
Maison Européenne de la Photographie 5, 7 Rue de Fourcy 75004 Paris France
Fouad Elkoury présente, avec cette installation de plusieurs diaporamas vidéo, sa deuxième exposition à la Maison Européenne de la Photographie.
Comme il l’explique, « tout est parti d’un poème d’Etel Adnan,
To be in a time of war / Vivre en temps de guerre, que je tenais à illustrer. Avec le temps, et au gré des associations d’images, ce souhait s’est transformé en une projection multiple, une sorte de pièce en trois actes qui raconte plusieurs histoires à la fois. »
© Fouad Elkoury
To be in time of War, extraits du poème d'Etel Adnan
« Se lever de bonne heure, traverser la rue, aller chercher le journal, le sortir de son sac en plastique, lire GUERRE sur la première page,
... sentir un frisson le long de la colonne vertébrale, dire que ça y est, savoir qu’ils ont osé, qu’ils ont franchi la ligne,
... se sentir paralysée, chercher la force en soi, ressentir de l’impuissance, prendre le téléphone, laisser tomber, s’habiller, regarder par la fenêtre, souffrir à cause de la beauté du jour, exécrer les auteurs de tels crimes,
... se rendre compte que penser est inutile,
... Attendre. Penser à la guerre. Regarder la montre. Mettre les informations. Ecouter le poison distillé par les correspondants de guerre. Avoir la migraine. Manger des biscuits secs. Rallumer la radio.
... Écouter, et se sentir attaquée par tant de venin. Maudire l’heure, le feu, le déluge et l’enfer. Perdre patience. Lyncher la malchance. Empêcher que la trajectoire du découragement n’atteigne le cœur. Résister. Se lever. Monter le volume.
... Savoir que la guerre est partout. Admettre que certains gagnent vraiment. Boire de l’eau. Tourner en rond.
...Faire comme si l’on n’était pas épuisé. Le croire. Le prétendre. ...Discuter avec son cœur. Lui parler. Le calmer, si possible.
... Prendre du Tipp-Ex et se mettre à effacer des souvenirs. Ne pas avoir faim mais manger quand même. Satisfaire d’autres besoins en mangeant. Être dégoûtée. Compter les morts dans chaque camp.
... Sortir la poubelle, fermer le couvercle. Jeter, en revenant,
un coup d’œil sur les jacinthes sauvages, respirer l’odeur de la verveine et de la sauge. Une fois dans le salon, entendre et peser le silence.
... Admettre qu’il n’y a rien à faire.
... Ne pas oublier. Etre sûre qu’un jour, Dieu sait quand, la justice l’emportera. Savoir que le monde prendra sa revanche pour avoir été trompé. Continuer à savoir qu’il y a des mystères et des secrets.
... Faire du café. Faire chauffer du lait. Prendre des vitamines. Attendre la tempête. Ecouter les informations et se dire que ça ira mieux, plus tard. Sentir très peu d’énergie dans le corps ou l’esprit.
... Distiller les pensées comme pour la préparation de l’alcool, une goutte à la fois. Se souvenir des plantations vertes, de la terre rouge, des visages noirs, des larmes blanches. Se rappeler que rien ne semble avoir changé. Faire face à une profonde lassitude.
... Continuer à aimer ceux que l’on a aimés. Découvrir que l’on a vraiment aimé. Se demander si se rappeler du passé est moins douloureux que cet emprisonnement.
... Entendre des pas. Aller à la porte, recevoir une amie. Parler du temps puis glisser vers les nouvelles de la guerre. Les trouver sanglantes et monotones. Ne pas arriver à parler d’autre chose.
... Dormir afin de rester éveillée tard la nuit. Découvrir que l’infinitif est une illusion. Perdre son assise.
... Réprimer le désir de sortir. Compter ses jours d’un journal
à l’autre. Se sentir emprisonnée. Oublier l’âge du monde mais se souvenir du sien. Vivre dans la tristesse. Être incapable de rire.
... Sortir de la maison, du moi. Se mettre, dès le matin, à contempler la longue marche de la journée vers la nuit. Faire exploser la vérité, faire exploser des pays. Être impatiente face au rien.
... Essayer de se distraire avec de la poésie et des arbres.
... Débarquer à Paris. Décrocher le téléphone. Composer un numéro pour Beyrouth. Entendre un ami dire qu’un journaliste palestinien a été froidement abattu par un brave monothéiste.
... Réfléchir à la nécessité de Dieu. Ecarter le problème de son esprit. Penser à Cassandre. Se souvenir du Code de Hammurabi. Crouler dans
sa graisse. Contempler la longue route étroite qui mène le monde à l’abattoir. »
© Fouad Elkoury
FOUAD ELKOURY
Photographe et vidéaste, Fouad Elkoury vit entre Paris et Beyrouth.
Après avoir couvert la guerre civile au Liban et au Proche Orient,
il a travaillé sur les paysages urbains et a exposé au Palais de
Tokyo et à la Maison Européenne de la Photographie.
Il a publié de nombreux ouvrages photographiques et s’est lancé dans la réalisation de films vidéo, dont “Lettres à Francine”, primé par le Centre national de la cinématographie.
Il est membre fondateur de la Fondation arabe pour l’image, qu’il crée en 1997 à Beyrouth.
En 2007, avec “Civilisation, Vrai=faux ?” il s’interroge sur le phénomène de la représentation et de la reproduction ; “On war and love”, une réflexion sur la dimension de l’intimité en temps de guerre est présentée à la Biennale de Venise.
Sa série “Qu’est-il arrivé à mes rêves” (2008-2009), qui aborde
un large éventail de questions socio-politiques, a été exposée simultanément à Dubaï, Paris et Beyrouth.
En 2010 et 2011, il photographie les bases militaires soviétiques abandonnées, principalement en Europe de l’Est.
À l’été 2011, il publie “Be ... longing” (Steidl), et expose au Beirut Art Center.