Autoportrait © Lea Lund
Lea Lund rencontre Erik K à Paris en juillet 2011 : coup de foudre et 1er déclic d’une série de plus de quarante-mille clichés.
Erik et Lea ne se quittent plus, il devient sa muse, son complice et son modèle dans touts les villes qu’ils parcourent ensemble.
Chaque étape, est source d’inspiration, une quête permanente du lieu magique où Erik va prendre pleine possession des lieux , avec ce regard lointain, d’un nomade d’un « étranger », dit-il. Plus qu’une démarche à deux, il s’agit ici d’une réelle collaboration, d’un partage d’idée, de dons : Lea, artiste aux talents multiples, a toujours dessiné, aux Beaux-Arts, elle choisit la photographie en option. Pour elle, prendre une photographie, ce n’est pas loin de faire un dessin, et elle ne cesse de s’exprimer à travers les deux, comme elle l’a fait aussi à travers la gravure, la peinture, la sculpture.
Erik K , magnifique Dandy, prend la pose : port royal, gilet de rigueur, chapeau très haut, il n’est pas déguisé pour la photo, il est tout le temps habillé comme ça. Originaire du Congo , Erik K nie être un « sapeur » , membres d’un mouvement vestimentaire ultra stylé, né après l’indépendance du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa chez les jeunes et qui est pourtant affilié au dandysme. « Je ne me met pas en scène, je suis moi-même, je suis un dandy, peut-être, et encore, j’aime simplement l’élégance. » Pour Lea et Erik ce qui compte ce n ‘est pas le modèle mais ce qui l’habite et ce qu’il habite. La photographe pérennise cet instant partagé, ce parcours amoureux . C est un beau travail d’exploration de l’autre, du territoire, du regard porté sur l’autre et sur la paysage.
LEA LUND & ERIK K Par Simone Klein
Petit portrait photographique dans un cadre doré placé sous une cloche de verre, entouré de fleurs et de feuilles et abondamment décoré de perles et autres bijoux, Erik aux Fleurs IV est l’image clé de la série « Etapes »de Lea Lund et Erik K.
Elle symbolise la volonté de protéger, de présenter un être précieux dans un monde parfait. Préserver ce moment idéal pour toujours, ou du moins pour très longtemps. Elle est à la fois utopie et vanité. Comme toutes les œuvres de cette magnifique série, elle est réalisée en noir et blanc. Nous découvrons ici le sujet majeur inhérent à l’intégralité des compositions photographiques créées par le couple d’artistes : le sublime, et sa fragilité.
Réalisée en 2012 et 2013, la série Erik aux Fleurs est empreinte d’un romantisme que l’on retrouve dans l’essentiel de leur démarche. Notamment dans Erik aux Fleurs I, où le modèle apparaît de profil au centre de l’image, éclairé par une source lumineuse mystique. Une opulence de guirlandes de fleurs l’entoure comme une véritable aura. Rehaussée par un
décor baroque, distanciée du regard des autres par la masse de cette flore et fragilisée par l’effet troublant de la « toile d’araignée » qui se pose comme une couche fine sur la surface de l’image, son effigie traduit, avec son regard pensif tourné vers le lointain, cette notion d’éphémère.
Erik aux fleurs I © Lea Lund
Deux photographies exceptionnelles dans l’œuvre de Lea Lund et Erik K, étonnantes déclinaisons du sujet éternel du nu, se lisent d’une manière similaire. Ici, le concept de la beauté fugitive du moment à savourer et à protéger est pour ainsi dire sublimé : Erik aux Fleurs III est, par la représentation du corps masculin en pietà, la représentation même de la Vanité. Dans Saint-Jean-du-Doigt, Finistère, le corps gisant d’Erik en forme de croix chrétienne symbolise la mort et la résurrection.
Un dispositif plus narratif est celui d’Erik K en globe-trotteur ; il parcourt l’univers, se retrouvant dans des décors bien différents et des situations fantastiques, drôles, ou dramatiques plus ou moins réalistes. Il y a dans ce monde-là des scènes cinématographiques, oniriques, presque kafkaïennes, où Erik est accompagné par une gigantesque libellule quasiment transparente – un fantôme qui, au deuxième regard, se révèle protecteur plutôt que menaçant ; une sorte de génie qui poursuit notre protagoniste dans les situations les plus absurdes (Corseaux-sur-Vevey) ou dangereuses (Aqueduc de Barbega, Arles) jalonnant son chemin.
La libellule elle aussi est un symbole de fragilité, symbole renforcé grâce à un tissu de rayures et de nervures griffant toute la surface de l’image. Créant une frontière fragile mais bien perceptible entre le spectateur et la scène représentée, cette couche superposée fonctionne comme un bouclier de protection, mais fait également référence à une toile d’araignée et rejoint ainsi l’univers lundien et ses symboles d’évanescence. Les œuvres de cet ensemble se caractérisent par des compositions très denses ; elles sont de véritables films stills qui invitent à imaginer une histoire folle, drôle, mystérieuse ou dramatique autour du moment capturé.
D’autres images montrent Erik dans les coulisses de métropoles grandioses (Zoofenster, Kurfürstendamm, Berlin) ou devant des constructions gigantesques qui semblent au bord de l’anéantissement (Chantier de la Philarmonie I, Porte de la Villette, Paris ) – allusion aux arrière-plans fantastiques de films expressionnistes tels que Metropolis – ou surgissant du chaos (Chantier de la Philarmonie II, Porte de la Villette, Paris ). Agissant comme un time traveller, Erik nous présente le monde ; il l’anime et le reflète en même temps.
Château de Versailles © Lea Lund
En général au premier plan, sa figure est dans ces scènes un miroir pour nous, les spectateurs, qui suivons ce héros, qui nous identifions à lui au travers de ses aventures. Et comme nous l’adorons ! Voilà un homme bien élégant, beau, toujours impeccablement vêtu, toujours correct et discret. Ce dandy est presque invariablement représenté de face, dans une posture stable, tel une statue. Indestructible... Le monde peut s’effondrer autour de lui ; Erik est une valeur sûre, résistant en beauté à toute adversité, et à toute catastrophe potentielle. Il est intouchable, mis en valeur par la photographe avec soin, respect, humour et amour. Lea Lund, elle, derrière son objectif, est le chef d’orchestre ; omniprésente dans chacune de ses compositions grâce à son élément stylistique propre, qu’elle a utilisé systématiquement dans la série étapes – la toile d’araignée –, et qu’elle réalise au moyen de la gravure. Et voilà ! Nous retrouvons le concept artistique – un concept de vie – du couple formé par Lea Lund, artiste multiple, perfectionniste, débordante de curiosité et de créativité, et par Erik K, la Muse, sérieux, distancié et joueur en même temps, élément essentiel et fétiche de cette magnifique série Etapes : « Carpe diem, vois les belles choses, garde-les, préserve-les. »
De toute image où il n’apparaît pas, elle dit : « Il n’y a pas Erik ! ». Il y prend alors place, et va adorner la composition et la perfectionner, aussi équilibrée (Château de Versailles) sombre (Dreispitz Freilager, Bâle), citadine (Séville) ou paradisiaque (Grandes serres du Muséum d’histoire naturelle) soit-elle.
Lea Lund nous rend ainsi le monde plus beau, plus compréhensible, plus surprenant peut-être ?
En tout cas, plus précieux...
Tant qu’il y aura Erik, il y aura du sublime.
Paris, février 2014