© Thibault Brunet
Révélé par les institutions nationales et internationales (Lauréat reGénération 2 du Musée de l’Elysée à Lausanne en 2008, Finaliste du Prix Fondation Aperture 2012 à New York, Talents FOAM 2013 à Amsterdam, Mois de la Photo à Paris 2012, European Month of Photography à Berlin, Vienne et Luxembourg 2012-2013, Month of Photography à Los Angeles 2013, Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne en 2013, Prix du public Sciences Po pour l’art contemporain 2014, Prix Coup de coeur Art-Collector à Jeune Création 2014, Lauréat Carte Blanche PMU 2014 au BAL), Thibault Brunet présente un profil de photographe singulier en ce qu’il évolue essentiellement dans les univers virtuels.
Après ses études du paysage - séries Vice City et Landscapes - et ses études de portraits - série First Person Shooter - réalisées à l’intérieur de jeux vidéo, il développe dans le cadre de la mission photographique France(s), territoire liquide, la série Typologie du virtuel à partir de données collectées dans Google Earth. Pour la Carte Blanche PMU 2014 au BAL, il réalise ses prises de vues au scanner 3D, recherches photographiques qu’il poursuit en 2015 avec le partenariat technologique de Leica pour la série Territoires circonscrits.
En 2015, plusieurs expositions personnelles sont programmées à la Fondation Sunol à Barcelone, à l’Espace Saint-Cyprien à Toulouse et à la Galerie Binôme. Il participe également aux expositions : Nouveaux territoires de l’image au FRAC Languedoc-Roussillon à Montpellier ; Prix Coup de coeur Art-Collector à Paris ; Art Paris Art Fair 2015; Jeune création internationale à Singapour avec l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne ; Passage dans le cadre de Résonances de la Biennale de Lyon et Conséquences dans le cadre de la NEMO Biennale internationale des arts numériques à Paris et en Ile-de-France ; en parallèle de l’exposition Répercussions, la Galerie Binôme présente aussi son travail à Slick art fair. Après la parution Les immobiles aux éditions Filigranes en janvier, une monographie est en cours de préparation avec le soutien du Centre National des Arts Plastiques.
© Thibault Brunet
Répercussions
Thibault Brunet a pris acte de la dilution du réel dans le virtuel et de la photographie dans l’image de synthèse. C’est pourquoi le photographe recourt naturellement à des outils, des dispositifs et des protocoles de l’ère numérique autres que l’appareil photographique. Ses premiers travaux, Vice City (2007-13), Landscape (2009-12) et First Person Shooter (2008-13), réunissaient ainsi des images prises par son avatar à l’intérieur de jeux vidéo. Parmi les trois séries présentées aujourd’hui dans l’exposition Répercussions, seule Curiosité (2015, titrée en hommage au robot Curiosity qui explore la planète Mars) entretient un rapport avec cet univers. Mais il est distant : c’est grâce à un logiciel de construction de jeux vidéo que Thibault Brunet a élaboré aléatoirement ces paysages dont le noir et blanc s’empresse de rompre avec l’esthétique vidéo-ludique pour se conformer davantage aux images de la NASA qu’il recevait sur Twitter. Par opposition à ces paysages artificiels, Typologie du virtuel (2014) comprend trente-six bâtiments modélisés en 3D par des utilisateurs de Google Earth et extraits de leur environnement par l’artiste tandis que les paysages de Territoires circonscrits (2015) sont réalisés sur place, mais avec un scanner. Ultraperfectionné, il scanne à 360 degrés et jusqu’à 120 mètres. Il convertit la zone scannée en un disque virtuel dans lequel l’artiste choisit un point de vue pour « prendre » sa photographie. Sa marque, Leica, devient symbolique dans ce contexte post-photographique de prolongement de la photographie par d’autres moyens.
Mais Thibault Brunet ne se contente pas de témoigner de l’évolution des techniques et des images qu’elles produisent. Certes, les paysages de Curiosité s’affichent comme des images technologiques. J’en veux pour preuve leurs découpes irrégulières, qu’on retrouve, il faut le souligner, sur bon nombre de photographies
de Mars prises par Curiosity. Elles sont générées automatiquement par les logiciels de traitement d’images qui raboutent des fragments de plusieurs vues afin d’en composer une cohérente. Ces découpes franches au fort pouvoir plastique et expressif ne signent pas la présence de l’artiste, bien au contraire, elles sont indépendantes de sa volonté. En revanche, Typologie du virtuel et Territoires circonscrits introduisent une distance plus nette avec l’image technologique. Il n’y est plus question d’aléatoire mais de choix. Les deux séries partagent une certaine proximité formelle fondée sur un chromatisme sourd et des vides vaporeux qui, eux, si l’on songe encore à Vice City, tendent à devenir la marque de l’artiste. Fin coloriste, il nimbe ces architectures et ces paysages d’une atmosphère rêveuse qui isole le motif, sans pour autant le faire basculer dans un onirisme que sa démarche et ses sujets interdisent.
Car le travail de Thibault Brunet porte, à mon sens, une réflexion sur le genre du documentaire et les images qui le fondent. Les trois dernières séries, mais Vice City et Landscape aussi, ont pour point commun de représenter des lieux. À la différence des paysages de synthèse de Curiosité, les lieux de Typologie du virtuel et de Territoires circonscrits existent. Ils sont inscrits dans le réel, celui des zones périurbaines pour la typologie, élaborée dans le cadre du projet documentaire collectif « France(s) territoire liquide », celui des zones côtières du Nord de la France, entre Calais et Sangatte, pour les seconds. Dans les deux cas, le dispositif entend coller au réel : Thibault Brunet ajoute artificiellement, par leur ombre portée, la lumière exacte qui tombait sur les bâtiments de la typologie au moment de leur modélisation, et c’est d’un point de vue élevé et englobant qu’il observe les côtes du Nord et leurs cabanes de pêcheurs ou ce container placé en bord de route et transformé en distributeur de pommes de terre. Thibault Brunet documente ainsi l’architecture et le paysage français, qu’ils soient génériques et normés ou vernaculaires et spontanés.
Pourtant, si les paysages artificiels de Curiosité sont purs, conformes à l’idéal de transparence du documentaire, Typologie du virtuel et Territoires circonscrits sont composés de formes abrégées, parfois difficiles à lire car au bord de la disparition ou prises dans un enchevêtrement de plans où l’intérieur et l’extérieur peuvent se confondre. C’est néanmoins dans cette ambiguïté et cette incohérence même qu’on trouvera un commentaire sur le monde dans lequel nous vivons, car, Curiosité le prouve, ce qui se donne avec trop d’évidence et de cohérence ne témoigne finalement de rien. Des travaux comme ceux de Thibault Brunet contribuent ainsi à refonder le documentaire à l’ère numérique sur des bases inverses de celles de l’ère analogique. C’est aussi dans ce sens que l’on peut parler de répercussions.