Luc Chessex, Santo Domingo, Equateur, 1971 © Luc Chessex/Collection Fondation A Stichting
Musée de l'Elysée, Lausanne Avenue de l'Elysée 18 1006 Lausanne Suisse
Luc Chessex vécut de 1961 à 1975 à Cuba. Membre de l’agence Prensa Latina, directeur artistique de la revue Cuba international, il a été un témoin engagé de la révolution. Le Musée de l’Elysée présente quatre séries de photographies de son séjour : Cherchez la femme, Castro, Che et Coca.
L’exposition est réalisée à partir de nombreux tirages originaux, de publications, d’articles de presse et d’un livre inédit sur la femme cubaine.
Cherchez la femme, présenté à La Havane en 1966, est un travail sur la femme cubaine, au-delà du discours politique. C’est également une réflexion sur la photographie, présentée à Cuba sous le titre de « photo-mentir », à l’encontre des idées reçues de la photographie comme « miroir du monde ».
Castro (Le Visage de la Révolution) a été publié en 1969 par l’éditeur suisse Hans-Rudolph Lutz. Il s’agit d’un essai sur la représentation de Fidel Castro sur les murs, sur les affiches et dans l’iconographie populaire. Luc Chessex évite toute propagande en accompagnant son travail d’« anti-légendes », laissant le public interpréter librement ses images. Ce qui permet une lecture très contemporaine de son travail.
Les séries Che et Coca font partie du projet Quand il n’y a plus d’Eldorado, une rétrospective du photographe publiée en 1982. La première suit les traces boliviennes du Che, la seconde porte sur l’image iconographique de Coca-Cola. Ces deux figures se partageaient symboliquement l’espace public, le mythe le disputant à la publicité dans une confrontation ironique et tragique.
Quand il n’y a plus d’Eldorado, un film de Claude Champion (1980), avec des textes de Jacques Pilet et réalisé à partir des photographies de Chessex, sera présenté en continu durant l’exposition.
Luc Chessex, La Havane, Cuba, 1963 © Luc Chessex/Collection Musée de l’Elysée
Luc Chessex à Cuba
Introduction du livre CCCC par Daniel Girardin
En juin 1961, Luc Chessex (1936) décide de prendre en main son destin et s’installe à La Havane. Jeune diplômé de l’Ecole de pho tographie de Vevey, habité par l’idée de transformer le monde en le rendant plus juste, il émigre à Cuba pour vivre la révolution castriste et témoigner de cette expérience par l’image. Il veut mettre en adéquation sa vie professionnelle et ses idées, relier la forme et le fond.
La forme, c’est la photographie qu’il veut rendre vivante, intelligente, originale. L’enseignement reçu à Vevey, trop technique à son goût, ne correspond guère à l’idée créative et culturelle qu’il s’en fait, lui qui a compris le formidable potentiel artistique et politique. Le fond, c’est sa vie, à laquelle il veut donner un sens, ce qui le pousse à quitter un pays qu’il estime alors « gris et ennuyeux » pour vivre une expérience existentielle et politique en laquelle il place beaucoup d’espoirs. Pour reprendre le titre situationniste de l’un de ses livres, il refuse « un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui ».
Parti un an pour y développer un projet personnel, Chessex restera en définitive quatorze années à La Havane, avant d’en être expulsé pour des raisons qui restent peu claires, sans doute liées à l’influence soviétique sur Cuba, île étranglée par le boycott américain. Chessex a été un témoin et un compagnon de route fidèle de la révolution cubaine, mais il est toujours resté libre et a gardé cet esprit critique qui lui avait fait quitter la Suisse pour découvrir le monde. C’est aussi la raison pour laquelle il est devenu un formidable photographe engagé qui n’est jamais tombé dans le piège facile de la propagande ou de la fabrication d’icônes. Pourtant, Fidel Castro, Che Guevara et de nombreux barbudos de la Sierra Madre, qu’il côtoyait, jouaient admirablement le jeu de l’image mythique. (...)
Débarqué à La Havane d’un cargo poussif, il trouve rapidement du travail. Il œuvre successivement comme photographe au Ministère de la culture, puis comme directeur artistique de la revue Cuba internacional, et devient enfin reporter itinérant de l’agence Prensa Latina. L’agence l’enverra plus tard en Amérique latine, car, porteur d’un passeport suisse, il obtient facilement des visas. Il fera notamment un long voyage en Bolivie sur les traces du Che, porté disparu en 1967. De ses nombreux reportages en Amérique latine il publiera, après son retour en Suisse, un livre saisissant, au graphisme affirmé et au titre évocateur : Quand il n’y a plus d’Eldorado.
Chessex rapporte aussi de ses voyages en Amérique latine un sujet étonnant, deux séries complémentaires intitulées Che et Coca. Che est alors un mythe en construction, présent partout en affiches et en dessins, nouvelle icône populaire qui symbolise à elle seule une certaine idée de la liberté et de la révolte. (...) Face au Che, trône partout la publicité pour Coca, boisson américaine et symbole de la puissance économique américaine. Les images du Che et de Coca se confrontent, se disputent ironiquement les espaces, et symboliquement rejouent le face-à-face qui existe depuis 1959 entre Cuba et les Etats-Unis.
En 1969, Chessex présente en Europe pour le Ministère de la culture une exposition sur la révolution cubaine, avec des photographies de Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud, René Burri et Roger Pic, qu’il a connus à La Havane lors de leurs divers séjours et qui ont spontanément accepté de mettre leurs images à sa disposition. Jusqu’en 1968, date à laquelle Castro soutient officiellement l’intervention de l’Union soviétique en Tchécoslovaquie, Cuba reçoit la visite de nombreux intellectuels et artistes du monde entier, souvent fascinés par l’idée du nouveau monde qui semble alors s’y construire.