Mercredi 04 Février 2015 12:46:14 par actuphoto dans Expositions

Fier de sa proximité avec l’un des plus beaux musées de Paris, le Musée Rodin, le Centre culturel canadien présente une exposition entièrement dédiée au plus célèbre des sculpteurs français, et en particulier à son monument Les Bourgeois de Calais (1885). Intitulée Les Bourgeois de Vancouver, l’exposition est conçue par Adad Hannah, artiste photographe et vidéaste travaillant à Vancouver et à Montréal, et le cinéaste québécois Denys Arcand dont le dernier film, Le règne de la beauté, est sorti en novembre dernier en France. Le cœur de l’exposition est une installation vidéographique inédite qui réélabore l’idée du monument urbain en décomposant et recomposant le groupe sculpté, avec des acteurs d’aujourd’hui. La pièce raconte l’histoire de six personnes à la recherche d’un travail temporaire qui se retrouvent engagées par un mystérieux mécène afin d’incarner l’œuvre de Rodin dans une sculpture vivante dans le centre-ville de Vancouver. Un poète anonyme, une vieille dame asiatique ne parlant que sa langue d’origine, un fraudeur, un sportif, un ouvrier licencié, une ex-junkie se rencontrent chaque jour, se déguisent en acteurs, prennent la pose toute la journée sur le parvis de la Vancouver Art Gallery et rentrent chacun chez eux à la fin de la journée.

Chacun prend la pose de l’une des six figures composant le groupe des Bourgeois de Calais de Rodin, raconte ce qui l’a conduit à devoir accepter ce travail, comment il ou elle vit cette expérience singulière qui semble avoir lieu dans l’indifférence publique. On passe de la vie intime à une représentation extrême du masque social où la mise en valeur de l’image de la soumission héroïque et du sacrifice que représente l’événement de 1347 sculpté par Rodin s’incarne dans un faux-semblant théâtralisé mais dépour - vu de dramaturgie.

©Unwrapping Rodin Blue

Le monument à la gloire des bourgeois sa - crifiés devient ici une performance soumettant des travailleurs temporaires à une contrainte physique qui leur impose, contre rémunération, silence, immobilité et anonymat. La référence à l’histoire ou au mythe d’origine qui remonte à un épisode de la guerre de Cent Ans ayant opposé Anglais et Français en cet endroit stratégique pour les deux royaumes, s’émousse ici, tout en demeurant tapie dans la mémoire de l’œuvre, dans la nature composite du groupe des acteurs dont les blessures viennent d’une difficulté d’insertion ou d’une mise à l’écart du monde qui affecte les impuissants des grandes capitales mondialisées. L’installation Les Bourgeois de Vancouver est inaugurée à Paris, à distance de marche du célèbre bronze déposé à l’entrée des jar - dins du Musée Rodin. Elle sera ensuite la spectaculaire compo - sante contemporaine de la grande exposition Métamorphoses. Dans le secret de l’atelier de Rodin que présente le Musée des beaux-arts de Montréal du 30 mai au 18 octobre.

Elle sera éga - lement visible à Toronto du 10 au 20 septembre dans le cadre du Toronto International Film Festival. Cette coopération excep - tionnelle entre trois institutions canadiennes et le Musée Rodin répond à une collaboration elle-même exceptionnelle (initiée en 2011 au Musée des beaux-arts de Montréal dans l’exposition anniversaire Big Bang ) entre un artiste émergeant de la scène contemporaine canadienne et un cinéaste reconnu par les plus prestigieuses distinctions.
L’exposition réunit également d’autres créations de Adad Han - nah intimement liées à l’œuvre de Rodin : la série photogra - phique Unwrapping Rodin (2010), qui transpose en studio et avec la mémoire des décompositions photographiques réalisées à la fin du 19 e siècle par Muybridge et Marey, le déballage d’un exemplaire de la statue de l’un des six bourgeois de Calais, Pierre de Wissant ; une composition d’écrans, Les Bourgeois de Calais : Crated and Displaced (2010), qui nous confronte à notre rapport à l’image d’un monument connu par la médiation de la reproduc - tion ; ainsi que Age of Bronze , une série de trois tableaux vivants réalisés en 2004 dans une salle du Musée des beaux-arts du Canada, réflexion sur le genre (sexuel et artistique), la hiérarchie (des rôles au sein d’une institution), et plus généralement sur la relation entre regard et pouvoir, le tout se jouant autour de L’Âge d’airain, ce nu masculin anti-académique, œuvre majeure de 1877, qui suscita la controverse tout à contribuant à l’affirmation de la gloire de Rodin.