Expositions du 28/04/2006 au 03/06/2006 Terminé
Dazibao 5455, avenue de Gaspé H2T 3B3 Montréal Canada
Carte Grise à Jocelyn Robert
Vernissage le vendredi 28 avril à 17 heures
Éric Gagnon
Bernard Gigounon
John Oswald
Julia Page
Ben Riesman
Il y aurait deux types d'éclairage. D'abord cette source débordante qui inonde la pièce et révèle le moindre détail de chaque aspérité, trahissant les inégalités, les rugosités, les ajouts, les marques les plus fines dans les matières les plus opaques ainsi mises à nu par ce déluge proprement photographique. Puis il y a cette autre source. Moins qu'une source, une zone, une tache, peut-être même simplement une fragile faiblesse dans un rideau sombre, sans matière propre que l'absence de son contraire. C'est cette lumière-là qui m'intéresse. Celle de la lampe au mercure dans la cour du bar au coin des rues de la Couronne et de La Salle : blanche, crue, mais incapable de toutes ses forces de résoudre l'obscurité dans laquelle se dissimulent les voitures qui y sont stationnées et les couples qui s'y réfugient. Celle qui troue le paysage de campagne la nuit et qui annonce, malgré la noirceur, une porte, une cuisine, une maison. Celle de la petite veilleuse qui travestit en montagnes, aventures et récits les choses banales qui traînent sur le plancher du sous-sol. Celle du comptoir de la cuisine, que ma mère n'utilisait que rarement: lorsque l'un d'entre nous était malade, lorsqu'il s'agissait d'attendre l'heure du réveillon à Noël, ou dans d'autres circonstances dont le motif nous échappait, mais qui étaient considérées comme hors du commun du seul fait de cet éclairage fragile devant le poids de la nuit.
De ces deux éclairages, on ne voit à peu près que le premier peupler la boîte à lumière qui meuble le quotidien médiatique nord-américain. Hormis le générique national qui annonce aux bonnes gens qu'il est enfin temps d'aller se coucher, c'est la violence de la lumière qui frappe qui nous est servie sans relâche et qui inonde le domestique. En fait, alors que plusieurs jeunes vidéastes utilisent des images d'œil dans leurs œuvres, c'est plutôt une bouche qu'il faudrait voir. La télévision ne nous surveille pas : elle hurle. Elle nous crie au visage comme un lieutenant assène ses ordres. Elle nous projette ses photons comme autant de projectiles qui atteignent directement le cerveau, et la bouche que l'on voit à l'écran est véritablement la gueule du canon à électrons qui se cache dans la lampe cathodique. La première lumière, projetée par l'appareillage de grammatisation médiatique télévisuelle, est celle du rayon lumineux des romans de science-fiction du début du siècle : une arme.
Ici, ce sera à la seconde lumière que nous porterons attention. Les projets d' Éric Gagnon,Bernard Gigounon, John Oswald, Julia Pageet Ben Riesman ne se contentent pas de renoncer à l'artifice du spectacle permanent. Ils creusent dans la matière du flot médiatique des zones tempérées, presque immobiles, qui éclairent les médias eux-mêmes d'un nouveau jour, créant autour d'eux des zones d'ombres : des zones de possibilités.
Parfois, ce potentiel sera découvert au cœur même de la marée médiatique contemporaine. Ainsi, Julia Page puise à même les images les plus fabriquées du continent télévisuel américain : celles présentant la vie officielle des présidents des États-Unis. Mais elle regarde ces images en oblique et découvre le personnage caché, la figurante, la fille du président, et lui redonne une humanité : quelquefois douloureuse, quelquefois touchante. Parfois, ce sera le jeu de la caméra, celle que tout le monde porte en bandoulière, qui ouvrira l'imaginaire. Ce sera notamment le cas des œuvres de Ben Riesman et de Bernard Gigounon qui, chacun à sa manière, trouvent une magie insoupçonnée dans l'usage des fonctions les plus élémentaires de ces technologies. Comme quoi la magie réside encore et toujours dans l'œil du regardeur... Éric Gagnon, quant à lui, ramène la vidéo près du rêve et de l'enfance : près du temps d'avant la production. Ses images sont, en fait, des dessins, et ses personnages, des chimères. La vision qu'il crée est tout autant dans notre crâne que dans la boîte à images. Et ce sera de ces deux territoires qu'il sera question dans l'œuvre de John Oswald, dans laquelle l'élément crucial est probablement la plaque de verre qui nous sépare de cet autre monde : qui nous sépare de lui et lui de nous. L'œuvre d'Oswald nous place en équilibre.
Dans ces jeux entre l'un et l'autre côté de l'écran, un échange voit le jour. Au lieu du bombardement à sens unique de la télévision hyperindustrielle, voici proposées des œuvres temporelles qui ne requièrent pas la synchronie. Selon Bernard Stiegler, « Une conscience est essentiellement une conscience de soi, c'est-à-dire qui sait dire je – je ne suis pas équivalent à qui que ce soit d'autre, je suis une singularité, c'est-à-dire que je me donne mon propre temps. [...] Or, les industries culturelles, et en particulier la télévision, constituent une énorme machine de synchronisation. [...] Lorsque ces consciences, tous les jours, répètent le même comportement de consommation audiovisuelle, regardent les mêmes émissions de télévision, à la même heure, et ce de façon parfaitement régulière, parce que tout est fait pour cela, ces “consciences” finissent par devenir celle de la même personne – c'est-à-dire personne 1. » Dans les œuvres proposées ici, mon temps sera le temps de l'œuvre, je pourrai apprivoiser le passage du temps, je pourrai chanter à mon rythme la chanson des images.
Pour être fidèles au concept et aux projets des artistes, nous avons volontairement inversé le processus habituel d'exposition et de publication : au cœur du projet La lumière immobile se trouve la publication sur DVD des œuvres sélectionnées. L'objectif premier était de graver ces pièces sur un support qui leur permettra d'exister dans l'univers domestique, au rythme du quotidien. C'est cette publication qui fut documentée par une exposition en galerie.
Jocelyn RobertDazibao 5455, avenue de Gaspé H2T 3B3 Montréal Canada