© Romain Chambodut
Auteur photographe né en 1984. Vit et travaille à Lyon.
Le thème récurrent de la réflexion esthétique de Romain Chambodut, thème à la fois obsessionnel et tempéré — il est partout comme l’implicite organisateur de tout —, c’est l’individu : individu personne (son visage, ses vêtements, ses postures) aussi bien qu’individu objet (son corps, sa peau). Lorsque le photographe le fait personne, l’individu est modèle. Lorsqu’il le fait objet la personne s’éclipse mais l’individu reste, devenu de part en part plastique.Modèles et/ou objets, les sujets placés devant l’objectif sont érigés en entités offertes à la vue, émancipés par l’éviction ou la stylisation des décors, par la géométrisation de l’espace où ils inscrivent leurs lignes, et le plus souvent formes sur un fond.
Car l’individualité se manifeste dans le monde sous forme de traces visibles, diffractées, évanescentes, dont Romain Chambodut essaie paradoxalement de saisir l’essence. Sa recherche passe par l’esthétique pur : la photographie saisit et révèle ses sujets et les élevant au rang d’œuvres et en les constituant en objets plastiques. Ces objets s’intègrent à des régularités esthétiques : se dégagent alors des séries.
Cuba, Noble décadence. 2015.
Nous sommes à Cuba, principalement à La Havane.
Ici le temps semble s’être arrêté, les bâtiments sont écorchés mais superbes, fragilisés par l’attente et l’économie de survie pourtant ils tiennent bon et font comme les cubains, ils patientent tranquillement. L’humain est absent de ces images par choix. Ce sont les façades les témoins des difficultés du quotidien qu’affrontent les habitants. Cette décadence, Il n’y a(vait) de toute façon pas d’autre choix. Cuba s’ouvre aujourd’hui. Déjà les groupes immobiliers internationaux sont là, ils rénovent, détruisent. Et depuis septembre Cuba ce sont 80 vols quotidiens en provenance des Etats-Unis.
Que va-t’il rester de cette noble décadence ?
Fragiles et sensibles, les polas de Romain, tels des mues de ces façades froissées portent en eux les souvenirs d’un pays qui s’oblige à une perpétuelle adaptation. Ce projet présente des photographies de photographies. L’image fixée sur papier est reproduite avec un polaroid médical. Ils sont enfin épluchés pour ne garder que la peau du film, fragile, fripée et transparente. Cette création de matière passe donc par le choix du procédé, mais aussi par celui du support. Par le tirage et sa présentation, la photographie entre en concurrence avec les objets du monde réel. Créer un objet, c’est donner corps et matière au principal argument en faveur des procédés « nobles » du tirage photographique.