NSH 01, Similar, 2014, Photographie de tournage Courtesy de l’artiste © Germain Ferey
Maison d'Art Bernard Anthonioz 16 rue Charles VII 94130 Nogent-sur Marne France
En accès libre, la programmation Satellite est confiée chaque année à un commissaire différent chargé de trois expositions au Jeu de Paume et d’une exposition à la Maison d’Art Bernard Anthonioz (Nogent-sur-Marne). Les artistes occupent les espaces interstitiels du Jeu de Paume (mezzanine, foyer), qui deviennent chacun un champ d’expérimentation, d’interrogation et d’échange. Pour la septième édition de cette programmation, le Jeu de Paume a convié la critique d’art et commissaire indépendante slovène Nataša Petrešin-Bachelez.
Intitulée « Histoires d’empathie », la proposition de Nataša Petrešin-Bachelez s’inscrit dans la continuité de projets qui, au sein de la programmation Satellite du Jeu de Paume, explorent de nouvelles formes d’expositions, comme en témoignent les éditions précédentes qui ont été réalisées, depuis 2007, successivement par Fabienne Fulchéri, María Inés Rodríguez, Elena Filipovic, Raimundas Malašauskas, Filipa Oliveira ou Mathieu Copeland. Cette année, « Histoires d’empathie » invite quatre artistes femmes, Nika Autor, Natascha Sadr Haghighian, Kapwani Kiwanga et Eszter Salamon.
Pour la deuxième exposition de ce cycle, intitulée « Ressemblance », l’artiste Natascha Sadr Haghighian a été conviée à réaliser une production propre au lieu et au contexte de la Maison d’Art Bernard Anthonioz du 20 mars au 18 mai 2014.
Prenant pour sujet une branche morte tombée d’un arbre du parc de la Maison d’Art, dont l’état passe tour à tour de l’animé à l’inanimé, l’artiste explore la faculté mimétique du spectateur/de la spectatrice, invité/e à reconnaître des expressions familières dans les différentes transformations de l’objet. Se référant à la théorie de la ressemblance de Walter Benjamin, Sadr Haghighian interroge le principe d’empathie en ce qu’il souligne la capacité humaine à produire et à percevoir des similitudes.
Histoires d'empathie par Natasa Petresin-Bachelez
Programmation Satellite 7
« Histoires d’empathie » rend compte de la spécificité de la recherche artistique réflexive de quatre femmes artistes et de leur investissement dans des rôles de chercheuses, de militantes et d’éducatrices. Ces quatre artistes ont été invitées à produire une situation ou exposition pour un espace précis – en l’occurrence, la programmation Satellite du Jeu de Paume – et dévoilent, à travers leur travail, les relations de pouvoir entre leur propre position, l’institution et les visiteurs.
Qu'est-ce que la réflexivité opère, révèle ?
Depuis plusieurs décennies, l’anthropologie, le féminisme et les sciences sociales en général, plaident en faveur de la réflexivité ou de l’observation participante, dans ce que l’on nomme le tournant réflexif.
Ce dernier valorise la capacité à pouvoir réfléchir sur sa propre position d’énonciation. Les chercheurs/euses se sont définis comme étant eux/elles-mêmes les instruments de production des données, ce qui a donné lieu à une divulgation systématique et rigoureuse de leur méthodologie et de leur propre point de vue subjectif.
Ce tournant a parfois provoqué des erreurs d’interprétation dans les comptes-rendus des chercheurs/euses en confondant réflexivité avec conscience de soi ou même avec récit autobiographique. De ce fait, qu’est-ce que la réflexivité opère, révèle ? Qui légitime-t-elle ? Tout dépend de qui la pratique et de la façon dont elle s’exerce.
Le principe d'empathie
Dans le domaine de l’art contemporain, cette méthode autoréférentielle s’est trouvée depuis quelques années des affinités avec l’intérêt porté au principe d’empathie – capacité à ressentir les émotions de quelqu’un d’autre, à s’en sentir responsable – qui porte le/la chercheur/euse ou l’artiste à tenter de comprendre et de soutenir des actions et les motivations de ceux qu’il/ elle étudie. Le style d’écriture conversationnel, mélange de récits d’expériences vécues, de témoignages à la première personne et d’observations diverses, est ainsi adopté pour que le public ressente le contexte culturel et matériel de l’œuvre. Ce tournant réflexif et empathique est perceptible dans les échanges entre pratiques curatoriales et éducatives, et dans la polarité entre l’attention portée aux objets et celle portées aux êtres. De nouveaux processus de médiation sont proposés par les commissaires et les artistes aux côtés des équipes pédagogiques dans les institutions et visent à aller au-delà de la représentation classique pour faire partie intégrante de la démarche artistique.
Dans cette série d’expositions, les approches des artistes varient autant que les effets de l’empathie sur les êtres. Nika Autor souligne la nécessité d’un savoir associé au lieu d’où elle vient et depuis lequel elle crée une subversion de l’histoire officielle. Natascha Sadr Haghighian interroge le principe d’empathie en ce qu’il souligne la capacité humaine à produire et à percevoir des ressemblances. En se demandant comment accéder aux souvenirs des témoins d’une guerre et comment les transmettre, Kapwani Kiwanga questionne la morphologie de la mémoire et du témoignage à travers la nécessité de leur incarnation. Eszter Salamon traite de l’empathie en tant que valeur d’échange entre les visiteurs/euses et l’œuvre, sous la forme d’une performance en continu au cours de laquelle sont livrés des indices narratifs qui reconstituent une vie, nous renseignant ainsi sur la spécificité de l’espace mémoriel et du passé.
Nataša Petrešin-Bachelez
NSH 03, Similar, 2014, Photographie de tournage Courtesy de l’artiste © Germain Ferey
Natascha Sadr Haghighian
Pour sa notice biographique, l’artiste renvoie toujours au site www.bioswop.net, une plateforme d’échange qu’elle a créée. Dans la ligne de son projet critique envers les régimes de savoir institutionnalisés, Haghighian rejette les idées totalitaires de CV, de profil personnel et de biographie et stipule que les biographies utilisées sous forme imprimée pour accompagner son travail proviennent exclusivement du projet bioswop.
Étayés par des recherches, les projets de Natascha Sadr Haghighian trouvent systématiquement des biais pour s’émanciper des formats – souvent spécifiques aux sites – qui leur sont imposés. Qu’elle travaille seule ou en collaboration, Sadr Haghighian cherche à pointer les contradictions de la société contemporaine et de ses représentations ainsi qu’à remettre en cause le rôle de l’art dans la production d’un consensus culturel et de valeurs. Dans son travail, elle aborde frontalement et questionne les contextes, les conditions et les retombées de la production artistique, notamment les relations professionnelles et le statut de l’artiste.
L’artiste a récemment travaillé autour des incidences sociopolitiques de la construction du regard à travers l’éducation, depuis la perspective de cultures différentes.
Commissaire de la programmation Satellite 7 du Jeu de Paume, Nataša Petrešin-Bachelez est née à Ljubljana (Slovénie) en 1976. De 2010 à 2013, elle a été codirectrice des Laboratoires d’Aubervilliers. Depuis 2006, elle co-organise, avec Patricia Falguières et Élisabeth Lebovici, le séminaire « Something You Should Know : artistes et producteurs aujourd’hui » autour des pratiques artistiques et curatoriales, à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris.
En 2012 et 2013, le séminaire a été invité par la FIAC. En 2010, Nataša Petrešin-Bachelez a été commissaire associée de l’exposition « Les Promesses du passé. Une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est », au Centre Pompidou, où elle a travaillé avec les conservatrices Christine Macel et Joanna Mytkowska. La même année, elle a été commissaire invitée de Paris Photo pour la section « Statement », une sélection de galeries d’Europe centrale.
Elle a été commissaire des projets suivants : « Yona Friedman. Around the concept of Ville Spatiale », musée d’Art moderne de Ljubljana (2010) ; « Conspire », festival transmediale.08, Haus der Kulturen der Welt, Berlin (2008) ; « Distorted Fabric », De Appel, Amsterdam (2007) ; « Participation: Nuisance or Necessity ? », lASP IS, Stockholm (2005) ; « Our House is a House that Moves », Galerija Škuc, Ljubljana (2003), Living Art Museum, Reykjavik (2006). Elle a également assisté l’artiste Akram Zaatari pour « Radical Closure », Oberhausen Film Festival (2006), et le commissaire Rene Block pour « In the Gorges of the Balkans », Kunsthalle Fridericianum, Cassel (2003).
Elle a été co-commissaire de « Société Anonyme », Le Plateau (2007) et Kadist Art Foundation, Paris (2008), avec Thomas Boutoux et François Piron. En 2013, elle a été directrice artistique d’U3, Triennale d’art contemporain de Slovénie (musée d’Art contemporain, Ljubljana), commissaire invitée de la Biennale Online (directeur artistique : Jan Hoet) et membre des jurys de plusieurs commandes d’art public à Paris et Bordeaux.
Elle a également contribué à des magazines tels que e-flux journal, Bidoun, Springerin, ARTMargins, Parkett, NU: The Nordic Art Review et Sarai Reader. Depuis 2011, elle est rédactrice en chef de la revue Manifesta Journal, Around Curatorial Practices.
NSH 02, Similar, 2014, Photographie de tournage Courtesy de l’artiste © Germain Ferey
Calendrier
Histoires d'empathie par Nataša Petrešin-Bachelez
Programmation Satellite 7
« Nika Autor. Film d'actualités – L’actu est à nous »
11/02 – 18/05/2014, Jeu de Paume
Née en 1982 à Maribor, Slovénie ; vit et travaille à Ljubljana. Nika Autor s’intéresse à la production des images (notamment à leur montage, inspiré par les films propagandistes de gauche, les courts-métrages documentaires expérimentaux et les films d’actualités), à leur statut et au pouvoir, direct et indirect, qu’elles exercent sur leur temps et l’histoire. Pour son exposition intitulée « Film d’actualités – l’actu est à nous » et présentée au Jeu de Paume du 11 février au 18 mai 2014, Nika Autor sonde l’héritage de la forme cinématographique du film d’actualités et suit les méandres historiques de ses métamorphoses jusqu’à aujourd’hui à partir d’un travail sur un vécu obsédant (les changements radicaux provoqués par la dislocation de la Yougoslavie).
« Natascha Sadr Haghighian. Ressemblance »
20/03 – 18/05/2014, Jeu de Paume hors les murs / Maison d’Art Bernard Anthonioz (Nogent-sur-Marne)
Kapwani Kiwanga
03/06 – 21/09/2014, Jeu de Paume
Née en 1978 à Hamilton, Canada ; vit et travaille à Paris. Kapwani Kiwanga a étudié l’anthropologie et les religions comparées et travaille surtout la vidéo, le son et la performance. Dans ses films et sa série de conférences-performances Afrogalactica, elle parle « de pouvoirs, d’êtres et d’univers transcendants » qu’elle a inventés sur un mode scientifique en jouant le rôle d’une anthropologue du XXIIe siècle. Ces performances s’accompagnent d’un discours qui replace sa pratique artistique dans le cadre de débats plus larges autour de l’astroculture, l’afrofuturisme, la magie et la théorie culturelle de l’espace. Elle travaille actuellement à un projet sur la première lutte anticoloniale en Tanzanie au début du XXe siècle, pays d’origine de ses ancêtres, qui, grâce à la spiritualité et la magie, a donné naissance aux communautés résistantes.
Eszter Salomon
14/10/2014 – 25/01/2015, Jeu de Paume
Née en 1970 en Hongrie ; vit entre Berlin et Paris. Eszter Salamon est chorégraphe, danseuse et performeuse. Chez elle, le son est un élément chorégraphique clé pour créer la relation avec le/la participant-e ou le public ; elle s’inspire souvent de l’héritage de John Cage ou travaille étroitement avec l’artiste sonore Terre Thaemlitz. Elle est l’auteur d’une « performance documentaire » où elle met en scène la vie d’une femme qui porte les mêmes prénom et patronyme qu’elle et qui vit dans un village hongrois. Dans sa dernière œuvre théâtrale, elle abordait la question futuriste de savoir comment on sortira de son corps lorsque les humains auront disparu.