pour objectif de docu- menter une réalité contemporaine sans artifice.
En lien direct avec ses préoccupations artistiques, Marie-Noëlle Boutin a souhaité comprendre l’univers de l’hôpital comme [un] espace d’ac- cueil qui prend vit au travers de la présence des patients et des visiteurs. Il est un lieu complexe, ambivalent, où se côtoient et se confrontent sans cesse espaces publics et espaces privés. Il est ouvert, accessible à tous mais abrite dans le même temps des intimités derrière chacune des portes numérotées. Universel parce qu’inévitable, pour chacun d’entre nous, il est aussi l’ultra-personnel, l’intime par excellence, l’endroit où les cœurs sont ouverts et les souvenirs écrits, au milieu de ceux des autres dont on partage la chambre ou la gêne d’une blouse qui ne se ferme pas dans le dos. Patients, visiteurs, chambres, couloirs, façades sont photographiés par Marie-Noëlle Boutin comme autant de portraits de ce lieu, si commun et pourtant si atypique par ce qu’il renferme de contrastes. Portrait de l’attente, de l’angoisse, de l’espoir, chaque détail, de corps ou de décor,
- coin de plateau repas, liseré bleu du drap, morceau de barreau de lit- renferme des fragments de vie dans les moments où celle-ci est mise à l’épreuve. L’hôpital comme «lieu de vie», de LA vie, dans ses élans, ses limites, ses douleurs, c’est ce que nous donne à voir Marie-Noëlle Boutin dans sa série de vingt photographies, toujours dans la douce neutralité d’une lumière blanche et la pudeur d’un ailleurs, hors-champ ou horizon, absent mais éloquent.
Marie-Noëlle Boutin opère à l’aide d’une chambre photographique, ce qui la rattache à ces photographes qui s’intéressent principalement à la composition. Matériel très encombrement et très lourd, la chambre photographique se pose sur trépied. Ce dispositif impose le photographe à la vue de tous et lui confère la stature de « constructeur de l’image ». La chambre photogra- phique influe aussi sur le choix de la température des images, caractéristique indissociable du travail de Marie-Noëlle Boutin. En effet, toutes ses photographies rendent compte de cette même approche douce du sujet dans son cadre, avec une maîtrise précise de la lumière qui l’entoure. En intérieur comme en extérieur, ses portraits bénéficient tous d’un même traitement qui fait apparaître les sujets dans des tonalités pastelles. Sur la série réalisée au centre hospitalier, cette température particulière opère presque comme un halo de magie blanche autour des patients.
Damien Blanchard