j'avais un ami qui me disait toujours
"il faut faire le p'tit bouchon au gré de l'eau"
chacun fait sa vie comme il peut et la vie
fait de vous ce qu'elle veut, ce qu'elle veut, ce qu'elle veut…
Serge Rezvani1
Il est deux rivières de l’yonne que l’on croise en circulant entre vermenton, vézelay et avallon. par des alignements de taillis et d’arbres qui signalent la sinuosité de leurs cours, on devine plus souvent leur présence qu’on ne les voit. l’œil suit pourtant les itinéraires révélés par leurs rives bordées de ces végétations souvent confuses des vallées de la cure et de celle de son affluent le cousin. de la route le regard les saisit ponctuellement puis les perd, on les franchit par des ponts sous lesquels l’eau s’étale un peu et parfois un chemin de halage les accompagne sur quelques encablures avant de voir ces eaux vives et ombragées disparaître à nouveau dans les replis d’un encaissement qui les absorbent.
Sous l’égide d’un pictogramme, celui du randonneur, Éric bourret a souhaité placer sa quête photographique. cet homme schématisé, comme une figure tracée sur le bord d’un chemin, évoque dans une contrée au passé préhistorique majeur, un signe d’avant l’écriture. inscrites dans son parcours, les grottes d’arcy-sur-cure furent longtemps le terrain des recherches d’andré leroi-gourhan sur les prémisses d’un langage ancestral. combinaison d’archaïsme et de design graphique pour une balise de gr, l’homme qui marche se superpose ainsi à la silhouette de l’artiste dont la démarche créatrice vise à une communion de son être avec les sites arpentés. le photographe est coutumier de ces terres hantées de témoignages de nos lointains parents. il connut l’inde, l’afrique du sud, le moyen-orient et des régions plus familières, toutes autant chargées de traces anciennes. en tout premier lieu quand il marche, il appartient ainsi à l’histoire de ces paysages qu’il vit et appréhende physiquement avant même d’en extraire une œuvre. la scansion physique de la marche et la régulation de son souffle intègrent une approche qu’il partage avec valère costes quand cet artiste synthétise sa relation aux territoires explorés par un haïku de paul claudel : « j’ai respiré le paysage / et maintenant / pour dessiner / je retiens mon souffle. »2
En septembre 2009, Éric bourret eut donc l’opportunité de parcourir à pied les abords de ces affluents de l’yonne bien souvent encombrés de branches et protégés de broussailles qui les rendent difficilement accessibles. pour lui il ne s’agissait pas d’une exploration mais bien, suivant sa mission photographique, de réinventer alors un paysage, d’en saisir ses possibles écritures graphiques et de transcender par une appréhension sans préjugé les représentations rurales convenues depuis les préromantiques de la fin du xviii° siècle. ne pas répondre donc aux codes dominants qui auraient espéré figer dans l’image argentique l’envol d’un héron, un bouchon au bout d’une canne tendue par un pêcheur assoupi et quelques canards sauvages voguant sur des eaux miroitantes. par choix ses panoramiques font l’impasse de cette présence de l’eau qui induit pourtant ces étirements radicaux du format. pour mieux conduire le regard du spectateur vers les variations subtiles portées par la cadence d’un même cadrage, le photographe assume pleinement le risque de la monotonie. les feuillages, les branches et les troncs noircissent ces partitions de notations denses et de rythmes fouillés où seules quelques pépites de ciel portent encore la lumière crue de l’été. la quiétude bucolique existe mais c’est par la fugue, au sens musical que l’artiste la traduit. ces photographies presque abstraites nous disent pourtant l’instabilité des feuilles qui filtrent en bruissant les lumières estivales, elles incarnent le bien être des pénombres, la plénitude d’une dérive au gré de l’eau. le tempo du photographe suit le rythme d’une eau qui s’écoule sans furie. dans cette déclinaison photographique sur le temps et l’espace, la sensation se construit dans l’attention que l’on porte à ces rubans singulièrement étirés et pour en saisir l’envoûtement il faut alors s’installer dans la lenteur de son déroulé et se laisser aller au fil du temps.
jacques py, 8 décembre 2009.