Autour de Ghazni © Succession Didier Lefèvre-2014
Bibliothèque Universitaire du Havre 25, rue Philippe Lebon 76600 Le Havre France
« Quand Médecins Sans Frontières m’a proposé, en 1986, de partir en Afghanistan, je n’ai pas hésité. Avec le recul des ans, ce voyage prend des allures d’expérience initiatique. Depuis, je suis retourné de nombreuses fois dans ce pays… » Didier Lefèvre
« La programmation culturelle de la Bibliothèque universitaire s’articule autour du graphisme, du photojournalisme et des films documentaires, trois genres qui manquent cruellement de lieux d’exposition. Il est pour nous à chaque fois très important de profiter de ces événements pour défendre et faire découvrir des réalisations remarquables. » Pierre-Yves Cachard, Directeur de la Bibliothèque universitaire du Havre
L’exposition Afghanistan 1986-2006 est une co-production Centre de photographie de Lectoure (2007), Ville de Morangis (2009) Bibliothèque universitaire du Havre et GRIC (2014).
L’exposition Paris-Roubaix, au bord des pavés est une production du Centre de photographie de Lectoure (2007)
En 2014, la Ville du Havre apporte son soutien à la manifestation. Les tirages numériques de l’exposition Afghanistan 1986-2006 sont réalisés au Havre par Aloïc Vautier pour Créapolis, les tirages argentiques et l’encadrement par Alain Bujak et Jean-Pierre Haie pour l’Atelier Demi-Teinte à Paris, qui a également réalisé les tirages argentiques de Paris-Roubaix. Le CLEMI, Ministère de l’éducation nationale, a participé à l’élaboration du programme pédagogique conçu par la Bibliothèque universitaire et Deux Tiers.
Sous le titre Afghanistan 1986-2006, ce sont ces vingt années de travail accompagnées de planches de la bande dessinée que présentera la Bibliothèque universitaire.
Col d’Anjuman. Afghanistan, 1986 © Succession Didier Lefèvre-2014
Didier Lefèvre
Son diplôme de pharmacien biologiste en poche, Didier Lefèvre réalise ses premiers reportages photographiques pour Médecins Sans Frontières. En 1986, pendant la guerre entre l’armée soviétique et les résistants afghans, MSF lui propose d’accompagner une équipe médicale en Afghanistan. Après avoir traversé le pays avec une caravane de moudjahedin, médecins et infirmières s’installent dans la région du Badakhshan. Didier couvre leur activité et photographie le quotidien des montagnards afghans dans la guerre, avant de risquer sa vie dans le voyage de retour vers le Pakistan, au terme d’un périple de plus de trois mois.
Quand, des années plus tard, il raconte ce reportage captivant à son ami Emmanuel Guibert, celui-ci décide d’en faire une bande dessinée, Le Photographe. « C’est peu de dire que ce voyage m’a marqué. Avec le recul des ans, il prend des allures d’expérience initiatique », confiait Didier. Pendant vingt ans, il n’a eu de cesse de retourner dans ce pays qui l’a tant marqué. De 1986 à 2002, il a tout connu de l’Afghanistan, ou presque : l’occupation soviétique, les luttes entre clans, l’arrivée des taliban... Après leur chute, il était à Bamyan, vivant avec les Hazaras au pied de leur « falaise maudite » , là où les taliban avaient détruit les Bouddhas.
Comme le dit Emmanuel Guibert, « si Didier n’était pas mort, nul doute qu’il serait aujourd’hui sur les routes afghanes ou dans l’impatience d’y partir »
Didier aimait retourner aux mêmes endroits, y passer du temps, en observer les évolutions, retrouver les gens. En Afghanistan pendant vingt ans, mais aussi au Cambodge et au Malawi, où il suivait depuis 2001 la lutte contre le Sida. Au Kosovo, où depuis 1999 il tenait la chronique de Ljubenic, un village qui vit dans le souvenir oppressant du massacre. Tous les premiers dimanche d’avril entre Paris et Roubaix, sur les routes de la grande course cycliste.
S’il avait collaboré avec les titres les plus connus de la presse française, Didier finançait lui-même, depuis des années, ses reportages les plus exigeants sur ses maigres économies ; il n’attendait plus de recevoir de la presse des commandes qui jamais ne venaient. Un jour qu’il venait proposer à un grand magazine français son reportage sur les réfugiés afghans en Iran, il s’entendit répondre : « Oh là ! On en a déjà trop fait sur les Palestiniens, alors... ». Il n’avait plus rien à faire avec cette presse là. Il n’avait besoin de personne pour être curieux du monde qui l’entourait. Il voulait retourner dans la Corne de l’Afrique, son premier théâtre d’opération.
Les sujets les plus variés le passionnaient : les toreros, les Médecins Sans Frontières, les pompiers, les marionnettes, les habitants de Bougainville, les jeunes agriculteurs d’Europe de l’Est, les champions du monde de course à pied éthiopiens, les bénévoles d’une ONG qui apprennent le travail de la terre aux exclus de la société française.
Le lendemain du décès de Didier, Florence Aubenas lui rendait hommage dans les colonnes du Nouvel Observateur : « Je me souviens de l’exclamation qu’une fermière avait lancé à Didier, pendant un reportage que nous faisions ensemble au Burundi : “Toi, tu es spécial pour un journaliste : on dirait un homme.»
Voyages en Afghanistan
« Avant d’être photographe, j’étais pharmacien. Spécialité : biologie. Les études m’ont passionné. La pratique beaucoup moins. En 1984, Médecins sans frontières m’envoie installer un laboratoire de bactériologie dans un hôpital clandestin de la guérilla érythréenne. Au retour, coup d’état au Soudan, l’aéroport de Khartoum est fermé. J’étais le seul bonhomme avec un appareil, l’Agence France Presse m’a acheté les photos. Plus tard, je suis retourné en Erythrée avec une équipe de cinéma. Pour y faire des photos. Je n’ai plus jamais refait de biologie. MSF m’envoyait en reportage, je rencontrais des gens formidables, je rapportais des histoires à raconter. A montrer. Petit à petit, je devenais photographe. L’Afghanistan, à cette époque, c’était comme le Liban pour la génération précédente, et le Vietnam pour celle d’avant. La guerre, l’aventure. Quand MSF m’a proposé en 1986 d’y partir, je n’ai pas hésité.
Qantiwa. Afghanistan, 1986 © Succession Didier Lefèvre-2014
C’est peu de dire que ce voyage m’a marqué. Avec le recul des ans, il prend des allures d’expérience initiatique. Encore maintenant, j’y fais souvent intérieurement référence. Depuis cette époque, je vis dans mon rêve, je suis photographe. Je réalise des reportages qui me tiennent à cœur, d’autres qui me sont commandés... Bref, un professionnel.
J’aime retourner aux mêmes endroits, y passer du temps. Je suis retourné six autres fois en Afghanistan. Moins que je ne l’aurais voulu, avec en général du retard sur les événements. Suivre l’actualité en temps réel coûte beaucoup d’argent. Quelques jours de commande pour un journal, un matelas dans une maison amie me permettent de vivre plusieurs semaines sur place...
Les premiers voyages étaient de vraies épreuves physiques : les montagnes, les semaines de marche à pied dans un pays impitoyable, aux conditions de vie moyenâgeuses.
A partir de 1992, quand les moudjahedin entrent victorieux dans Kaboul, je découvre un autre Afghanistan, moins rural, au développement figé par les guerres. L’immense déception devant l’incapacité à gouverner de leurs leaders conduit la population à accueillir avec soulagement l’arrivée des taliban en octobre 1996.
Le répit est de courte durée. Le pays se referme. Les Hazaras, l’un des plus anciens peuples d’Afghanistan, fuient alors les persécutions religieuses et ethniques pour un asile bien précaire en Iran, le voisin de même confession shiite. Trois mois après la chute du régime de Kaboul, fin 2001, ils commencent à rentrer dans leurs villages dévastés, au pied des « falaises maudites », celles qui abritaient les boudhas millénaires avant leur destruction sacrilège.
Je dois à Emmanuel Guibert l’ardeur indispensable pour replonger dans mes carnets de notes. Nous avons enregistré sur cassettes plusieurs heures de conversations, passant du récit de voyage aux aptitudes comparées de la photo et du dessin. Nous avons évoqué nos expériences, l’admiration pour nos maîtres respectifs et ce que l’on peut en faire... Ce dialogue possède un ton particulier, fluide et gai malgré l’évocation de sujets parfois dramatiques, et en tout cas bénéfique pour passer à l’écriture.
Les carnets s’entassaient dans des enveloppes, oubliés le plus souvent en compagnie de quelques pièces de monnaie locale, d’un ticket d’embarquement ou de cartes de visite.
A côté des notes professionnelles, noms, dates, légendes, ils contiennent toutes ces choses vues que je n’ai pas su photographier, trop impalpables ou trop gênantes. Je voulais en conserver tout de même une trace, pour pouvoir y revenir un jour. Malgré tout, ce ne sont pas de vrais carnets intimes, j’avoue que je me censure en les écrivant, de peur que quelqu’un ne les lise... A vrai dire, je ne leur ai jamais accordé beaucoup d’importance, jusqu’au jour où j’ai commencé à disposer mes petits tirages de travail dans un grand album noir. Ce jour là, j’ai écrit autour de ces images les souvenirs qu’elles m’ évoquaient, et je suis allé fouiller dans la boite aux enveloppes. Une fois écartées mes lamentations quotidiennes sur la solitude, la déprime et l’envie d’être ailleurs, il reste quelques moments sauvés in extremis de l’oubli par l’écriture. » Didier Lefèvre
Au bord des pavés
« J’avais envie du Nord de la France. Des reportages m’y avaient conduits, des histoires jamais vraiment gaies, entre vies ouvrières rudes et carnavals désespérés, sous des lumières de peintures flamandes... J’avais envie de vélo. Il y a du prolétaire dans le cycliste, dans ses efforts solitaires et anonymes à poursuivre le chronomètre. Le champion est à portée d’autographe du spectateur, lequel, en retour, lui fait bien peu procès des affaires de dopage... Une solidarité de classe en quelque sorte... J’attends ce rendez-vous d’avril avec impatience, comme ces familles venues encourager les coureurs au bord des pavés. Chaque année, comme un rituel, entre Compiègne et les douches du vélodrome de Roubaix, je cherche un poste d’observation d’où il me faudra décamper rapidement pour atteindre l’arrivée avant l’heure. C’est qu’il faut anticiper, avoir un temps d’avance pour ne pas se faire balayer par la horde des suiveurs. Ceux là veulent le vainqueur, parfois je me jette dans la mêlée pour jouer avec eux, mais les photos ne me plaisent pas. Je me fiche d’avoir le héros...D’ailleurs je ne connais pas leurs noms... Souvent, j’attends le dernier, pour voir à quoi ressemble le perdant. Mais ici, le perdant aussi est un héros. Un « rescapé de l’Enfer du Nord », selon le cliché officiel.
“Cliché” ? Je vous le dis, pour un photographe, cet enfer là, c’est le paradis... » Didier Lefèvre