© Lionel Estève
« Lionel Estève installait ce jour-là à Bruxelles une « Rétrospective » de ses cartons d’invitation. C’est que, dans son cas, on peut dire qu’une exposition commence par le carton: le nom, les dates, le lieu et puis un titre : « a wander » que le dictionnaire traduit par « une promenade sans but ». C’est aussi une image au dos et l’artiste adopte une position particulière : il ne s’agit pas d’une œuvre, d’un détail mais d’une photographie qu’il a prise et qui introduit de manière poétique l’exposition. Cette fois, un morceau de paysage, un arbre, une descente de coteau jusqu’au bord de la rivière et son reflet dans l’eau. C’est bucolique si ce n’est que très vite on découvre que le reflet ne correspond pas à son image et que mystérieusement, il nous donne plus à voir que la réalité ; image prise sur le vif par l’artiste lors d’une de ses promenades aux abords du parc impérial de Tokyo. C’est le grand thème du promeneur solitaire, de son contact avec la Nature dont on peut dire qu’il est omniprésent dans l’œuvre de Lionel Estève, j’y vois même le fil rouge de ce travail singulier et unique.
« Brillantes fleurs, émails des prés, ombrages frais, ruisseaux,
bosquets, verdure, venez purifier mon imagination salie par
tous ces hideux objets. » (1)
La Galerie Perrotin, Paris présentera d’abord deux grands paysages sur verre, puis six peintures sur un support particulier et nouveau : l’artiste a récolté différents types de végétations, mises à sécher sous presse, blanchies à l’encre et sur lesquelles il est venu peindre à l’aquarelle en suivant les structures organiques. Des fleurs de pavot, séchées, dorées à la feuille, on ne manquera pas d’y retrouver cette forme de cloche si présente dans l’œuvre. Dans une autre salle : une frise de plantes séchées, durcies, également dorées à la feuille au bas des murs. Au-dessus de la frise : plusieurs aquarelles de grand format, des nuages « aux couleurs fauves », sorte de grand ciel menaçant. Dans la dernière salle : un herbier de plantes séchées, dorées, certaines de très grande taille, disposées sur le mur, un peu comme Matisse et ses papiers découpés : « … mais je crois que cela sera impressionnant, comme une jungle ou un été flamboyant. » (2) C’est la première exposition où le monde végétal est si présent dans les œuvres. L’occasion de pointer que l’artiste renouvelle, à chaque exposition, son corpus. Est-ce bien le Lionel Estève dont on a vu l’exposition en 2005 rue de Turenne et il y a trois ans impasse Saint Claude ? C’est un artiste qui expérimente continuellement dans son atelier et ce jour-là, c’est autour de gigantesques feuilles séchées et de la technique de la dorure à la feuille. Plutôt que de disserter sur l’apparition de l’or dans l’univers matériel et chromatique de l’artiste, on rappellera simplement que lorsque la mixtion qui va accueillir la feuille d’or est prête, on dit qu’elle est « amoureuse ». Il y a dans toutes les techniques utilisées un souvenir de l’artisanat, du bricolage, des moments que l’on passe avec les enfants. Lionel Estève réussit en partant de ces gestes simples à produire des œuvres singulières. Souvent, au départ, il y a comme un jeu, une réinterprétation du geste à accomplir: le feutre est utilisé pour « marquer», l’aquarelle va être déposée sur une flaque d’eau, la couleur sera aspirée… Les œuvres seront les plus « légères », Paul Klee insistait sur « ne dire qu’une fois les choses et de la façon la plus simple ».
« C’est mon dernier film qui sort le 30 décembre. Il n’y a rien à comprendre. A prendre oui... Mais comprendre, c’est un bien grand mot (…) Quand j’entends un disque de Madonna, je ne comprends pas les paroles, ça ne veut pas dire que je ne comprends pas le disque. » (3)
On a envie de dire qu’à cette œuvre unique et singulière correspondent des méthodes uniques et singulières. Comment travaille Lionel Estève ? Ça commence en général dans ce rapport particulier à la Nature, dans la Drôme, ou en Toscane. Comme il le dit « la nature nous raconte quelque chose ». Ce dont cette exposition parle, c’est la Nature qui le dit et ce qu’elle dit est mystérieux. Il ne s’agit pas d’un rapport écologique ou mélancolique mais bien contemporain et constructif, une nouvelle façon de penser le dessin, la sculpture… Le rapport à la Nature est personnel et sera forcément complexe, il n’est pas donné, il s’apprend, il se gagne. Certes, il y a les images de liberté, de loisir, d’espace… mais il y a aussi la révélation, la perte de soi dans l’univers ou ce que Rousseau nommait « les ravissements, les douces rêveries, les chères extases. » C’est là que se tiennent les observations, expérimentations et que les projets se construisent mentalement, viendront ensuite les moments d’improvisation."
Yves Brochard
1. Jean-Jacques Rousseau, "Rêveries du promeneur solitaire", Les Classiques de Poche, 2001, p.142
2. Les citations sont extraites d’entretiens, d’échanges de mails avec l’artiste et d’extraits du livre à paraître : "A very small part of infinity
3. Jean-Luc Godard, "Documents", Editions du Centre Pompidou, Paris, 2006, p.330
La Galerie Perrotin, Paris a le plaisir de présenter conjoitement « Sticks and Stones May Break My Bones*», la première exposition personnelle de Mel Ziegler en France, présentant une sélection d’œuvres récentes et nouvelles de l’artiste américain. Une partie de l'exposition sera également consacrée à sa collaboration avec Kate Ericson avec quelques oeuvres historiques réalisées avant le décès prématuré d'Ericson en 1995.
© Mel Ziegler
Dès la fin des années 70, Kate Ericson et Mel Ziegler ont développé hors de la sphère new-yorkaise, une démarche artistique singulière proche de l'art conceptuel et du Land art. Le couple d'artistes réalisait des interventions à travers les États-Unis impliquant directement les habitants et empruntant des iconographies locales et nationales américaines. Leurs œuvres, souvent sculpturales, sont le fruit de ces interventions. Au cours de leur collaboration, elles ont été exposées dans de nombreux musées et galeries, faisant l’objet d’une rétrospective itinérante "America Starts Here" (2005-2008) ainsi que d’une grande exposition à la Galerie Perrotin, New York en 2014. En 1992, dans sa première galerie, Emmanuel Perrotin leur avait déjà consacré une exposition personnelle, dont deux œuvres sont à nouveau ici exposées, notamment « Vinegar of the 48 Weeds » (1992).
© Mel Ziegler