© Régis Feugère
Kunizakaï est un mot japonais qui signifie à la fois la frontière, le seuil, la limite. Il s’agit plus d’un état mental que d’une réalité géographique ; ce lieu / cet entre-deux désignant également un espace transitoire de transgression. Les photographies de cet artiste ont en effet été prises à la sortie de petites agglomérations rurales, quelque part en France, à l’heure où la nuit tombe. Chaque image a fait l’objet d’un travail de repérage et de composition au préalable, avec une réflexion menée sur le point de vue et la lumière. Ces photographies sont comparables à des écrans noirs dans lesquels émergent seulement quelques traces fugitives de lumière. L’obscurité agit à l’intérieur comme un personnage qui viendrait envahir petit à petit le cadre. Il en résulte des images presque cinématographiques qui rappellent la scène d’ouverture de Philippe Grandrieux dans Sombre. D’où cette impression si forte qui s’en dégage : ces photographies seraient comme les scènes manquantes d’un film. Mais pas n’importe quel film : par leur simplicité formelle et leur effet pénétrant, elles se rapprochent de l’esthétique de Jacques Tourneur ; une esthétique du trouble qui consiste à susciter la peur en n’utilisant qu’un minimum d’effets. Ces lieux vidés de toute présence semblent ainsi attendre un événement, réel ou fantastique, qui les ferait basculer du côté de la fiction.
Alison Huetz
Exploration nocturne est ici faite des marges des agglomérations urbaines, ces entre-deux inquiétants qu’il faut franchir en affrontant ses peurs. Se donner la chance d’aller de l’avant et espérer donner une impulsion à son existence supposent un abandon de certitudes pour plus d’inconnu. Peu engageante, l’obscurité se dresse comme un obstacle.Les éclairages nocturnes offrent un caractère cinématographique à ces endroits solitaires mais néanmoins empreints d'une poésie silencieuse et contemplative. Les rues sont désertes, les façades aveugles et la végétation bien étrange. Le présent est en suspens, aussi incertain que le futur...