Adelap se raconte à travers ses photographies.
Elle a la pudeur, la timidité des personnes ayant si peu confiance en elles.
Son regard est un langage qui en dit long sur son bouillonnement créatif intérieur.
Ces « Histoires Naturelles » posent d’abord un regard sur le monde et ses difficultés. Elles s’écrivent petit bout par petit bout, comme des kaléidoscopes et divinisent les rebuts, les petits riens au même titre que les grands. La nature, les papiers, les couleurs, les enfants... tout y est consigné comme autant de témoignages de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont été. Un agglomérat fixé dans des carnets dignes des célèbres cadavres exquis, inventés par les surréalistes. Voilà, Adelap est une surréaliste, décalée dans son époque.
Ses multiples carnets tissent les uns après les autres des petites histoires faites de bouts de chandelles et interrogent en vain... Pas de réponse, aucune certitude.
Alexandra est sans filet, acrobate-photographe elle se plaît à traverser les miroirs, ce qui n’est pas sans risque. Mais les filets, elle n’en veut pas.
Les enfants se prêtent aux poses et leurs esquisses sont souvent si belles à notre regard. Petit homme, jeune fille, mère mais aussi père, elle offre un rôle à chacun et prend note de tout changement en associant librement. Des mains, des pieds, des yeux, des traces éphémères et d’autres immuables, porteurs d’un message silencieux.
Parce qu’ Adelap ne parle pas, elle photographie, compose des rébus. Tenter de les décoder ne sert à rien, mieux vaut se concentrer sur l’intuition que ses images suggèrent. Telle la clé cassée il n’y a d’ouverture que dans l’imaginaire. Lui seul libère la force incroyable de son talent. Elle continue à tisser sa toile, petits tas après petits tas, rêves après rêves...
Des « Histoires Naturelles », donc. Une nature belle et parfois inquiétante, des espaces prisonniers du cadre qui les enferment. Des restes figés et collés sur le papier. Dans la nature on les considère comme des éléments morts ou pourris, ils n’attirent pas les regards.
Ici, ils ne reprennent pas vie mais poursuivent un chemin associés à des moments ou à d’autres matières.
Les cadrages s’éloignent ou se rapprochent. Les photos se lisent ensembles et non pas séparément. Elles sont INTERDEPENDANTES.
Diptyques vénéneux, vaseux pouvant engloutir les protagonistes auxquels ils sont associés. L’amour, la vieillesse, l’espoir cohabitent avec des arbres engloutis. N’y a-t-il pas d’espoir ?
Tout à coup un surgissement apparaît,la Mer offre un horizon que l’on n’avait pas soupçonné. Les road-movies improvisés d’Adelap, l’ embarquent au delà de l’espoir ou du non-espoir. Le mouvement lui offre une porte de sortie, un ailleurs tant désiré.
La Bretagne, Marseille, La Hollande, Lisbonne... de la découverte aux états d’âme.
Et toujours la même question revient :
« quand on rencontre une personne, y a-t-il quelqu’un ? ».
Ces jeunes hommes sont-ils quelqu’un ou juste une image ? L '« image du désir » ? Des papillons de nuit aussi éphémères que l’instant où l’appareil se pose sur eux. Le désir questionne. Il propose une frontière floue (justement projetée par Lynch), un espace hors le temps qui laisse défiler des images, un cinéma vertical.
« Voir et partir » a t-elle écrit quelque part. Adelap ne veut pas laisser de traces, elle préfère s’effacer. Mais est-ce vraiment possible ? En feuilletant ses collages, on feuillette sa vie. Une vie, qui se projette sans cesse dans ses images, qui se nourrit des autres et qui n’ose pas s’exposer.
Mais son monde intérieur est comme le titre du livre de Rémy: « le livre du courage et de la peur ». Une zone de turbulences qui oscille entre la force et le découragement, l’aventure et la loyauté. Il lui faut inventer encore plus de mondes pour traverser son quotidien et avancer, avancer encore.
Moi, qui suit son travail depuis plusieurs années maintenant, je n’ai jamais cessé d’y croire. Son œil est incomparable, il voit à travers ce qui est. Il accroche ce qui ne se donne pas toujours à voir. Il est l’envers du décor, quand il montre ceux qu’on laisse de côté, souvent. Il capte l’éphémère des circonstances, la fragilité de l’instant, l’impermanence de la vie. Ses carnets sont pour moi des trésors à découvrir, lentement.
Épais souvenirs d’humeurs, de rencontres, de ramassages, d’écritures automatiques... Des carnets qui laissent à voir et aussi à penser. Au départ, cela semble simple puis petit à petit on s’accroche à un mot, une image, on revient en arrière. C’est une lecture patiente qu’il nous faut avoir.
Finalement on fermera le livre « Histoires Naturelles » avec une dernière interrogation: « qui viendra t’apporter ta tisane quand tu seras malade ? » Le miroir s’adresse soudain à nous.
Nathalie Krauze Paris, le 20 mai 2014