Expositions du 31/10/2014 au 06/12/2014 Terminé
Galerie Marine Veilleux 47 rue de Montmorency 75003 Paris France
’Il faut donc me rendre à cette loi : je ne puis approfondir, percer la Photographie. Je ne puis que la balayer du regard, comme une surface étale. La Photographie est plate, dans tous les sens du mot, voilà ce qu’il me faut admettre. C’est bien à tort qu’en raison de son origine technique, on l’associe à l’idée d’un passage obscur (camera obscura). C’est camera lucida qu’il faudrait dire (tel était le nom de cet appareil, antérieur à la Photographie, qui permettait de dessiner un objet à travers un prisme, un oeil sur le modèle, l’autre sur le papier); car, du point de vue du regard, « l’essence de l’image est d’être toute dehors, sans intimité, et cependant plus inaccessible et mystérieuse que la pensée du for intérieur; sans signification, mais appelant la profondeur de tout sens possible; irrévélée et pourtant manifeste, ayant cette présence-absence qui fait l’attrait et la fascination des Sirènes » (Blanchot).’Galerie Marine Veilleux 47 rue de Montmorency 75003 Paris France
Roland Barthes, La chambre claire - Note sur la photographie
Cahiers du cinéma Gallimard Seuil, 1980
Lena Amuat et Zoë Meyer interrogent l’influence des processus esthétiques sur la production des savoirs. Entamant en 2009, sous le nom d’Artefacts and Models, un travail de collecte photographique qui emprunte au registre encyclopédique, elles développent un système d’archives personnelles toujours augmentées, de l’ordre du substrat culturel, où se mêlent moulages antiques, artefacts ethnologiques, objets cultuels, modèles scientifiques ou encore pédagogiques. Au moyen de portraits frontaux, directs, d’une rigueur académique propre aux inventaires des collections muséographiques, elles dressent une nomenclature aux entrées subjectives.
Oscillant entre protocole archéologique et procédés techniques illusionnistes, elles font appel à une mise en abîme de l’acte fondateur de la photographie. Car si la photographie pose une présence immédiate au monde, au sens où elle revendique un ça-a-été, une authentification référentielle, c’est bien dans l’écart entre modèle et artefact, entre authenticité et subterfuge que réside le doute qui point dans le travail de Léna Amuat et Zoë Meyer.
De l’ambition de repenser la démarche scientifique d’un point de vue artistique résulte alors un outil documentaire ambigu, une constellation d’images au rendu troublant, proches de la relique contemporaine et invitant néanmoins à une expérience perceptive nouvelle, celle du mentir-vrai.
Dans cette perspective, Eclipse - From Artefacts and Models, 2014, se livre comme un laboratoire. L’archive y devient la matière vivante nécessaire à l’élaboration d’ensembles plus vastes qui interrogent les dispositifs d’exposition existants et permettent d’envisager de nouvelles formes de monstration. Confronté à un accrochage non règlementaire, inachevé, on y perçoit le caractère provisoire et propositionnel de leur travail, toujours à l’oeuvre.
A la différence du cabinet de curiosités propre à la contemplation, les installations de Lena Amuat et Zoë Meyer évoquent un studiolo à plusieurs facettes, sorte de petit cabinet de méditation et de travail. Elles se prêtent à l’élaboration d’une image du monde par la réflexion et impliquent une démarche active, car la présentation formelle des photographies définit un nouveau contenu et se fait objet d’expérimentation.
Si la certitude de la photographie réside bien dans un arrêt, une paralysie de l’interprétation, Lena Amuat et Zoë Meyer semblent alors indiquer que le sens est à conquérir, non plus dans l’image, mais dans son hors-champ. Elles invitent, peut-être, à suspendre, pour un temps, la rumeur du monde et son flot d’images actuelles. Accepter de laisser se perdre le regard et de suivre, à l’écart, la Gradiva de Jensen.