© Homer Sykes
Maison de la Photographie Robert Doisneau 1 rue de la Division du Général Leclerc 94250 Gentilly France
L‘œuvre du photographe britannique Homer Sykes (né en 1949) demeure encore inédite en France. C’est au début des années 1970 que cet anglais d’origine canadienne devient photojournaliste. Photographe indépendant, il travaille pour des magazines tels que The Observer, The Telegraph, Time ou Newsweek Magazine et part ainsi couvrir les conflits du Proche-Orient ou de l’Irlande du Nord. Mais Homer Sykes s’est rapidement tourné vers son propre pays, questionnant les coutumes et les mœurs typiquement britanniques. L’exposition de La Maison de la Photographie Robert Doisneau présentée du 27 juin au 12 octobre 2014 propose une sélection de 90 épreuves retraçant les vingt premières années de sa carrière : deux décennies qui furent pour lui une véritable immersion dans le quotidien, le folklore et les mutations d’un Royaume-Uni en crise, dans une société en proie au doute et qui se réinvente à travers une culture pop-rock.
Homer Sykes fait partie de la talentueuse génération de photographes britanniques tels que Martin Parr, Chris Killip, Graham Smith, Chris Steel Perkins ou encore Tony Ray-Jones ; une génération qui, d’emblée, envisage la photographie en terme de style et fait valoir des choix esthétiques, à mi-chemin entre information et création. En 1968, Sykes étudie la photographie au London College of Printing où il suit les cours de David Hurn (qui vient de rejoindre l’agence Magnum). L’année suivante, au cours d’un voyage aux
USA, il découvre au MoMA de New York le travail de Lee Friedlander, de Garry Winogrand et de Robert Franck. S’il n’existe pas à la même époque au Royaume-Uni de galeries ou d’institutions dédiées à l’image photographique, des magazines comme Creative Camera publient régulièrement les reportages de jeunes photographes anglais comme Tony Ray-Jones. Homer Sykes, qui envisage de devenir professionnel, comprend dès lors qu’une photographie affirmant une vision d’auteur n’est pas le domaine exclusif des artistes américains ou des figures légendaires de l’agence Magnum.
© Homer Sykes
C’est en cherchant un sujet encore peu documenté qu’il décide de partir dans le Lancashire (nord de l’Angleterre) pour photographier les célébrations folkloriques de Pâques. Sans le savoir, il commence ainsi un projet de longue haleine sur les coutumes traditionnelles de son pays ; travail qu’il mènera pendant plusieurs années. Ce projet fait l’objet d’une section spécifique dans l’exposition de la Maison Doisneau car c’est en 1977 qu’il publie son premier livre Once a Year – Some Traditional Bristish Customs qui illustre et répertorie les fêtes et les cérémonies à une époque où l’identité britannique est en perte de repères. Certaines de ces traditions dont l’origine et le sens ne sont plus clairement identifiés (comme les déambulations du Burryman dans le South Queensferry près d’Edimbourg) apparaissent au début des années 1970 parfaitement anachroniques dans un monde qui se modernise. C’est donc à travers une forme de sociologie involontaire que débute la carrière de Sykes. Tout en s’amusant des excentricités des costumes et des pratiques, ses photographies soulignent les formes transgressives ou ritualisées de ces rassemblements et questionnent une société qui se raconte inconsciemment sous ses yeux.
Les vingt premières années de la carrière d’Homer Sykes coïncident avec une période de profondes transformations économiques au Royaume-Uni. La victoire du parti conservateur mené par Margaret Thatcher en 1979 marque un tournant symbolique, la fin d’une ère qui, en faisant triompher le libéralisme, accélère le déclin industriel du pays. On se souvient à ce titre que la grève nationale des mineurs de mars 1984, dure pendant près d’un an. C’est ce décor de crise qui apparaît en toile de fond de toutes les photographies d’Homer Sykes. Il assiste aux meetings politiques, aux manifestations et enregistre les mouvements de colères ou de désarrois. Le monde ouvrier, les jours de labeurs, les villes de mineurs où les tas de charbon encombrent les cours des maisons sont décrits sous forme de chroniques où les protagonistes vivent pleinement leurs histoires tragiques ou burlesques. Si l’humour est récurrent dans son œuvre, celui-ci n’est jamais féroce ni ironique : “I don’t edit cruel or funny images into my final take; no easy laughs at other people’s expense, which as a photographer is often all too easy to do (je ne retiens pas d’images cruelles ou drôles dans ma sélection finale; pas de rires faciles au détriment des autres, ce qui, pour un photographe est souvent facile à faire) ».
L’auteur n’affiche aucune perplexité ni discours moralisateur. Les pauvres, les humiliés mais aussi la classe dirigeante britannique apparaissent ici sous un même regard bienveillant, une même approche visant à montrer des comportements dans des situations banales ou incongrues: les rues, les lieux de travail, les boîtes de nuits, les moments d’attentes ou d’introspections, les repas, les fêtes trop arrosées, etc. Mais la juxtaposition d’images issues de ces deux mondes permet à elle seule de percevoir le gouffre qui les sépare et de comprendre les raisons d’un malaise social qui s’installe alors en Grande-Bretagne.
© Homer Sykes
Difficile enfin de regarder les photographies d’Homer Sykes sans évoquer l’incroyable univers musical qui émerge au Royaume-Uni durant ces deux décennies. Entre 1970 et 1980, l’Angleterre invente et exporte le Glam rock, le Punk-rock, le Ska, la New wave, le New Romanticism, etc. à travers une liste impressionnante de groupes et de chanteurs qui dominent largement la scène internationale. On citera à titre d’exemple David Bowie, T. Rex, Kate Bush, The Clash, Sex Pistols, Siouxsie and the Banshees, Madness, Joy Division, Depeche Mode, the Cure ou encore Frankie goes to Hollywood (La Maison Doisneau proposera sur sa page Facebook (https://www.facebook.com/pages/Maison-de-la-Photographie-Robert-Doisneau/206630822694790?fref=ts) à partir du 1er juin la « playlist » de l’exposition, sélection de ces vingt années de musiques et de tubes mythiques de la scène pop britannique et invitera les internautes à compléter cette liste). Si Homer Sykes croise Paul et Linda Mac Cartney, les Rolling Stones ou le futur Boy George ce n’est pas pour en faire des icônes mais pour les suivre dans un contexte familier pendant une tournée, une répétition ou même une soirée en discothèque : « I am not a rock and pop photographer, I photograph people (je ne suis pas un photographe de rock ou de pop, je photographie des gens). Sykes aborde la musique pop à travers les formes de culture ou de contre-culture qu’elle
génère. Il perçoit dans le mouvement punk ou skinhead le phénomène de mode qui se répand dans une génération en rébellion. Et s’il fréquente le Blitz Club de Covent Garden (à Londres) au début des années 1980, c’est pour observer ces New Romantics avec leurs maquillages et leurs poses indolentes.
La réunion de plusieurs personnages dans un même cadre caractérise la plupart des photographies d’Homer Sykes sélectionnées pour ce projet. Bien souvent la structure de ses images repose sur deux ou trois figures principales qui se distinguent et se dévoilent par une expression ou une attitude. Il n’y a pas de mise ou scène ni de composition trop évidente, juste une observation fine et une méthode systématique de prise de vue: une focale courte, quelques repérages préalables et une certaine manière anglaise, franche et courtoise, d’entrer en contact avec les personnes qu’il photographie parfois à très faible distance (étonnamment, celles-ci semble d’ailleurs ignorer le photographe qui est à l’œuvre). Présent à l’évènement, invisible dans l’image, Homer Sykes fait de la discrétion une véritable marque de fabrique. Et s’il fait preuve d’un “savoir voir”, c’est pour laisser le champ libre à ces sujets: « My images are about people, what they wear, how they look, and how they interact with each other, against a background that sets the scene. They are not about me (Mes images parlent des gens, des vêtements qu’ils portent, de leur allure, de la manière dont ils interagissent les uns avec les autres dans un contexte donné qui définit la scène. Elles ne parlent pas de moi) ».
Michaël Houlette