Juana Rios RIos, "Juana de Cubana", Fortune Teller (Cuba) © Andres Serrano
Andres Serrano, né à New York en 1950, de parents originaires du Cuba et du Honduras, se rend pour la première fois à Cuba le 25 mai 2012. Il répondait à l’invitation de Jorge Fernandez, directeur de l’Institut Wilfredo Lam, qui souhaitait sa présence à la Biennale de la Havane qu’il dirige. Andres Serrano saisit cette opportunité pour séjourner dans l’île de ses racines avec le secret espoir d’en saisir sa substance.
Pour se faire, il loge au centre de la Havane, à l’Hôtel Nacional, hanté du souvenir de ses hôtes prestigieux Nat King Cole, Hemingway et Churchill, l’amateur de cigare… Non loin, il installe son studio photographique dans une maison d’hôte située au coeur d’un quartier populaire qui lui apparaît d’abord agité et inquiétant, avant de se familiariser avec ses habitants qui passeront, tout à tour, par son objectif.
La lumière locale, trop vive en journée, oblige Andres Serrano à débuter ses prises de vue en extérieur dès l’aube. Il se met alors en marche dans les ruelles de la cité jalonnées de palais surannés et masures délabrées. Son oeil est attiré par la polychromie des façades lézardées et, d’une manière générale, par les stigmates du temps qui fragilisent les constructions des vieux quartiers laissés à l’abandon par le régime. Il s’en dégage une « poésie des ruines » emprunte de nostalgie.
C’est au cours de ses promenades urbaines qu’Andres Serrano rencontre ses modèles. A la tombée du jour, il les convie dans son studio quand il n’est pas directement invité chez eux. Ces séances sont dédiées au portrait. La femme cubaine y est particulièrement mise à l’honneur. Les visages sont éprouvés par l’âpreté de la vie quotidienne. Quel que soit leur âge, certaines acceptent de poser nu devant l’objectif, toujours avec pudeur et dignité.
C’est avec autant de vérité qu’Andres Serrano photographie les Campesinos qu’il surnomme les «cowboys de Cuba ». Cette série de portraits d’hommes au chapeau nous entraîne temporairement en dehors de la capitale. Ils ont en commun une profondeur psychologique extrême restituée par l’intensité des regards.
The Hat (Cuba) © Andres Serrano
C’est ce savoureux paradoxe qu’a su matérialiser Andres Serrano dans Cuba. Ce recueil d’images fait également voisiner des clichés aux ambiances contrastées. Certaines heurtent volontairement la vue. C’est le cas des fragments de corps photographiés à la faculté de médecine de la Havane dans la lignée de Piss Christ (1987) qui mélangeait des sécrétions humaines. Andres Serrano prolonge, ici, le goût de la provocation, encore le fait-il comme toujours, avec l’art et la manière pour éveiller les consciences.