14 octobre 2015 - 28 février 2016
vernissage jeudi 15 octobre à 18h
… " de leur état naturellement gazeux, Eric Bourret réussit ainsi à nous donner des cieux qu’il photographie le long de la ligne de crête de la chaîne himalayenne des images puissamment matérielles. Perché entre 4000 et 7000 mètres d’altitude, au Zanskar au Paldar ou au Changtang, l’artiste marche entre ciel et terre. Il n’est jamais allé si haut et le ciel ne s’est jamais trouvé si bas. « Les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages ! », chante le poète. Ces nuages, ils sont là comme à portée de main et le sentiment est de pouvoir les toucher du doigt. Eric Bourret marche, il les photographie avec sa « machine à capturer le temps. » il en résulte d’étranges vues de matières en fusion, comme si l’on était penché sur des bassins de métaux en pleine ébullition. La lumière sourd de l’intérieur, comme d’un caisson lumineux. Les cieux d’Éric Bourret s’offrent à voir dans une relation proprement cosmique à l’espace. Tout y est de l’ordre d’un corps solide originel, d’une forme magmatique qui vient du fond des âges. Qui n’a pas d’âge. Mémoire d’un temps du monde d’avant le monde. présence d’un corps stellaire aussi vieux que n’importe quelle photographie d’étoile dont on sait qu’au moment de la prise de vue, elle est vieille de plusieurs centaines, voire milliers d’années. mais est-ce vraiment une photographie ? Plutôt une sculpture comme l’accréditent la mise en diasec de l’image et un encadrement à fleur qui lui confère un poids mental.
Des hauteurs himalayennes, voilà Eric Bourret redescendu jusqu’au bord de la lagune. du ciel non pas sur terre mais sur l’eau. A Venise. Dans cette « ville-nénuphar », comme la nommait Paul Morand1 et dont Cassiodore notait pour sa part, en 537, que ses premiers habitants avaient su « se faire de l’eau une patrie ». Autre lieu, autre élément. Venise... photographier Venise... une rude gageure. Comment pouvait-il s’y prendre ? Il allait penser à la naissance de cette ville improbable, bâtie sur l’eau, ancrée viscéralement en ses profondeurs par le biais de tout un lot de plots en bois. comment rendre compte alors de ce qui fait la matrice de venise ? La navigation devait se substituer ici à la marche et le photographe devait se laisser aller au fil de l’eau. Parce que la lumière y est complètement étale, il fit le choix d’y venir l’hiver ; de plus, comme l’eau, la ville est au calme, rendue à elle-même. La sérénissime retrouve sa sérénité. Tout y est en suspens et l’eau qui est, selon Claudel, « l’appareil à regarder le temps », s’offre à Eric Bourret comme une parfaite métaphore. Les deux séries d’images qu’il en déduit sont aux antipodes l’une de l’autre. Ici, le temps étiré sur l’infini de l’horizon, simplement ponctué du signe étrangement anthropomorphe des plots en bois, dans une lumière immaculée ; là, le temps accumulé en façades sombres, quasi aveugles, de palais anonymes dont les reflets s’abiment en strates dans la noirceur de l’eau. Le temps qui passe semble toujours à l’arrêt. Jour et nuit sans cesse recommencés… "
Philippe Piguet
(extrait de l'ouvrage "Eric Bourret - photographies - 2005-2015 - et l'espace fera de moi un être humain"
Musée Ziem - Arnaud Bizalion 2015)