solitude est énorme – mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! Voyez comme l’on respire librement ! Que de choses on sent au-dessous de soi ! »
(Friedrich Nietzsche, Ecce homo – comme on devient ce qu’on est, 1888)
« Je me détachais du spectacle « restreint », la tête à nouveau perdue dans la gueule de l’espace immensément béant qui m’avalait, m’avalait plus avant. »
(Henri Michaux, Le dépouillement par l’espace, 1964)
Un nouvel idéal : devenir espace, s’espacifier prendre non seulement de la distance, mais de la hauteur ; ne pas seulement marcher sur le sol, mais se sentir enveloppé d’espace, pénétré d’espace, dedans et dehors à la fois ; laisser l’air se déployer dans sa gorge, sa poitrine, ses artères, son corps entier ; ne pas seulement grandir et s’élever, mais se dilater, se confondre… Ce pourrait être un idéal de vie. « Ceinturés de vent », ainsi appelait-on dans la tradition brahmanique les renonçants (samny sin) qui quittaient rituellement la vie familiale et sédentaire pour errer dans le grand air. Légers, aspirés par l’espace. Nous ne sommes pas les uns à côté des autres, partes extra partes, condamnés à l’extrapolation ; mais nous ne cessons de mêler nos souffles et nos énergies, de les emprunter, de les refondre dans une fabrique qui nous dépasse. Juchons-nous donc imaginairement sur la hauteur et parcourons avec Éric bourret le « toit du monde ». Un nouveau désir surgit, non de conquête obsessionnelle et de rivalité avec nos congénères, non de surhumanité – Éric bourret n’est pas en ce sens nietzschéen – mais de dilatation et d’ouverture à un espace indissociablement physique et moral. Ne pas se cantonner à soi mais sentir pleinement, sentir au risque du vertige, suivre le parcours du sensible qui se replie ou se circularise, voilà ce qui donne au voyage sa vraie saveur et le transforme en véritable exercice, en exercice périlleux. nous réalisons alors notre appartenance à deux mondes radicalement incompatibles. Si nous avons un pied ici-bas, où dominent les relations de cause et d’effet et où nous sommes soumis à une temporalité irréversible – celle de « la flèche du temps » d’eddington –, nous avons un autre pied ailleurs, là où la chronologie n’a plus de prise et où les transformations dont nous sommes le champ s’effectuent au-dessus de nous. Faut-il encore tenter de maîtriser ce qui nous maîtrise ou bien nous résoudre à larguer notre moi ? Nous sommes dans la gueule de l’espace et séjournons comme jonas dans le ventre du léviathan. N’espérons pas stérilement un ailleurs où nous serions un jour recrachés comme le fut Jonas : explorons tranquillement notre habitat originaire ; vaguons, voguons, vaquons à notre guise, sans savoir où nous finissons, ni où l’autre commence. Rapprochons-nous du foyer des mutations.
Baldine Saint Girons (Dans la gueule de l'espace, extrait)
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