Cine Manding #4 – Bamako, Mali. © Ce?cile Burban
Salon du Panthéon 13 rue Victor Cousin 75005 Paris France
Aujourd’hui, malgré un cinéma fort et engagé, et l’enthousiasme du public qui se presse dans les festivals et les projections en plein air, les salles de cinéma ferment une à une sur le continent africain. Certains pays, comme le Sénégal, Madagascar ou le Cameroun, n’en comptent plus aucune.
Après une rencontre marquante avec le cinéaste malien Souleymane Cissé et un reportage sur le cinéma itinérant au Mali, Cécile Burban, photographe indépendante française, a voulu comprendre pourquoi la rencontre entre films et spectateurs ne se faisait quasiment plus que par le biais de ces écrans éphémères.
C’est ainsi qu’elle a découvert ces lieux si particuliers.
Ces salles ne sont pas des ruines ou des vanités contemporaines. Un combat silencieux s’y joue. Chargées d’âme et de souvenirs collectifs, à Bamako, Ouagadougou ou Kara, chacune a son histoire, mais toutes présentent le même motif : une relation profonde tissée avec un homme – cinéaste qui se bat pour la faire revivre, projectionniste qui, amoureux de sa salle, en est devenu le gardien obstiné. Et ils sont toujours là, veilleurs et lieux, résistant à l’effacement, dans l’attente d’une renaissance. Le temps et l’espace s’y suspendent, y retiennent leur souffle : ce sont des interstices, des lieux « entre-deux ».
Ciné Oubri #2 – Ouagadougou, Burkina Fasso. © Cécile Burban
Entre deux statuts : pas totalement abandonnés, pas encore réhabilités, désertés mais pas déserts, désaffectés et pourtant choyés. Entre deux temps, celui de leur passé florissant et celui de leur futur incertain. Entre deux sphères, celles du collectif et de l’intime, du dedans et du dehors, de la fiction et du réel... Entre deux affects aussi, une forme de mélancolie et un espoir têtu.
Même suspendus dans un présent entre parenthèses, certains demeurent des centres, des points de repère au cœur des quartiers. Ils attendent. Le rêve de leurs veilleurs n’est pas passéiste, au contraire : il y a des envies, des projets, des initiatives innovantes pour offrir à nouveau à la communauté un lieu de rencontre et d’échange.
Dernières Séances fait le portrait de ces salles de cinéma africaines réduites au silence, et de ces hommes qui tentent de les préserver, projectionnistes sans bobines ou réalisateurs privés de lieux de projection...
Série au long cours, elle se développe au gré des rencontres avec ces personnalités étonnantes, célèbres ou anonymes, qui savent que si les hommes construisent les espaces, certains espaces contribuent eux aussi à la construction de l’humain.
CONTEXTE
En 2009, lorsque l’association « Des cinémas pour l’Afrique » fut lancée par Abderrahmane Sissako et Juliette Binoche, un cinéma fermait chaque mois sur l’ensemble du continent. Certains sont transformés en magasins, en bureaux ou en lieux de culte, d’autres tombent doucement en ruine ; nombre d’entre eux ont été tout simplement murés ou rasés.
Cela peut sembler accessoire au regard de la situation actuelle. Pourtant, comme le soulignait Ousmane William Mbaye, cinéaste sénégalais : «Je pense qu’une capitale comme Dakar ou un pays comme le Sénégal qui n’a plus de salles de cinéma est un pays qui est en danger, parce que le cinéma joue un rôle important dans l’équilibre social, politique. C’est un facteur de stabilisation. »1
Au Mali par exemple, le cinéma a toujours tenu une fonction primordiale – art et infrastructure, loisir et ciment social, occasion de rencontre culturelle et intergénérationnelle. Ses films, souvent engagés, décomplexent la parole du peuple, abordant, comme dans la tradition orale de la palabre et du conte, les thèmes millénaires de la famille, des tabous, de la transmission, sans oublier de divertir.
Cette place privilégiée dans le cœur des Africains, les nombreuses salles que comptait le continent en attestaient. Mais le retrait des États, qui les ont brutalement privatisées dans les années 1990, et l’absence d’un circuit de production/distribution/exploitation cohérent ont abouti à cette situation paradoxale : la plupart des réalisateurs africains ont du mal à faire voir leurs films dans leur pays d’origine, et les cinémas sont sacrifiés, tandis que le public se masse, toujours plus nombreux, dans les festivals et les projections informelles (éphémères, itinérantes, ou de DVD sur grand écran).
Aujourd’hui, des associations ou des réalisateurs maliens, burkinabés, soudanais, etc. multiplient les projets pour faire revivre ces espaces d’échange essentiels pour la communauté, et cherchent de nouveaux moyens de les viabiliser, en les transformant non plus seulement en salles de cinéma, mais en espaces culturels pluriels, proposant concerts, projections vidéo, rencontres ludo-éducatives, formations..
Cinéma Le Vox #1 – Bamako, Mali. © Cécile Burban
DERNIÈRES SÉANCES / EXPOSITIONS
– Exposition personnelle en mars-avril 2013, à la galerie Focale (Suisse).
– Coup de Cœur de la Bourse du Talent « Espace » 2013, exposition collective à la Bibliothèque nationale de France de décembre 2013 à février 2014, puis à la Maison de la Photographie de Lille, jusqu’en mars 2014.
– Sélection de « La Projection du Jury » 2014, Les Boutographies – Rencontres photographiques de Montpellier, du 17 mai au 1er juin 2014.
BIOGRAPHIE
Après un bref séjour en école d’art, Cécile Burban (née en 1979) travaille quelques années dans la distribution cinématographique tout en poursuivant ses propres recherches en dessin et photographie, avant de décider de s’y consacrer entièrement.
Sa rencontre avec Jean Larivière, photographe et artiste plasticien, est décisive. Elle l’assiste pendant plus de deux ans et adopte la photographie comme moyen d’expression premier.
S’ensuivent d’autres collaborations, notamment avec le portraitiste Xavier Lambours, et en 2010, elle commence ses propres travaux.
Photographe autodidacte indépendante, elle développe ses projets documentaires et répond en parallèle à des commandes. Elle collabore ainsi avec l’édition, le cinéma, différents artistes (sculpteurs, stylistes...) ; ses images ont fait l’objet de publications dans divers supports de presse en France et à l’étranger.
Explorant les liens qui se tissent entre homme et espace, elle en sonde les différentes dimensions comme autant d’échelles, du silence d’une pièce aux murmures d’un jardin (Un Hémisphère...), du lieu mi-clos où l’absence se fait présence (Dernières Séances) à la ville étrangement désertée où ce processus s’inverse (Eldorado), jusqu’aux rivages d’un pays tout entier (L’Île heureuse de Faneva).
Sa démarche s’articule sur la question des relations sociales et de la notion d’identité dans notre relation à l’autre, à notre environnement mais aussi à nous-mêmes. Ainsi, elle se nourrit d’une double polarité : « documentaire social » par la nature des sujets choisis, elle poursuit une recherche formelle autour de la poésie du quotidien.